Climat scolaire, un effondrement qui n'est pas dû aux élèves (E. Debarbieux et B. Moignard pour l'ASL)
Paru dans Scolaire le mardi 18 octobre 2022.
La méfiance des personnels de l'Education nationale "est devenue telle que tout pilotage hiérarchique, bureaucratique et centralisé est voué aux gémonies, même, et peut-être surtout, celui d’un pouvoir vertical qui affirme de bien haut la liberté des acteurs", estiment Eric Debarbieux et Benjamin Moignard. Les deux chercheurs présentaient, ce 18 octobre, les résultats de l'enquête menée juste avant l'été pour l'Autonome de solidarité laïque et titrée "A l'école de la défiance", une allusion claire à la "loi Blanquer" titrée "pour une école de la confiance".
"On assiste, écrivent-ils dans leur rapport, à un véritable effondrement de la qualité des relations entre adultes, en lien avec une remise en cause très forte des hiérarchies, tant proche que lointaine", puisque 78 % des 8 851répondants, tous personnels du 2nd degré, enseignants, personnels de direction, CPE et vie scolaire, personnels administratifs, personnels de service..., estiment "ne pas être respectés par la hiérarchie hors établissement". Les réformes récentes ne sont approuvées que par "moins de 7 % pour les enseignants" et 44 % des personnels de direction.
Le climat scolaire s'est donc "fortement dégradé entre 2013 et 2022", si l'on compare les réponses données cette année à celles données une dizaine d'années plus tôt à une enquête comparable. Le pourcentage d'insatisfaits passe de de 37,8 % à 50,7 %. Mais les élèves n'en sont pas responsables." 80 % des répondants pensent que la relation entre enseignants et élèves est bonne ou plutôt bonne contre 78 % en 2013. "Le sentiment d’être respecté par les élèves reste très majoritaire (84,5 %), dans toutes les catégories de personnels." 42 % des personnels rapportaient avoir été injuriés dans le cadre de leur fonction en 2013, ils sont cette année 40 %. Quant aux violences physiques, elles sont "toujours extrêmement rares". Les violences avec armes sont "rarissimes (moins de 0,4 % de l’échantillon) et il s’agit dans la plupart des cas d’armes par destination (cutter, compas, outil en atelier)". Les auteurs commentent : une donnée qui rend "totalement caducs les fantasmes de détecteurs de métaux et de fouilles des cartables pour régler le problème". De même pour la vidéoprotection puisque les violences par intrusion sont rares: "2 répondants sur l’ensemble se sont fait frapper par des intrus et 4 par des inconnus à l’extérieur de l’établissement".
En ce qui concerne le sentiment que la laïcité est menacée, qu'expriment 53 % des répondants, c'est plus souvent le fait des personnels qui se disent insatisfaits du climat scolaire, 63 % d'entre eux, alors que ce n'est le cas que de 38 % de "ceux qui apprécient le climat le plus favorablement". Eric Debarbieux fait d'ailleurs le lien entre ce sentiment et celui de n'être pas protégé par l'institution, de n'être pas soutenu. En revanche "le fait d’enseigner en REP ou ailleurs n’a pas d’incidence significative sur ce sentiment."
13 % des personnels sont confrontés "très souvent ou assez souvent" à des remises en cause de leur enseignement, mais les contestations portent plus souvent sur "les méthodes pédagogiques utilisées" que sur les contenus. Au total, 3,7 % des répondants ont été "confrontés, souvent ou très souvent, à une remise en cause de leurs contenus en lien avec la religion". Ces remises en cause ne génèrent "pas forcément" des tensions fortes. "Ca fait partie du travail", estiment beaucoup d'enseignants.
La moitié des personnels disent "demander assez souvent ou souvent à leurs élèves de modérer leur propos", souvent des insultes ou un "langage déplacé ou, pour un quart des répondants, "des situations de racisme ou de xénophobie et de LGBT-phobie" et dans la même proportion, "à propos de la religion" tandis que "15 % des personnels sont confrontés à des discours liés aux théories du complot".
Ces difficultés sont donc réelles, mais elles n'expliquent pas cet "effondrement" du climat scolaire. "La principale évolution des victimations déclarées par les personnels" est due aux relations entre personnels", on passe en 10 ans de 11 % à 20 % de répondants s’estimant harcelés. "Très majoritairement, ce harcèlement supposé n’est pas exercé par les élèves, mais d’abord par d’autres professionnels." Les équipes pédagogiques sont jugées peu ou pas solidaires par 40 % des répondants en 2022 contre 33 % en 2013. La moitié des personnels interrogés (48 %) perçoivent une mauvaise qualité de la relation enseignants/direction, en augmentation de 14 % par rapport à l’enquête précédente. "La perte de sens liée à des réformes mal comprises et malmenantes, ajoutée à la crise sanitaire et à une communication ministérielle erratique, ont placé les cadres de terrain dans des situations très difficiles à gérer (...). La réforme de la formation est conspuée avec un taux d’approbation de moins de 8 % (...). Le scepticisme et la souffrance au travail ont été multipliés tant pour ces cadres que pour la base."
"On passe de 31 % de personnes déclarant n’être pas satisfaites de leur métier à 55 %" en 10 ans. En 2013, 30 % des répondants songeaient souvent à quitter leur métier, ils sont 51 % dans ce cas en 2022. "Le problème n’est donc pas simplement d’attirer de nouveaux enseignants, mais de retenir les autres ou d’éviter leur découragement", concluent les deux auteurs.
Quant à l'Autonome de solidarité, dont la fonction est de "prévenir les risques du métier", mais aussi d'intervenir lorsqu'un personnel de l'Education nationale est mis en difficulté au plan juridique, elle constate qu'après une décrue du nombre des dossiers, liée à la pandémie, leur nombre revient au niveau d'avant crise, et ce sont toujours les menaces ou les diffamations qui viennent en tête. Elle note pourtant une évolution, les demandes de conseils, qui représentait 7 % des dossiers en 2021, est passée à 25 %, une évolution sans-doute révélatrice du besoin de s'adresser "à un tiers de confiance" plutôt qu'à l'administration. L'ASL note également que le nombre de dossiers traités par la Justice diminue très sensiblement : "Il y a de plus en plus de refus de prise en compte (des plaintes) dans les commissariats (...). Alors qu'en 2020, 4,5 % des dossiers étaient traités au tribunal, ils sont moins de 1 % en 2021." L'ASL y voit une des causes de la défiance des enseignants à l'égard des institutions étatiques, qui ne semblent pas considérer qu'ils méritent attention et protection.