La recherche de l'excellence en éducation a-t-elle un sens ? (Cahiers pédagogiques)
Paru dans Scolaire le lundi 12 décembre 2022.
La notion d'excellence a-t-elle sa place dans le monde éducatif ? Si excellere, en latin, c'est dépasser les autres, faut-il que le terme renvoie à son étymon dans l'école d'aujourd'hui ? Ce sont ces questions que pose le dossier du dernier numéro des Cahiers pédagogiques, s'interrogeant sur le sens de ce terme aussi bien en éducation prioritaire ou dans l'enseignement professionnel qu'au lycée Henri IV.
Dans ce "lieu emblématique de l'excellence scolaire française", où "il n'y a pas de surveillants ni de carnet de correspondance", règne un état d'esprit qui "conjugue la liberté et l'autonomie laissée aux élèves avec les exigences de travail et d'autodiscipline attendues d'eux". Sacha Pochon (U. d'Artois, STAPS) y examine ce qui se passe en EPS, quand "il n'y a pas de discipline à faire, qu'il n'y a pas d'imprévus", "tout se passe comme si des élèves destinés à des postes à responsabilités apprenaient à jouer le rôle de leader, presque de manageur (...). Dociles, travailleurs, investis et motivés, les élèves, de la classe de 2de à la terminale, sont capables de travailler longtemps et avec obstination pour réussir."
En éducation prioritaire, les dispositifs "se réclamant de l'excellence" se succèdent : "les pôles d'excellence en 2000, les cordées de la réussite en 2008, les internats d'excellence en 2010 et les parcours d'excellence en 2016", énumère Ariane Rochard-Bossez (INSPE d'Aix-Marseille) avant de constater que ce qui les caractérise, c'est "la plupart du temps", l'acceptation d'une partition entre une minorité d'élèves et la majorité "qui n'y a pas accès" : "Les dispositifs d'excellence entérinent donc le fait que les élèves, généralement en situation scolaire favorable, peuvent accéder à un accompagnement supplémentaire et spécifique pour leur permettre de poursuivre une scolarité équivalente à celle de ceux qui sont scolarisés en milieu dit ordinaire."
De même, Marie-Joana Chamlong (professeure au lycée hôtelier de Dugny) fait le bilan de trois années de TVP (transformation de la voie professionnelle) destinée à "viser l'excellence", notamment la mise en place du "chef d'oeuvre". Celle-ci reste "plus que problématique" avec "moins de moyens pour réussir, moins de dotations, quasiment aucune subvention spécifique", mais surtout du fait d' "une hiérarchisation plus notable que jamais entre l'enseignement professionnel et l'enseignement général".
Et Patrice Huerre (pédopsychiatre) s'inquiète: "A part pour les excellents (élèves) en tout, qui sont rares, l'excellence est une fragilité, une vulnérabilité. La moindre remarque négative, le plus petit geste peuvent être destructeurs, tant l'estime de soi est dépendante dans ces cas de l'appréciation de l'autre." La recherche de l'excellence devient "pathologique, car elle entrave la créativité au profit de la performance". Il ne faudrait pas "réduire l'être humain à un résultat, un comportement. Il est plus riche que cela !"
Les Cahiers pédagogiques, n° 581, décembre 2022, 12 €, le site ici