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Numérique et confinement : les études avant et pendant montrent des effets bénéfiques sous certaines conditions (André Tricot, 20e UDA du SNUIPP)

Paru dans Scolaire le jeudi 28 octobre 2021.

Le confinement a-t-il induit des changements dans les usages du numérique et les pratiques pédagogiques ? des effets positifs ont-ils été davantage perçus ? Ce sont les questions auxquelles était invité à répondre André Tricot, professeur de psychologie cognitive à l'université Paul Valéry Montpellier 3 et membre du laboratoire Epsylon, à l'occasion de la 20e université d'automne du SNUIPP, qui s'est déroulée à Port-Leucate du 22 au 23 octobre 2021. Celui-ci, qui intervenait samedi 23 octobre 2021 sur le thème "Le numérique au service de l'enseignement à distance : les résultats de recherche avant et pendant le confinement", a proposé un état des lieux des connaissances et des limites des outils numériques : les études menées avant le confinement démontraient que l'enseignement à distance concernait surtout certains publics et permettait d'apprendre dans le cadre de certaines tâches "sous certaines conditions" et les études menées pendant le confinement ont abouti visiblement aux mêmes conclusions.

S'il a en effet été beaucoup question d'usage du numérique durant le confinement, les études qui ont été menées pendant celui-ci montrent qu'il n'y a pas eu de réelle évolution dans les usages - le numérique a une place réelle dans l'enseignement, mais elle est limitée - et dans les apports par rapport à ce qui était observé auparavant. Concernant les usages, avant cet épisode, une étude du CNESCO de 2020 avait montré qu'ils se réduisaient à 1 % au primaire et au collège, quelques fois par semaine. Les études avant le confinement laissaient apparaître aussi des singularités, comme, par exemple, des "usages très intéressants" "mais "pas du tout répandus", comme c'était le cas en EPS, alors que s'observaient à l'inverse des usages répandus avec des effets pourtant pas ou peu intéressants.

La bonne entrée, c'est la pédagogie et non les outils

Avant et pendant, les travaux ont montré que les apports positifs ne concernent pas toutes les tâches. Au début des années 90, une première méta-analyse qui étudiait les plus-values du numérique avait conclu "ça dépend", conclusion qui était la même dans une autre synthèse de la littérature parue après 2010, même si était constaté "un effet positif modéré". Les travaux montraient aussi qu'il fallait y "rentrer par les fonctions pédagogiques" et non par les outils, ce qu'avait identifié précocement la chercheuse Erica de Vries, constat confirmé ensuite dans une grande synthèse de 2018.

Parmi les fonctions pédagogiques pour lesquelles les effets ont été identifiés comme très bénéfiques figurent : la présentation de l'information, notamment dans les disciplines scientifiques, "car représenter un phénomène est difficile par un schéma ou un dessin", explique le chercheur ; la recherche d'informations ; la résolution de problèmes ; les apprentissages basés sur l'entraînement et la répétition ; la production de textes (pour laquelle ont été observés des "effets de qualité" car les logiciels de traitement de texte permettent de corriger, réviser son texte plus facilement, de produire un texte propre...) ; l'expérience en sciences ; la simulation ou la réalité virtuelle (notamment parce que cela présente de gros avantages en termes de gestion de stress, pour apprendre à faire des interventions médicales, piloter, etc.).

Ces tâches, pour lesquelles le numérique pourrait être employé à bon escient, doivent néanmoins être réalisées sous certaines conditions. Faire des exercices "marche parfois mieux à distance car 30 élèves vont recevoir un feed-back personnalisé immédiat", observe le chercheur, mais cela "ne marche que sur des exercices dans des domaines fermés, où une seule réponse est possible". Préparer un exposé ou une enquête documentaire sont également possibles mais à condition de mettre en œuvre une régulation.

Des domaines où sont constatés des effets négatifs

À l'inverse, les recherches ont observé des domaines pour lesquels l'usage du numérique a des effets limités pour l'instant, voire négatifs. Limités par exemple pour la compréhension et les apprentissages émotionnels (regarder une vidéo, une animation, jouer). Mais ces effets "sont-ils liés aux médias ou aux concepteurs qui ne sont pas bons ?", interroge néanmoins le chercheur. Pas d'effets constatés par ailleurs sur la motivation alors que l'on manque de résultats concernant les effets sur la programmation et la créativité.

Enfin, il y a des domaines où les effets constatés sont plutôt négatifs. Pour prendre des notes, découvrir des concepts abstraits, pour la lecture et la compréhension de texte. "On comprend mieux un texte sur papier que sur écran, même si la différence n'est pas très grande", observe André Tricot, qui souligne aussi l'effet de la contrainte temporelle sur la lecture écran, "car on lit moins vite sur un écran". Écouter un cours s'avère aussi plus efficace en présentiel car la qualité de l'interaction verbale mais aussi la qualité de l'interaction non verbale (regard, mouvements du corps, des bras, position du buste...) sont "cruciales", alors qu'à distance "tout est dégradé, notamment sur les aspects de communication non verbale". Les études montrent aussi une très forte dégradation de l'interaction dans les dialogues de co-élaboration, de questionnements et d'ajustement de questionnements.

Au regard de ces résultats, certaines pratiques ou perceptions peuvent d'ailleurs être interrogées. Ainsi, le numérique est le plus utilisé pour comprendre un texte, lire, apprendre à lire alors que les travaux montrent des effets négatifs. De la même manière, 80 à 90 % des enseignants qui en font usage, pensent généralement que cela joue sur la motivation de leurs élèves et sur l'engagement dans l'apprentissage, alors que "l'usage suscite de l'intérêt mais pas de motivation scolaire", corrige le chercheur.

Les publics "contraints" plus enclins à utiliser l'enseignement à distance, donc plus performants ?

Les travaux montrent aussi que l'enseignement à distance peut être pertinent quand il répond à des besoins spécifiques de certains publics. Avant la pandémie, les recherches avaient identifié des effets bénéfiques pour faciliter l'accès à l'apprentissage aux élèves à besoins éducatifs particuliers, plutôt dans le cas de handicaps physiques et sensoriels. Des résultats d'une expérience récente menée avec des enfants de 4 ans atteints de formes sévères de TSA, qui avaient appris en imitant un avatar plutôt qu'un être humain, alors que pour ces enfants l'apprentissage peut être grévé par le coût de l'interaction humaine, annoncent aussi des usages prometteurs. Des domaines où pourtant "il y a scandaleusement peu de travaux", regrette le chercheur.

Les recherches montrent aussi que l'enseignement à distance est surtout "une façon de répondre à une hospitalisation ou à des besoins de formation pour des personnes qui ont un projet de vie". Une étude néerlandaise a ainsi été réalisée avant le confinement sur un dispositif d'université ouverte équivalent du CNED (Centre national d'enseignement à distance) pour étudier le lien entre cette stratégie d'apprentissage et la réussite, en distinguant les âges. Elle montrait que c'étaient les inscrits plus âgés qui avaient des contraintes (professionnelles, personnelles) qui réalisaient des scores très élevés, les mauvais scores étant cumulés plutôt par des jeunes qui s'inscrivaient par commodité personnelle, pour éviter de se lever par exemple. D'où la conclusion du chercheur : "les outils ne changent rien au fait que l'on a besoin de motivation, de stratégies méta-cognitives et d'un engagement fort."

Camille Pons

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