L'Education à la sexualité en milieu scolaire “peine à s’affirmer en tant que politique publique“ (IGESR)
Paru dans Scolaire le mercredi 21 septembre 2022.
“Cette mission pose la question de l’existence et de la réalité de cette politique publique“, affirment les inspecteurs généraux de l'Education nationale dont l'objectif était d'analyser le dispositif d'éducation à la sexualité, et de mieux comprendre ses enjeux ainsi que son contexte.
Une histoire chaotique
L'EAS, racontent-ils, “s’inscrit dans une histoire assez chaotique, qui participe elle-même à l’histoire de la sexualité". Celle-ci suscite toujours des réactions contrastées : de l’intérêt, des questionnements, des peurs, une gêne, des réticences, un rejet. Elle est un sujet sensible “comme le montrent les affaires et les controverses qui jalonnent ponctuellement sa mise en œuvre et qui contraignent le ministère à se justifier et à faire part d’une grande prudence“. Et pendant longtemps, “malgré les exhortations des experts, l’École est restée à distance de ce sujet jugé ‘sulfureux‘ qui questionne les frontières éducatives.“
Au fil du temps, son périmètre a été élargi, ses appellations ont évolué, et “le sens et le contenu de l’EAS définis initialement ont été transformés“, ce qui peut “poser des questions de lisibilité et de compréhension“. Dès lors, “le sens de l’éducation à la sexualité (stricto sensu et lato sensu) n’est pas forcément compris par le public, et parfois en interne par certains personnels de l’éducation. Pour beaucoup, son contenu multidimensionnel est jugé flou ou excessivement étendu.“
Une politique “cachée“
A la question de la difficulté à la cerner, s'ajoute pour l'EAS un cadre réglementaire et opérationnel “qui manque de clarté“. Les inspecteurs généraux s'interrogent sur la spécificité de l'éducation à la sexualité qui “concerne un domaine ‘pas comme les autres‘ car elle touche à la sphère publique, aux structurations sociales et politiques ; elle touche aussi aux valeurs portées dans la sphère privée et à l’intimité de l’individu.“
Les inspecteurs généraux estiment en outre que l’EAS “peine à s’affirmer en tant que politique publique au sens premier du terme“, et qu'elle se retrouve “cachée“, “essentiellement dans la politique éducative sociale et de santé menée par le ministère de l’Education nationale et dans les stratégies nationales ou plans interministériels sur la santé, l’égalité et la protection de l’enfance“.
A cela s'ajoute que les établissements sont “très loin“ d’atteindre l'objectif de mise en œuvre des trois séances dédiées à l’EAS pour tous les élèves depuis l’école élémentaire jusqu’au lycée, et l’enquête conduite par la mission dans une académie montre que la sensibilisation des élèves à l’EAS “reste très modeste“ avec moins de 15 % des élèves bénéficient de trois séances d’EAS pendant l’année scolaire en école et au lycée, et moins de 20 % au collège. Ainsi, “force est de constater que bien des élèves traversent leur scolarité sans avoir bénéficié d’une seule séance d’EAS, si l’on excepte les apports des programmes des disciplines liées aux sciences de la vie, aux sciences médicosociales et à la prévention santé environnement, portant sur des aspects essentiellement physiologiques.“
Un cadre mal défini
“Absence de moyens horaires, distinction peu claire entre les enseignements et les séances, conditions de prise en charge souvent aléatoires, en matière de temporalité et de public“... Les inspecteurs de l'IGESR reviennent plusieurs fois sur la dernière circulaire concernant l'EAS (voir ici) “qui n’est pas sans conséquence sur la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité“, car “peut-être un peu trop synthétique“, et dont certains points importants “sont éludés“, comme la maternelle “qui n’est plus évoquée“.
Autre problème, se pose “de plus en plus la question de l’agrément des associations“, mais également celle “liée au faible investissement des enseignants dans l’EAS, aux réticences de nombreux personnels ou à l’accroissement des tâches générales des infirmiers et infirmières : doit-on ou non externaliser davantage ces tâches ?“ demandent-ils.
Et si l’argument d'un manque de formation des enseignants des autres disciplines sur l’EAS “apparaît certes comme étant un obstacle réel“, il s'avère que “le manque de motivation pour un thème qui n’apparaît pas explicitement dans les programmes scolaires assorti de la détermination des enseignants à ‘traiter le programme‘ constitue le frein majeur à la prise en charge de l’EAS. Ces difficultés seraient surmontables si l’EAS entrait dans la déclinaison des attendus de formation au sein des programmes scolaires."
La mission se dit d'ailleurs “interpellée par le décalage entre le foisonnement de ressources d’origine, de forme et de portée multiples et la maigre appropriation de ces ressources par l’école au vu de la faible part d’élèves bénéficiant de l’EAS chaque année“, mais elle estime que la cause est complexe. Les ressources sont dispersées, parfois redondantes, sans organisation réflexive, celles qui pourraient se situer au cœur des disciplines sont peu nombreuses par manque de support explicite dans les programmes scolaires, les nombreuses ressources pour des activités dans le cadre des séances ne peuvent susciter l’intérêt de l’ensemble de la communauté éducative que si le cadre d’exercice de ces activités en termes de ressources humaines et d’organisation temporelle est mieux précisé. “C’est ce dernier point qui représente un obstacle majeur au déploiement de l’EAS“, précise l'IGESR.
Au final, la mission a constaté des efforts de cadrage, le souci de mieux former les personnels de l’Education nationale et l’accompagnement important des académies et des établissements scolaires, mais “demeurent toutefois un certain nombre de constats liés certes aux difficultés concrètes (modalités de prise en charge des séances, faible participation des enseignants ou manque de clarté du cadre) mais surtout peut-être aux interrogations sur le sens même de l’EAS“.
Le rapport de l'IGESR ici