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La méritocratie masque mal "une mystification, une forme de storytelling" (P. Merle dans les Carnets rouges)

Paru dans Scolaire le vendredi 18 février 2022.

“L’argument de la méritocratie individuelle cherche à nous convaincre que l’accès aux élites ne serait qu’affaire de travail et de volonté, voire de don ou de potentialités. Il masque mal une réalité où la mobilité sociale reste largement entravée par les origines", écrit Paul Devin dans l'édito du dernier numéro de Carnets rouges consacré à l'école et l'élitisme.

De même, le professeur émérite de sociologie (INSPE de Bretagne) Pierre Merle estime que l’ “élitisation du système éducatif français est comparable au phénomène de gentrification ou d’embourgeoisement de certains quartiers des grandes métropoles françaises. Les catégories sociales favorisées se sont accaparé certains quartiers et, de la même façon, certains parcours scolaires." Il explique que toutes les organisations, institutions et hiérarchies sociales sont fondées sur des systèmes de justification “qui ne sont rien d’autre que des représentations idéologiques du monde“ et notamment chez les conservateurs pour lesquels “il n’existerait pas d’inégalités scolaires, seulement des différences de nature qui s’imposent à chacun".

D'où la prégnance d'idéologies “innéistes“ selon lesquelles l’échec scolaire serait dû au caractère héréditaire de facultés intellectuelles. Cette idéologie du “don“ aurait laissé sa place, sous le feu des critiques, à l’idéologie du mérite. Et “sa force argumentative est plus grande. La réussite individuelle ne serait pas liée à des caractéristiques génétiques mais seulement aux différences d’efforts fournis par chaque individu. L’idéologie méritocratique tire son succès de sa conformité aux principes d’égalité et de justice propres à l’idéal démocratique. Elle fait cependant l’objet de fortes critiques.“

Il ajoute que si dans tous les systèmes scolaires, les enfants d’origine favorisée “réussissent mieux que les autres en raison d’une socialisation familiale généralement plus favorable à leur développement cognitif, la spécificité de l’école française est d’accroître particulièrement les chances de réussite des enfants d’origine aisée“, avant de revenir sur l'idée d'une accaparation de certains quartiers : “Le séparatisme scolaire a notamment sa source dans le séparatisme territorial des catégories sociales les plus aisées, le communautarisme des plus riches.“

Pierre Merle estime d'ailleurs que “le collège unique est un mythe. Les collèges classés ‘plutôt favorisés‘ et ‘très favorisés‘ scolarisent principalement des élèves d’origine aisée.“ Il en donne pour exemple la réforme d'affelnet à Paris en 2021, car même les excellents élèves scolarisés dans certains collèges des 19e et 20e arrondissements, assignés à résidence, ne pourront pas accéder aux meilleurs lycées du centre-ville, lycées qui “permettent un accès privilégié aux meilleures CPGE et, in fine, aux très grandes écoles“.

“A compétences scolaires égales, poursuit-il, les enfants d’origine aisée ont, en moyenne, de meilleures carrières scolaires que les enfants des autres origines sociales. En ce sens aussi, le modèle méritocratique est une mystification, une forme de storytelling.“

A noter un article d'Agnès van Zanten sur le rôle de l'élitisme dans le maintien des inégalités, à travers ses différentes modalités (dissimulé et revendiqué).

Carnets Rouges n° 24, Ecole et élitisme, 8€.

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