Pour Souâd Ayada, les programmes d'EMC au collège “appellent plus qu'une clarification ou une reformulation à la marge, ils appellent une refonte globale“ (Sénat)
Paru dans Scolaire le mercredi 26 janvier 2022.
Afin de préparer son audition au Sénat, Souâd Ayada a consulté trois manuels scolaires d'éducation civique et morale (EMC). Elle dit y retrouver les mêmes caractéristiques que pour ceux des autres disciplines, “très peu de textes“, “plein de couleurs, de dessins d'images dans tous les sens“, de la BD et non des œuvres d'art.
Est évoquée une logique de déconstruction, un émiettement où “tout est mis sur le même plan“. Les éléments mis en valeur sont la démocratie participative et pas les “formes traditionnelles“ de démocratie, il y a “beaucoup de choses sur liberté des mœurs, liberté sexuelle, la discrimination“ ou encore les migrants et les droits, “toujours sur le débat d'opinion“, ajoute-t-elle.
Interrogée durant une heure et demie mardi 25 janvier par les sénateurs de la mission d'information “Culture citoyenne“, la philosophe, inspectrice générale, a rappelé la génèse de ces programmes. Elle considère qu'“on a voulu que ce soit un enseignement en 2012-2013, que ce ne soit pas une 'éducation à', que ce ne soit plus une instruction. Incontestablement il y avait la volonté de redonner de la valeur à cet enseignement. Y sommes-nous parvenus ? Pas tout à fait parce que l'horaire reste modeste et il est la variable d'ajustement pour les enseignants en fonction du point où ils en sont de leur programme dans l'année“.
Souad Ayada a majoritairement consacré son audition aux programmes de l'EMC du cycle 4 (5ème, 4ème, 3ème) dont elle a rappelé les finalités : apprendre à respecter autrui, acquérir et partager les valeurs de la République, et enfin construire une culture civique. “Il faudrait reconsidérer les finalités de l'EMC à l'aune de la priorité de dispenser une instruction civique digne de ce nom“, explique-t-elle en appellant de ses vœux une refonte de ces programmes.
Elle souhaite clarifier les attendus de fin de collège considérés “trop abstraits“ et les réduire. Elle évoque une simplification de la structuration des programmes “pour mettre mieux en évidence les fondamentaux“ car les programmes “comprennent de nombreuses strates qui ne facilitent ni l'appréhension ni le traitement". Elle souligne une impression d'éparpillement avec des connaissances émiettées et trop d'exhaustivité, et voudrait redéfinir plus rigoureusement les notions mises à l'étude.
“Au collège l'étude des valeurs prend le pas sur celle de ses principes." La présidente du Conseil supérieur des programmes de l'Education nationale estime que les programmes ne semblent pas viser de connaissances précises, avec “l'égalité comme promesse citoyenne“ ; “les perspectives juridiques, politiques et historiques semblent en revanche écartées au profit d'une approche sociétale ancrée dans des enjeux contemporains."
Nation, liberté, droit, citoyenneté, laïcité etc.. Les différents niveaux ne sont “pas distingués“ et “ces valeurs véhiculent une certaine confusion que renforce le caractère indéterminé de la notion de valeur“, estime Souâd Ayada. Est de plus souligné que “l'angle de la liberté de conscience (légitime, mais réducteur) est privilégié. Elle est parfois réduite à du ressenti“, tandis que “la laïcité est abordée bien plus qu'elle n'est enseignée“ et que “la connaissance, la reconnaissance et l'obéissance à la loi ne sont pas mises en avant“.
A cela s'ajoute l'enseignement laïc du fait religieux, qui “a sans doute toute sa place et on est en droit d'en attendre quelques bénéfices, notamment pour faire comprendre à nos élèves que la laïcité n'est pas en guerre contre les religions“.
“Cet enseignement civique, assure enfin Souâd Ayada, a longtemps été pensé comme devant se déployer de manière indirecte, mais depuis les années 60 la société française a changé et on ne peut plus s'appuyer sur les voix d'un enseignement implicite et indirect“. Elle n'est pas sûre que les professeurs soient bien formés pour le conduire : “je ne dis pas qu'ils sont moins bons mais ils ont profondément changé, je ne suis pas sûre qu'ils soient tous animés du même idéal." Et d'évoquer la fin d'une culture commune, d'une unité, d'une vision du métier “parce que les voies de recrutement ont été multipliées“ et que la réalité montre un acroissement exponentiel du nombre de contractuels dans l'EN.
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