La territorialisation des politiques scolaires empêchée par la volonté d'égalitarisme ? (la Gazette des communes)
Paru dans Scolaire le mardi 12 juillet 2022.
“Si l’on voulait donner des pouvoirs pédagogiques aux collectivités territoriales, il faudrait réformer la Constitution. Or il n’y a pas de volonté politique de le faire. L’enseignement reste un outil extrêmement politique“, expliquent Pascale Bertoni et Raphaël Matta-Duvignau à nos confrères de la Gazette des communes à propos des aspects juridiques de la déconcentration et de la décentralisation des politiques scolaires.
Pour les maîtres de conférences en droit public à Paris-Saclay , les limites à la décentralisation sont bien juridiques et liées au principe d’égalité. Ils expliquent que l’enseignement n’est pas une prestation de service mais “un outil de transmission des valeurs“. Devoir d'Etat, il possède une “fonction très importante qui s’est construite à travers la laïcité“ que celui-ci “ne veut pas laisser échapper. (..) C’est la raison pour laquelle il ne le délègue pas juridiquement. L’école a été conçue pour que tout le monde bénéficie du même enseignement sur tout le territoire. Mais cette uniformité, qui s’explique par des raisons philosophiques et juridiques, rencontre des limites. Trop d’égalité tue l’égalité. D’où l’idée de déconcentrer.“
Mais “contrairement à ce que l’on pense, ajoutent-ils, ce sont les rectorats des régions académiques qui détiennent l’essentiel des compétences, et non le ministère. Dans les années 80, les lois de décentralisation ont opéré des transferts de compétences pour accentuer cette territorialisation. L’Etat se taille la part du lion, avec l’aspect noble de la pédagogie. Aux collectivités territoriales l’aspect matériel de construction des écoles, du transport scolaire, des services publics qui ne sont pas le cœur même de la fonction éducative, mais qui lui sont indispensables.“
Et si certaines collectivités veulent aller sur le terrain pédagogique, d’autres ne le souhaitent pas du tout. “Le problème, c’est le risque d’embrigadement des consciences. L’échelon étatique limite ce risque. Pour transférer du pouvoir en matière pédagogique, il faudrait que toutes les collectivités soient sur un pied d’égalité, ce qui n’est pas le cas, en raison des inégalités fiscales et financières.“ Ils considèrent qu'on ne peut concevoir la politique éducative en Ile-de-France comme dans le Larzac car “le tissu scolaire n’est pas le même. (..) Si les collectivités territoriales finançaient le service public de l’enseignement avec leurs ressources propres, alors le contribuable aurait son mot à dire. Or nous sommes sur une mission de souveraineté. Cela doit rester défini par l’Etat.“
Ainsi l'idée de rétablir l’égalité par la décentralisation n'est pas retenue par Pascale Bertoni et Raphaël Matta-Duvignau qui estiment que si le principe d’égalité est une nécessité, il est surtout un concept largement idéologique, voire un mythe : “Certains enfants sont bons à l’école et d’autres pas. Il y a surtout des inégalités sociales. On peut essayer de lutter contre pour rétablir l’équilibre. Mais l’uniformité vient créer des inégalités entre les classes sociales, entre les milieux urbains aisés et les zones difficiles. La décentralisation en crée d’autres entre villes et communes rurales. Sans compter les déserts éducatifs dans l’enseignement supérieur. Ces inégalités sont liées à la nature même du territoire.“
L'interview dans la Gazette des communes ici