La qualité de vie au travail, préoccupation essentielle pour les enseignants en formation (M-D Campion et F. Louveaux, interview exclusive)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le jeudi 23 juin 2022.
"Le nombre des démissions d'enseignants augmente en France, mais ce n'est rien à côté de ce qui se passe aux USA, au Canada, dans certains Länder... En France, les enseignants ont encore le sentiment de faire un métier utile, encore faut-il, si on ne veut pas les perdre, qu'ils aient une certaine qualité de vie au travail." Marie-Danièle Campion et François Louveaux, co-pilotes du comité de suivi de la réforme de la formation des enseignants (voir ToutEduc ici), dont la mission prend fin avec l'été, regrettent de ne pas avoir pu donner davantage de place à la QVT.
ToutEduc : Pourquoi la QVT, la qualité de vie au travail, n'a-t-elle pas été un thème de travail du comité ?
Marie-Danièle Campion et François Louveaux : Nous avions à l'origine défini quatre thèmes de travail possibles : la place de la recherche dans les INSPE, le continuum de formation, le rôle des territoires et la qualité de vie au travail. Les organisations syndicales ont été agréablement surprises que nous ayons inscrit la QVT parmi nos préoccupations, mais elles ont estimé, et nous avec elles, que d'autres priorités s'imposaient tant que les textes, notamment sur l'organisation des concours, n'étaient pas publiés, ou n'étaient pas suffisamment détaillés, donc que nous ne savions pas bien où nous allions. Ce dossier n'a donc été traité qu'à la marge dans le cadre du comité de suivi, et nous n'avons pas adressé aux INSPE l'appel à projets que nous avions prévu. Cet appel portait sur la QVT des étudiants, d’une part dans leur INSPE, d’autre part sur leurs lieux de stages, dans les écoles et établissements. Cet appel dérivait du travail préparatoire mené avec les INSPE de Reims, de Lyon, de Normandie (INSPE de Caen, en lien avec le rectorat).
ToutEduc : En quoi vous paraissait-il si important ?
Marie-Danièle Campion et François Louveaux : Le CNESCO a produit, en 2016, une synthèse de la littérature internationale sur le sujet. Même s'il n'a pas donné lieu à beaucoup d'études, le lien entre QVT des enseignants et réussite des élèves est avéré, il a notamment été décrit par des chercheurs de l'Université de Grenoble. L’objectif était donc de susciter une réflexion collective qui implique chercheurs, personnels des INSPE, étudiants et stagiaires, personnels des écoles et établissements scolaires...
ToutEduc : Voyez-vous sur ce thème un ensemble de connaissances académiques qui devrait être intégré au référentiel de formation des enseignants ?
Marie-Danièle Campion et François Louveaux : Non. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'ajouter une discipline au cursus, même si les futurs enseignants peuvent y être sensibilisés et être attentifs à la posture ou à la fatigue de leurs élèves, mais aussi à la leur et surtout, cette préoccupation doit être au coeur des problèmes des INSPE. Nous avions suivi les travaux de Georges Fotinos et Mario Horenstein sur la qualité de vie au travail de divers personnels de l'Education nationale* et nous avons commencé à y réfléchir avec Georges Fotinos avant même que le comité de suivi soit constitué. En fait, cette préoccupation doit se retrouver à tous les niveaux, et pour tous les acteurs de l'Éducation, dans chacune des unités, les personnels vis-à-vis des élèves et entre eux, avec les parents... C'est une préoccupation des individus qui doit devenir une préoccupation commune, s'inscrire dans un projet collectif.
ToutEduc : Pourquoi y attachez-vous une telle importance ?
Marie-Danièle Campion et François Louveaux : Notre école ne va pas bien, mais elle continue d'attirer des jeunes et des moins jeunes, qui y font une seconde carrière. Ils cherchent un métier qui a du sens, leur permet de devenir des acteurs du progrès social et individuel, ciment du "vivre ensemble". Cette croyance dans les vertus de l’École de la République est l'unique levier dont nous disposons pour sauvegarder notre modèle scolaire.
ToutEduc : Mais qu'est-ce que la qualité de vie au travail ? Elle se mesure à l'aune des besoins des personnels, mais que savons-nous de leurs demandes ?
Marie-Danièle Campion et François Louveaux : Nous avons à ce sujet une indication très intéressante avec la création des DRH de proximité. Contrairement à ce qu'on pensait, ce ne sont pas des enseignants en difficulté, ou épuisés, qui s'adressent le plus à elles, mais des jeunes qui veulent savoir quel est leur avenir dans ce secteur, quelles possibilités d'évolution ils auront, où se situer et s'investir... En un mot comment trouver à s’accomplir professionnellement et personnellement.
ToutEduc : Leur devenir dépend de celui de l'institution...
Marie-Danièle Campion et François Louveaux : En effet. Leur QVT dépend de leur sentiment de réussite, mesuré à celle de leurs élèves bien sûr, mais aussi au sentiment de répondre à une demande sociale importante. Celle-ci doit être clarifiée, les acteurs de l'éducation ont besoin de savoir ce que l'on attend d'eux. L'époque où l'instituteur méritait la considération de ses concitoyens et était en même temps secrétaire de mairie est révolue, mais le besoin de reconnaissance reste essentiel.
ToutEduc : Mais toutes les réformes, qui se succèdent, ne prétendent-elles pas mettre l'Ecole en situation de répondre à une demande dont personne ne peut revendiquer l'expression, si on en juge par l'éclatement du paysage politique et donc des visions de l'avenir ?
Marie-Danièle Campion et François Louveaux : C'est pourquoi il ne faut plus envisager une réforme comme une réponse unique et immédiate à tous les problèmes, mais comme une dynamique de co-construction et d'expérimentation.
* pour les retrouver, utilisez le moteur de recherche de ToutEduc, mot clé Fotinos