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Le décrochage en milieu rural, “un phénomène abrupt et discret“ (Cereq)

Paru dans Scolaire le dimanche 25 septembre 2022.

Quelles sont les particularités inhérentes au décrochage scolaire ayant lieu au sein des espaces ruraux ? Dans une étude parue dans la revue Formation et Emploi du Cereq, le sociologue Clément Reversé interroge le rôle de l'espace territorial dans un contexte rural en Nouvelle-Aquitaine, ainsi que l'impact de l’école et de l’éducation dans le processus qu’est le décrochage scolaire.

Les espaces ruraux, rappelle-t-il, caractérisés par leur faible densité de population et la discontinuité du bâti, regroupent 17 % des jeunes sortants sans diplôme. Pourtant, “malgré des origines socio-économiques plus populaires qu’en ville, les élèves ruraux ont dans leur ensemble des résultats et un taux de réussite assez similaires à ceux des urbains“, et “plus encore, leurs résultats à l’entrée au collège sont supérieurs au reste de la population, puis s’égalisent par la suite“.

Trois raisons à cela, pour commencer “une implication familiale plus forte dans la scolarité en primaire, ainsi qu’une plus grande confiance de la part des parents envers les enseignants, rendue possible par des relations interconnaissances locales plus fortes qu’en ville, au sein d’espaces à faible densité de population“. Aussi, les écoles primaires des espaces ruraux “ont des effectifs réduits qui permettent une attention plus importante aux besoins de chaque élève, ainsi que des classes multiniveaux qui favorisent l’apprentissage“. Enfin, l'auteur indique la possibilité d'une implication des enseignants “plus importante qu’en ville, ainsi qu’une plus grande facilité d’adaptation des enseignements aux besoins de chaque élève notamment rendue possible par un manque de lisibilité des cadres de politiques publiques urbano-centrées en milieu rural. En effet, hors des cadres de politiques urbano-centrées, les enseignants peuvent plus facilement répondre aux besoins des élèves.“

Mais alors que les élèves ruraux ne sont pas défavorisés scolairement, leurs parcours scolaires sont marqués à partir de l’entrée au collège, “par une orientation massive vers des filières plus courtes et plus professionnalisantes“. D'ailleurs 61 % des élèves en lycées ruraux se trouvent dans des filières professionnelles, contre seulement 39 % parmi les lycées urbains.

Et si ces jeunes se dirigent avec plus d’évidence vers des voies professionnelles, celles-ci ne sont pas perçues “comme un biais de disqualification“, tandis que “l’entourage du jeune et aussi le contexte socio-économique au sein duquel il se construit ont une influence certaine en la matière". Ce que confirme une directrice de CIO, trouvant “évident que sur un territoire comme le nôtre, très rural, où on a plutôt des parents ouvriers ou employés à bas niveau, les jeunes s’orientent vers les filières qu’eux, ou que papa et maman connaissent.“

Clément Reversé estime que ces jeunes rencontrés ne manquent pas d'ambition ni de motivation, cependant le “deuil des grands métiers“ semble “plus exacerbé et précoce“, les faisant très rapidement paraître comme inatteignables. Ainsi pour cette jeune fille “c’est bien d’avoir des rêves, mais au bout d’un moment, faut aussi avoir les pieds sur terre". Ce choix est également influencé par l’offre de formation proposée sur place et qui impose un choix difficile entre migrer en ville pour des études supérieures ou rester sur place et s’adapter à l’offre de formation locale disponible.

Surtout, au collège, “le tri scolaire et le déclenchement du processus amenant au décrochage scolaire s’entament“ , et l’accompagnement est plus faible. Du coup, les attentes en matière d’autonomisation dans son travail et la forte hiérarchisation des résultats en fonction des premiers de la classe vont créer un point de rupture mentale, et émotionnelle, avec l’école. Durant cette période va donc se créer un désamour de l’école, une cessation de l’affection qu’ils pouvaient ressentir envers l’école durant leurs années de primaire, qui se met en place par la confrontation d’une période de construction de soi et d’une dévaluation forte de leurs capacités scolaires. Les retards de ces jeunes deviennent, de manière abrupte, une succession d’échecs les hiérarchisant en fonction de normes élitistes.

Le sentiment profond qu’ils ne sont “pas faits pour l’école“, ainsi induit, “les conduit à intérioriser leurs échecs scolaires et à se désengager petit à petit des enseignements, tout en restant présents au sein de la classe et de l’établissement qui demeure, dans des espaces à faible densité de population, le lieu central des relations amicales juvéniles“.

Ces jeunes ont intégré la nécessité scolaire et l’importance effective du diplôme, mais ils ressentent une profonde inaptitude à la poursuite d’une scolarité “classique“, qui se traduit par une orientation massive vers des filières professionnalisantes “souvent dévaluées“. Cependant, il n’y a pas tellement de crainte de dévalorisation à s’orienter vers ces filières, mais au contraire un souhait d’une revalorisation de ses capacités à ce qu’ils nomment le “vrai travail“, un travail plus “concret“ que le travail scolaire. A cela s'ajoute la volonté d’insertion rapide sur le marché de l’emploi et d’une transition précoce vers l’âge adulte.

Mais, poursuit le chercheur du Cereq, ces orientations ne sont pas entièrement libres puisqu’il s’agit le plus souvent d’une “préférence adaptative“ où le choix est le résultat du contexte au sein duquel il est fait. Une part importante de ces jeunes dit d’ailleurs avoir du mal à comprendre les raisons des orientations proposées par leur établissement. Entre une orientation possible vers des filières dévaluées et la limitation de l’offre de formation en milieu rural, une part importante des parcours scolaires après le collège est consentie plutôt que choisie.

Ces jeunes ne s’orientent donc pas seulement selon leurs ambitions professionnelles, mais surtout parmi des parcours disponibles localement et avec des attentes assez “basses“ pour qu’ils puissent obtenir un diplôme. Ainsi cette forme d’orientation “réduit fortement le sens que le jeune peut donner à sa formation“, et cette perte de sens dans leur orientation, “dernière étape avant la rupture avec l’institution“, va un peu plus amener l’idée d’un potentiel décrochage scolaire puisqu’ils ne sont pas orientés vers des filières qui les stimulent, mais des filières considérées comme suffisamment “déclassées“ pour leur permettre d’accéder au diplôme.

Aussi, si l’on ne considère ces jeunes comme des « décrocheurs » qu’à partir du moment où ils quittent physiquement l’établissement, la plupart ont déjà décroché émotionnellement et mentalement depuis des années déjà. Dès lors, et hormis une volonté d’insertion professionnelle prégnante, le décrochage scolaire de ces jeunes en milieu rural va se distinguer des formes habituellement décrites par la littérature sociologique “par sa discrétion et son caractère extérieurement abrupt.“

Ce décrochage est un acte discret qui n’est pas un éloignement progressif de l’institution. Il s’agit d’un décrochage lors des vacances scolaires qui représentent une opportunité. Il a le plus souvent lieu en été (et parfois lors des vacances de fin d’année), ce qui correspond à une période de creux de l’activité scolaire et aussi à la réception des bulletins scolaires. Ce seront ainsi de mauvaises notes, un redoublement ou encore un refus dans une formation souhaitée qui constitueront l’évènement déclencheur du décrochage scolaire. Cet échec « de trop » sera l’impulsion que ces jeunes attendaient pour rompre avec leur formation.

Alors qu’il est souvent compris sous le prisme de l’abandon, conclut l'auteur, le décrochage est pensé par ces jeunes comme un réinvestissement qui permettra enfin de prouver leurs compétences non scolaires. Là où l’école représentait un espace de dévaluation et de rabaissement, le décrochage semble offrir une opportunité bien plus gratifiante.

Du désamour à la rupture : le décrochage discret des jeunes ruraux de Nouvelle-Aquitaine, Clément Reversé, Formation et Emploi n° 158, CEREQ

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