Ecole inclusive : un rapport pour une remise à plat de l'ensemble du dispositif (inspections générales)
Paru dans Scolaire le jeudi 08 décembre 2022.
Le CNSEI, comité national de suivi de l’école inclusive, s’est réuni le 7 décembre, indique le ministère de l'Education nationale qui annonce une "conférence nationale du handicap" au printemps 2023 et un "acte II de l’école inclusive". Il publie le rapport des inspections générales ESR (éducation, sport, recherche) et des finances.
Modifier le rôle des MDPH
L'une des propositions de cette mission des deux inspections générales attire particulièrement l'attention. Les missions des MDPH pourraient être réorientées "sur la seule reconnaissance du handicap, charge ensuite à l’Education nationale de mettre en œuvre les moyens permettant l’accès effectif au service public de l’éducation". La CDAPH (Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées) "serait toujours compétente pour statuer sur le handicap de l’élève mais il appartiendrait à l’Education nationale (...) de prendre toutes les mesures appropriées pour permettre l’exercice effectif du droit à la scolarisation. Dans ce schéma, l’aide humaine ne serait plus prescrite par la MDPH mais constituerait simplement l’une des mesures à la disposition de l’éducation nationale pour permettre l’accès au service public de l’éducation."
Les deux inspections générales proposent qu'à défaut, la notification de la CDAPH soit limitée à la seule mention d’une aide humaine, sans en préciser ni la nature ni la quotité."Il ne s’agit pas ici de remettre en cause les attributions des MDPH mais de considérer que les adaptations nécessaires afin de garantir l’accès au service public de l’éducation relèvent en priorité de l’État."
Deux griefs
Le rapport souligne en effet que le droit à l'instruction est "reconnu par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946" et qu'il "ne saurait dès lors s’effacer devant le handicap", la loi de 2005 ayant "sanctuaris(é) l’accès aux droits fondamentaux reconnus aux personnes handicapées". Toutefois, et bien qu'ils s'interdisent "d’émettre un avis sur la dimension médicale du handicap et son diagnostic", et qu'elles considèrent que "la scolarisation doit s’effectuer prioritairement en milieu ordinaire", les deux inspections générales soulignent que "deux principaux griefs" ont pu être faits à cette loi. "D’abord, dans le cas des handicaps les plus lourds, la scolarisation en milieu ordinaire, fût-elle compensée, peut avoir pour résultat de laisser l’institution scolaire 'démunie' (...). Ensuite, en considérant le handicap comme une notion mouvante, le régime fixé par le législateur a pu entraîner une extension continue de son champ (...). La plasticité de la notion de handicap conduit à y faire entrer des troubles qui n’en relevaient pas jusqu’alors", d'où l'augmentation du nombre d’ESH (élèves en situation de handicap) atteints de "troubles intellectuels ou cognitifs", y compris les troubles du comportement, les troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) - et les "dys" (dysphasie, dyspraxie, dyscalculie, dyslexie). Toujours est-il que les effectifs d’élèves en situation de handicap (ESH) sont passés de 133 838 en 2004 à 384 040 en 2020, soit une hausse de 187 % en seize ans.
La part des enseignants de moins de 35 ans fait augmenter le nombre des prescriptions
Des critères "environnementaux" (donc autres que médicaux, ndlr) amènent une augmentation de la demande d’accompagnement humain, notamment l'absence de places en établissements médico-sociaux, mais aussi "la part des enseignants âgés de moins de 35 ans" ou la part des ménages pauvres au sein de la population.
Pour une meilleure identification des besoins, le rapport propose de rendre obligatoire le "GEVA-SCO", "le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation" avant toute saisine de la MDPH relative à une demande d’accompagnement pour la scolarisation. Actuellement, un certificat médical est la seule pièce nécessaire au dépôt d’une demande.
Le rapport propose aussi d’engager les services déconcentrés de l'Education nationale à "harmoniser leurs calendriers de mise en œuvre des notifications" avec ceux des MDPH, “afin de mieux anticiper et dimensionner les recrutements d’AESH". De plus, l'échange d’informations doit être garanti entre la MDPH et l'Ecole, "quel que soit le succès que rencontrera" le LPI, "livret parcours inclusif", actuellement "en cours de déploiement".
Pas d'évaluation pour les PIAL
Une part importante du rapport est consacré aux AESH. Les auteurs notent, à propos des PIAL, que "leur mise en place a permis d’apporter des réponses plus rapidement et à davantage d’ESH, contribuant à une baisse sensible des courriers de réclamation des familles", mais "qu’ils sont parfois utilisés à des fins de régulation d’une ressource insuffisante en raison de l’importance du flux continu de demandes à traiter" et, même s'ils estiment que "ces pôles doivent continuer d’être consolidés", ils ne proposent aucune évaluation "de leur action sur le renforcement du pilotage local de l’accompagnement humain".
Et surtout, ils notent que malgré leur nombre, 142 516, presque deux fois plus que les professeurs de lycée professionnel (64 471), les AESH sont mal connu.e.s : "À titre d’exemple, les éléments relatifs aux absences ne font pas l’objet d’un suivi agrégé au niveau national (...). Les motifs de départ sont également difficiles à appréhender faute d’outils de suivi. Ainsi n’est-il pas possible de suivre le nombre de démissions parmi les AESH (...). Peu d’informations sont accessibles sur (leur) niveau de formation (...). L’exercice du droit à la formation reconnu aux AESH (...) est difficile à apprécier."
Un taux de rotation de 10 %
Se pose aussi la question de leur statut, même si "le corpus juridique qui leur est applicable crée (...) un quasi statut (...). Les AESH constituent un succédané de corps de la fonction publique, régi à la fois par les dispositions de droit commun applicables aux agents contractuels mais également par des règles qui leur sont propres." Cela n'empêche pas leur précarité qui "se traduit par un taux de rotation annuel des effectifs" que les rapporteurs estiment "autour de 10 %". Ils notent que six AESH sur dix exerçaient leurs fonctions sous ce statut depuis moins de trois ans".
Autre problème, le cadre budgétaire. Certain.e.s AESH sont rémunéré.e.s "sur le titre 2 du budget de l’État" (ou T2, la masse salariale, ndlr), et d'autres pas, notamment les AESH recrutés par un EPLE (collège ou lycée, ndlr) qui dispose d’un budget propre et donc de l’autonomie financière. "Par conséquent, les personnels qu’ils recrutent directement n’ont pas vocation à être rémunérés sur le budget de l’État et donc à entrer dans le champ du T2."
La pause méridienne
Le rapport évoque encore la décision du 20 novembre 2020 du Conseil d'Etat qui interdit à l'Etat de rémunérer les AESH pour un accompagnement hors des heures de classe, donc pour la pause méridienne et les activités extrascolaire. La mission a pu constater, "sans qu’il soit possible de quantifier le phénomène", qu'elle "demeure inégalement appliquée" dans le 1er degré où parfois la décision est appliquée strictement, parfois pas du tout, parfois un peu des deux. "Dans le second degré, la mission n’a pas eu connaissance de départements où cette décision est appliquée." Elle recommande de l'appliquer partout, mais de mettre des AESH à disposition des collectivités, via une convention et le remboursement par la collectivité de sa quote part. Elle évalue à près de 52 M€ par an la charge financière pour les collectivités territoriales. "D’ici 2027, ce montant pourrait atteindre 85 M€". Et surtout elle ajoute que cette décision "pose en creux la question de la gouvernance de la politique de prise en charge du handicap entre l’État et les collectivités territoriales". Il lui semble "difficile d’envisager le transfert des AESH vers la fonction publique territoriale" puisque "ces personnels interviennent majoritairement sur le temps scolaire, lequel demeure une compétence exclusive de l’État", et la mission invite "à replacer cette question dans une logique d’ensemble qui pourrait être débattue à la faveur du quinquennat qui s’ouvre". Se pose alors la question de leur "quotité de travail, estimée en moyenne à 62 %" d'un temps plein". Mais pour "tendre vers davantage d’emplois à temps complet", la mission est défavorable à l'idée de leur confier d'autres tâches, administratives par exemple. Elle calcule que "la durée maximum des enseignements dans le premier degré est fixée à 24 heures" alors qu' "il faut un temps d’accompagnement hebdomadaire de 39 heures sur 41 semaines ou de 35h40 sur 45 semaines pour arriver à un temps complet". Elle ajoute que "nombre d’AESH semblent cumuler leur emploi avec une autre activité salariée" mais qu' "en l’absence de données disponibles, la mission n’a pas été en mesure d’apprécier l’ampleur du phénomène". Elle estime toutefois que "rien ne semble donc indiquer que la systématisation des emplois à temps complet contribuerait à renforcer l’attractivité du métier".
Un recours abusif aux AESH ?
La mission s'interroge encore "sur le risque qu’un recours abusif à l’accompagnement humain individuel peut faire peser sur l’objectif de développement de l’autonomie" des élèves en situation de handicap. D'autre part, "l’AESH ne risque-t-elle pas de constituer un frein à l’ambition d’une école inclusive ? (...) Certaines associations considèrent même que la prescription d’accompagnement humain peut s’avérer contre-productive dans certains cas (....). L’accessibilité peut également passer par un recours circonstancié à du matériel pédagogique adapté (lecteurs-scripteurs, ordinateurs par exemple), qui ne représente aujourd’hui que l’équivalent de 1 % de la masse salariale des AESH supportée par l’État. Ces matériels adaptés (...) font de plus l’objet d’une sous-consommation budgétaire depuis 2018." Le rapport évoque à ce sujet "les aménagements de bâti scolaire" et un renforcement de la complémentarité avec le médico-social tandis que l' "insuffisante sensibilisation" des enseignants "a été mentionnée de manière presque systématique par l’ensemble des acteurs rencontrés", avec pour conséquence "la propension de certains d’entre eux à 'externaliser' l’accompagnement des ESH par une sollicitation d’aide humaine (...). Faute de capacité à faire face à la situation de handicap, certains personnels enseignants seraient enclins à appuyer, voire à solliciter directement une aide humaine."
Les ministères
Le ministère de l'Education nationale fait valoir que "plus de 430 000 élèves en situation de handicap sont scolarisés en milieu ordinaire", que 303 nouveaux dispositifs ULIS ont été créés ainsi que 84 nouveaux dispositifs "troubles du spectre de l’autisme et 60 nouvelles "équipes mobiles d’appui à la scolarisation". L'Education nationale et le MSAPH (ministère "des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées) entendent donner "des outils et solutions pour apporter une réponse adaptée aux besoins de chaque élève", "favoriser les échanges entre les acteurs", "poursuivre la formation des personnels des deux ministères". Ils ont défini trois thèmes majeur, "l’évaluation des besoins", la diversité des dispositifs et "le rapprochement entre le secteur médicosocial et les établissements scolaires".
Le rapport sur "la scolarisation des élèves en situation de handicap" ici