Les "petits coins" dans les écoles, collèges, lycées ont de multiples usages et significations (ouvrage)
Paru dans Scolaire le mercredi 15 février 2023.
Les "petits coins" sont "le seul espace 'privé' dont disposent les jeunes dans l'établissement scolaire", constatent les auteur/autrices de "Les petits coins à l'école", un fort volume (296 pages) et une enquête sociologique, ethnologique, psychologique, voire psychanalytique sur cet "objet de recherche encore tabou, pas assez sérieux" dont les enjeux sont laissés "au regard médical et hygiéniste, compte tenu de ce que les enfants et les jeunes sont censés y faire". "En imaginant que les toilettes parviennent à ne plus être conçues comme la cinquième roue du carrosse de l'institution scolaire, le risque reste qu'elles soient réduites à ce minima d'évacuation des déchets." Les toilettes sont pourtant un lieu chargé de bien davantage de significations.
Premier constat, "l'introduction de la mixité à l'école a épargné (ce) lieu (...) érigé comme une zone évidente de non-mixité" et cette séparation "implique en creux, via l'interdit que cette séparation sous-tend, une sexualité forcément hétérosexuelle". Cette séparation est d'ailleurs parfois mise à mal. Au lycée (mais pas au collège), il arrive que les filles, pour éviter la file d'attente, aillent "envahir les toilettes des garçons, sans que ceux-ci s'en plaignent particulièrement (l'inverse n'est pas vrai)".
Autre constat, l'entrée à l'école maternelle signifie la fin des couches et du pot, et l'obligation de maîtriser ses sphincters. Les autrices de ce chapitre décrivent précisément les stratégies mises en oeuvre par les enseignant.e.s pour gérer les passages aux toilettes, la répartition (ou l'absence de répartition) des tâches avec les ATSEM, et les difficultés générées par la crainte d'être accusé.e de pédophilie, notamment quand il s'agit de l'essuyage des fesses. D'ailleurs, les enfants font pipi, mais se retiennent de déféquer à l'école. "Faire caca à l'école, ça ne m'intéresse pas", déclare une petite fille. C'est une constante à tous les âges.
A l'école élémentaire, "parfois on va à sept dans les toilettes" raconte une élève, et quand la chercheuse lui demande pourquoi, "pour dire des secrets (...), des choses intimes (...) Comme je sais pas, moi, les garçons...
Au collège, "la question des toilettes des élèves n'en finit pas de mettre en émoi l'ensemble de la communauté éducative". Dans l'établissement visé, la commission d'hygiène et de sécurité a dressé "un constat sans appel" de l'état des toilettes, de l'odeur "nauséabonde" qui y règne côté garçon, d'excréments au sol, d'un distributeur de savon cassé à coups de pied, du côté fille d'un toilette sans porte et cassé... Et pourtant, "malgré l'insalubrité des lieux, il existe des élèves pour fréquenter les toilettes de collège" et ce n'est pas seulement pour y assouvir leurs "besoins naturels", mais "pour se retrouver entre soi, à l'abri du regard des adultes", et faire des choses interdites ... comme téléphoner à ses parents !
Cette dimension des toilettes, "espace-temps privé" et "lieu de rencontres" se retrouve au lycée, mais sur un mode apaisé. On peut même y "rouler un joint", mais sans le fumer, pour ne pas laisser d'odeurs suspectes. C'est un espace réservé aux élèves qui échappe au contrôle des adultes. C'est aussi un marqueur de l'ordre scolaire fondé sur la séparation avec les enseignants : "Il y a un certain respect, quand on est dans la classe face au professeur. Il n'y a pas d'intimité. Ils sont à leur place, on est à notre place et voilà. Le fait d'aller en même temps aux toilettes avec les profs, là, l'intimité... , on entend ce que fait l'autre."
Les 'petits coins' à l'école, Aymeric Brody, Gladys Chicharro, Lucette Colin, Pascale Garnier, Editions Erès, 296 p., 23 €