Orientation, prévention, désengagement, santé : l'avis sévère du CESE sur les mesures employées contre le décrochage scolaire
Paru dans Scolaire le jeudi 13 octobre 2022.
“Un phénomène s’est ajouté à celui du décrochage scolaire, celui qualifié de désengagement scolaire“, explique le CESE dans son Rapport annuel sur l’état de la France (RAEF) 2022 publié mercredi 12 octobre.
Dans sa contribution relevant de l'éducation (chapitre 8) où sont évoquées les sorties précoces du système scolaire, le Conseil économique social et environnemental indique que ce phénomène, qui se caractérise par “un manque de participation d’un élève aux activités proposées par l’enseignante et l’enseignant et/ou un faible niveau de communication de l’élève avec lui ou elle“, concerne “20 à 30 % des élèves (les plus touchés étant en zone d’éducation prioritaire ou en filière professionnelle) dont 40 % n’avaient pas été repérés en risque de décrochage".
Pour étudier le phénomène du décrochage, est notamment utilisé l’indicateur “sorties précoces“ qui mesure la proportion de jeunes de 18 à 24 ans qui ont le diplôme national du brevet, ou aucun diplôme, et qui ne poursuivent plus ni études ni formation sans être pour autant en emploi. En 2020, ce taux est de 9,9 % dans l’Union européenne et de 8 % pour la France, en baisse de 3,3 points depuis 2010. Il correspond à un total de près de 430 000 jeunes. Il est plus élevé pour les hommes (9,7 %) que pour les femmes (6,3 %), ce que le CESE explique “en partie par la différenciation genrée des rôles sociaux qui prépare davantage les filles à l’intériorisation des normes scolaires“, et “par une orientation vers des formations non choisies pour les élèves les plus en difficulté“, au sein desquels les garçons sont plus nombreux.
La France a donc déjà dépassé l'objectif fixé au niveau européen (9 % à l’horizon 2030) même si le phénomène du décrochage scolaire “est persistant“ et que les effets de la crise sanitaire liée à la Covid-19 ne sont pas encore tous visibles, sachant que ses conséquences économiques, sociales et environnementales “sont préoccupantes“ notamment dans le domaine scolaire.
Car si les mesures sanitaires prises pour protéger la population “ont eu un effet conjoncturel significatif sur les élèves les plus fragiles ou en difficulté avec l’institution scolaire“, la pandémie “a provoqué un phénomène inédit de perte de lien entre eux“, tout comme avec une partie des parents. En outre, “le port du masque de façon permanente a également constitué une difficulté signalée dans l’apprentissage et la relation aux enseignantes et enseignants, notamment pour les plus jeunes enfants scolarisés“, poursuit le CESE dans son rapport. Ainsi, jusqu'à 600 000 et peut-être 1 000 000 d’élèves ont pu être concernés pendant quelques semaines, et les conséquences à long terme sur l’assiduité et le parcours scolaire des jeunes “n’est à ce jour pas connu, en particulier pour les plus jeunes qui ont commencé leur scolarité pendant la crise sanitaire“.
Dès lors, “des effets multiples sont à craindre sur la scolarité mais aussi sur la santé physique et psychologique des enfants et des jeunes qui pourraient avoir des conséquences, à plus long terme sur la réussite de leur parcours et leur insertion professionnelle".
Les acteurs éducatifs et les parents “regrettent le manque structurel des personnels médicaux et de santé“ et évoquent une situation qui “rend difficile la prise en charge des nouveaux besoins en termes de santé physique ou psychologique liés à la crise sanitaire“, d’autant que “les problèmes de santé mentale chez les enfants et les adolescents préexistaient avant la crise sanitaire, touchant les jeunes femmes plus que les jeunes hommes".
Le CESE formule par la suite des recommandations, estimant que les raisons du décrochage scolaire sont plurielles et que “d’autres pistes plus axées sur la prévention pourraient être explorées“. Par exemple, “mériterait d’être encouragée“ une transformation des enseignements vers des matières et des pratiques tout aussi indispensables à l’acquisition de la connaissance et à l’accomplissement de soi (domaines artistiques, manuels, sportifs ou en lien avec la citoyenneté). Transformer par exemple sa pédagogie pourrait ainsi “donner des opportunités de réussites et de développement du sentiment de capabilité, nécessaires à l’estime de soi et à la prise de confiance en soi, terreau indispensable pour aborder et dépasser les situations difficiles, à l’école ou ailleurs“.
Est également souhaitée une refonte de l’orientation “qui s’appuie encore trop sur les résultats scolaires, lesquels sont associés à des disciplines qui peuvent installer très tôt une mise à distance de certains élèves vis-à-vis des apprentissages. Les choix d’orientation sont encore à ce jour trop soumis à la hiérarchie des voies de formation, aux caractéristiques du parcours au collège, au milieu social, au genre, au territoire“.
Le CESE ajoute que “des réformes structurelles comme celle de la réforme du lycée général, ont pu, du fait de choix d’enseignements disciplinaires élitistes, notamment en mathématiques, renforcer encore davantage les déterminismes sociaux et les inégalités de genre“, c'est pourquoi “il conviendrait de développer pour toutes et tous l’accès, la sélection et l’appropriation de l’information pertinente, particulièrement élèves et parents“.
Enfin, pour assurer le déploiement du dispositif d’obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans et favoriser son efficacité, une autre préconisation invite à développer une coordination plus forte entre les acteurs de terrain concernés, évaluer les résultats des dispositifs mis en place par le ministère de l’Education nationale et les Régions au regard des objectifs poursuivis (reprise d’études, orientation, formation, engagement citoyen, insertion professionnelle) et rendre compte des actions engagées.
Le rapport annuel sur l’état de la France ici