Oui, la réforme du collège commence par celle de la liaison CM2-6ème, mais... (Georges Fotinos)
Paru dans Scolaire le dimanche 11 décembre 2022.
Alors que Pap Ndiaye prévoit des annonces sur le collège, Georges Fotinos nous adresse cette tribune que nous publions bien volontiers. Selon la formule traditionnelle, ses propos n'engagent que leur auteur.
Au moment où le ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse considère qu’il faut réformer le Collège, "l’homme malade du système" en commençant en priorité par la transition CM2-6ème, il nous a semblé opportun, pour mieux comprendre le caractère crucial de cet enjeu, de remettre en perspective cette décision et d’apporter, à la lumière des travaux, études, rapports réalisés sur ce sujet ainsi que de l’expérience professionnelle de l’auteur, des pistes concrètes d’amélioration de ce moment charnière.
Dans la majorité des cas en effet, on constate une nette désaffection de la participation des enseignants du 1er degré aux "Conseils écoles - collège". J'ai vu des CEC de 18 membres ne compter que 5 professeurs des écoles. Cette situation est due essentiellement à un service d’enseignement qui laisse peu de temps pour les concertations, à l'absence d'indemnités pour les heures après l'école, mais aussi et peut être surtout à la prééminence des priorités du Collège. Les "échanges" sont la plupart du temps à sens unique.
Et pourtant la continuité et la progression éducative absolument indispensables pour mener les élèves au bien-être et à la réussite scolaires supposent d’établir un dialogue d’égal à égal.
Rétrospective
Bien que la question de la nécessité et de la qualité de la liaison Ecole/Collège se pose depuis la création du Collège unique en 1975, son importance tant sur le plan pédagogique, éducatif, organisationnel que politique est relativement récente. Deux lois, véritables moteurs de l’évolution de notre système scolaire en sont les bases.
La loi de juillet 1989 introduit et définit la notion de cycle et un décret de 2013 la modifie pour un découpage en 4 cycles distincts, notamment un nouveau cycle 3 (cycle de consolidation CM1-CM2-6ème) qui vise à "reconnaître et respecter les différences entre élèves sur le plan de leur capacité d’apprentissage".
La loi d’avril 2005 crée le socle commun de connaissances et de compétences auquel sera ajouté en mars 2015 la culture. Ce socle est évalué par matières et par compétences par des bilans périodiques et de fin de cycles. L'ensemble des ces informations constitue le LSU, (livret scolaire unique) accessible en ligne pour les familles.
C’est dans ce cadre qu’a été créé quasiment dans la même composition que la Commission de liaison Ecole/Collège de 2011, le Conseil Ecole/Collège en 2013 dirigé par l’IEN et le principal du secteur, et composé de professeurs des écoles et de professeurs du collège (nommés à égalité)
La situation actuelle
Un état des lieux établi par l’IGESR (l'inspection générale, ndlr) d'une part et d’autre part par le SNPDEN (le syndicat UNSA des personnels de direction, ndlr) montre une véritable hétérogénéité dans le fonctionnement et les pratiques. Selon les territoires et les équipes, il est possible de passer d’une simple réunion institutionnelle à de véritables projets et temps de travail partagés entre les écoles et le collège du secteur avec échanges de service des personnels.
Les initiatives qui fonctionnent reposent sur la volonté et l’impulsion d’équipes de direction motivées qui s’appuient sur quelques enseignants et CPE dynamiques. L’obstacle du temps de rencontre (fortement rédhibitoire), du nombre d’école à associer (et d’élèves à repérer ou à suivre ) notamment en zone d’éducation prioritaire mais aussi dans les réseaux ruraux est très souvent présent et bloquant. Il faut par exemple 7h30 pour examiner les dossiers de passage en 6ème de 150 élèves d’une circonscription primaire à raison de 3’ par élèves.
Or des pistes d’amélioration existent.
Le LSU (livret scolaire unique, de la maternelle à la classe de 3ème) doit être simplifié pour faciliter la passation numérique entre l’Ecole et le Collège. Il doit devenir ergonomique et consultable à la fois par le primaire et le secondaire. Il est actuellement très peu utilisé par les personnels de direction.
Les plans de formation entre le 1er degré et le 2nd degré doivent être encouragés et valorisés pour lever les nombreux blocages, qu'il s'agisse de leur conception, de leur réalisation, ou du temps de formation. L'accent doit être mis sur les classes dites de "continuité école/collège", en systématisant pour les classes de CM2 et de 6ème les enseignements co-conduits.
Il faut aussi mettre en place un pilotage spécifique du cycle 3 et des instances réunissant professeurs des écoles et professeurs de collège, avec un groupe d'appui au niveau académique. Cela suppose d'organiser le service des enseignants et CPE ou de prévoir des primes et des heures supplémentaires, mais aussi d'ajuster le contour des circonscriptions primaires pour qu'il corresponde à celui des secteurs du collège pour faciliter la mise en œuvre des CEC (Conseils écoles-collège) et des conseils de cycle 3. Les CEC doivent être pensés "comme une structure permanente gérée conjointement par un conseiller pédagogique de circonscription et un CPE choisis sur projet avec un mandat de 3 ans.
In fine il nous semble que ce oui/mais construit sur un très large corpus de travaux et d'observations pourrait être saisi comme un élément dessinant les principales lignes de force de façon à redéfinir la transition Ecole-Collège comme une "fertilisation croisée" et proposant des actions probantes et interdépendantes. Le tout réalisé au bénéfice des élèves.
Georges Fotinos a été chargé d’Inspection générale. Il est notamment auteur ou co-auteur de 12 études et rapports sur le climat scolaire et la qualité de vie au travail.