Selon la Cour des comptes, les absences des professeurs relèvent surtout "d’une question d’organisation interne du système éducatif"
Paru dans Scolaire le jeudi 02 décembre 2021.
“Qu’il s’agisse d’absences relevant de raisons personnelles, comme la santé, ou d’obligations professionnelles qui détournent provisoirement l’enseignant de la classe, l’institution scolaire doit assurer la continuité pédagogique“ considère la Cour des comptes dans son rapport dédié à la gestion des absences des enseignants et qui a été publié ce jeudi 2 décembre. Elle ajoute que les familles n’hésitent plus à engager la responsabilité de l’État devant les tribunaux pour défaut de continuité du service public de l’Éducation, ce qui l'oblige à trouver des solutions.
Elle estime d'ailleurs que “limiter les absences des enseignants relève d’abord des obligations du MENJS qui, en tant qu’employeur public, doit être en mesure de déployer les dispositifs les mieux adaptés pour atténuer la portée des absences“, mais elle constate que “ses actions se montrent peu dynamiques et restent contraintes par des règles rigides qui en limitent la portée, contrairement à ce qu’on observe dans l’enseignement privé“. D'ailleurs, selon l’enquête menée par la Cour, aucun contrôle concernant les arrêts maladie n’a été réalisé au cours des trois dernières années, le ministère indiquant que “chaque académie gérait ses propres données, lesquelles ne faisaient l’objet d’aucune consolidation au niveau central“.
De plus, pour les sages de la rue Cambon, l’emploi du temps hebdomadaire et le calendrier scolaire “compliquent la mesure des absences“ des enseignants. Par exemple, un professeur de collège qui rend visite à sa famille deux jours de suite parce qu’il n’a pas cours n’est pas répertorié comme absent, tandis qu’une fraction de leur activité, parce qu’elle s’exerce en dehors de la salle de classe, est injustement assimilée à une absence.
Ils constatent par ailleurs que la crise sanitaire a mis en lumière l’importance de cette continuité du face-à-face pédagogique. “Tout au long de cette période d’enseignement à distance du printemps 2020, ajoutent-ils, les échanges entre élèves, parents et professeurs se sont révélés d’intensité et de qualité inégales. Selon les familles interrogées par la DEPP, certains professeurs se sont mobilisés selon des modalités différentes et avec un degré variable.“ Mais "certaines absences de professeurs, parfois en grande difficulté psychologique, n’ont été découvertes que tardivement, souvent après signalements de parents d’élèves, et ont rarement été déclarées."
Globalement, pour l’année scolaire 2017-2018, le taux d’absence des enseignants du premier degré est de l’ordre de 8 %. Le remplacement des professeurs des écoles est assuré dans près de 80 % des cas dans le premier degré dès le premier jour d’absence et l’accueil des élèves est garanti. Dans le decond degré, près de 10 % des heures de cours ont été “perdues“ lors de l’année scolaire 2018-2019, avec une progression de 24 % par rapport à l’année précédente. Si les absences de plus de 15 jours des enseignants sont remplacées à plus de 96 %, celles de courte durée représentent près de 2,5 millions d’heures (un peu plus de 500 000 sont remplacées), une situation “de moins en moins tolérée par les parents d’élèves voire les élèves.“
A noter que les enseignants sont plus sujets que les autres agents publics à certaines maladies transmissibles (grippe, gastro-entérite), à des problèmes locomoteurs ou des troubles musculo squelettiques (TMS). Les non titulaires sont moins absents que les autres enseignants en proportion (41,7 % versus 43,1 %) et en durée moyenne de congés (10,4 jours versus 15,3 jours). Le coût des absences des enseignants est estimé par la Cour à près de 4 Md€ par an, mais elle précise que les enseignants ne sont pas plus absents que les autres agents de la fonction publique d’État, et le sont moins que les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière.
Selon les sages surtout, “une partie des absences provient du fonctionnement même de l'Éducation nationale. Dites "institutionnelles", elles relèvent davantage d’une question d’organisation interne du système éducatif lui-même que d’un problème d’effectifs. Ainsi dans le second degré, “certaines activités, comme la formation continue, la participation à des jurys ou l'organisation d'examens ou de concours, les réunions pédagogiques, ont lieu sur le temps scolaire et engendrent pour les élèves l’absence de leur professeur“. La Cour compte de plus comme absences la non participation d'enseignants "à des réunions pédagogiques ou à des conseils de classes organisés en dehors de leurs heures d’enseignement“, absences qui ne sont pas pas quantifiée puisque ce temps de travail n’est pas précisé dans leurs obligations de service, bien qu'il corresponde à des missions inscrites dans leur statut. Ils soulignent par ailleurs que “la possibilité reconnue au chef d’établissement de désigner un remplaçant parmi les enseignants disponibles de l’établissement n’est pas mise en œuvre“.
“Faute d’outils, continue la Cour, le ministère diligente une enquête sur les heures d’enseignement perdues dans le second degré qui ne fournit que des données approximatives.“ Alors que le MENJS “doit s’attacher à quantifier le temps de travail effectif des enseignants, qui ne se résume pas au temps d’enseignement devant les élèves“, elle pointe un manque toujours présent d’outils robustes comme une base de données nationale en la matière, et parle d'une insuffisance "d’autant moins justifiée que les établissements du second degré sont presque tous équipés de logiciels qui enregistrent toutes les absences".
Le rapport met également en évidence la médecine de prévention, “sous dotée“ avec 87 médecins de prévention pour 900 000 enseignants, et alors que les raisons de santé sont la première cause d’absence, “le ministère ne conduit pas une politique de prévention structurée“. Il est invité à retrouver une fonction de stratège et de régulateur et ne pas cantonner son action aux initiatives déployées dans certaines académies, comme l’illustre la lutte contre l’épidémie de grippe.
Enfin, si “le chef d’établissement reste toujours aussi dépourvu de moyens pour trouver des remplaçants en dehors des volontaires“, la possibilité qui lui est reconnue "de désigner un remplaçant parmi les enseignants disponibles de l’établissement n’est pas mise en œuvre". La Cour aimerait que l’institution scolaire fasse en sorte que l’organisation des examens ou des concours et des réunions pédagogiques ne morde pas systématiquement sur le temps de cours des élèves, que les stages de formation aient lieu en dehors du temps d’enseignement et que les professeurs participant à des voyages ou des sorties scolaires soient systématiquement remplacés.
Elle souhaiterait encore que le ministère fixe un cadre général des plans de continuité administrative précisant certains attendus des relations entre l’administration et les enseignants, au sein des équipes enseignantes et entre les professeurs et les familles, de façon à améliorer le suivi de l’activité des enseignants par les inspecteurs de l’éducation nationale et les chefs d’établissement.
Elle note d'ailleurs que "les missions de coordination du travail des enseignants, confiées aux professeurs principaux et aux coordonnateurs de discipline ou de niveau, sont peu valorisées" et que "le ministère pourrait s’engager sur la voie d’une revalorisation des fonctions de coopération". Dans le même ordre d'idées, elle rappelle qu'un décret de 2014 "prévoit une disposition permettant de confier à un enseignant qui ne peut assurer la totalité de son service dans sa spécialité, à titre de complément et avec son accord, un enseignement dans une autre discipline conforme à ses compétences", mais qu'elle "connaît une application beaucoup trop timide". D'ailleurs, les enseignants pourraient être incités à enseigner dans des disciplines connexes "par un assouplissement des règles de mutation et d’évolution de carrière, comme c’est le cas pour ceux qui enseignent en éducation prioritaire".
S'agissant toujours du chef d'établissement, la Cour estime que "l’intensité du travail fourni par les enseignants devrait pouvoir être appréciée de leur supérieur hiérarchique et valorisée, afin d’éviter le découragement des enseignants les plus investis. À l’inverse, l’insuffisance du travail de certains enseignants devrait être pointée et sanctionnée en cas de service non fait.". Or le dispositif actuel d’évaluation des enseignants est "aujourd’hui limité aux trois rendez -vous de carrière" prévus par dans le cadre du PPCR (parcours professionnels, carrières et rémunérations" et il "pourrait évoluer" avec des entretiens annuels et l'utlisation des IMP (indemnités pour missions particulières) "comme outils de valorisation des enseignants investis".