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École inclusive : à quand une réelle révolution inclusive ? (Alexandre Ployé, 20e UDA du SNUIPP)

Paru dans Scolaire le jeudi 28 octobre 2021.

Et si au lieu de gouverner par slogans, l'Éducation nationale faisait enfin la révolution inclusive à l'École, comme elle se fait déjà en Italie, au Portugal ou encore en Amérique du Nord ? C'est en substance le discours tenu par Alexandre Ployé, maître de conférences en sciences de l'éducation et formateur d'enseignants spécialisés dans l'académie de Créteil. Celui-ci intervenait samedi 23 octobre 2021 sur le thème de l'École inclusive, dans le cadre de la 20e université d'automne du SNUIPP qui s'est déroulée à Port-Leucate du 22 au 23 octobre. Très critique sur les politiques ministérielles successives, Alexandre Ployé, qui dénonce "un processus particulièrement inachevé" et "des choix qui peuvent interroger au regard de choix d'autres pays", a livré des pistes pour mener cette révolution inclusive : parmi elles, celles de mettre en œuvre une pédagogie universelle, fondée notamment sur la mise en place de dispositifs didactiques différents mais qui concernent tous les élèves, développer au sein de l'école une culture partagée des personnels de l'Éducation nationale et acteurs médico-sociaux qui devraient y être "à demeure", équipes à qui on déléguerait la prise de décision au quotidien, ou encore développer le co-enseignement.

En France, on fait "semblant d'être une École inclusive", estime le chercheur, pour qui le terme inclusif a été capté, avec d'autres mots symboles comme "respect, égalité, fondamentaux, émancipation..." pour devenir des slogans, mais qui sont "vides de sens" parce qu' "on ne les accompagne pas". Alexandre Ployé égraine les critiques : c'est cette "politique de mot" qui a conduit à la suppression des CLIS (Classe pour l'inclusion scolaire) pour les remplacer par des ULIS (Unités localisées pour l'inclusion scolaire), alors que "ces structures relèvent au mieux de l'intégration, au pire de la ségrégation scolaire" ; les décisions sont prises "dans la verticalité", les enseignants étant jugés "incapables" de les prendre tout seuls ; la notion d'élèves à besoins éducatifs particuliers est "un outil formidable pour son articulation besoin/pédagogie" mais dans lequel "se niche un détail embêtant", le fait que l'on soit en train de "recatégoriser" des élèves dans des dys, des TSA, HPI, multi dys, hypersensibles... Tout cela relève, selon lui, d'un "usage gestionnaire" alors qu' "aucune modification structurelle et aucun moyens" n'ont été mis en œuvre.

Les équipes mobiles médico-sociales, des "pompiers" alors qu'il faut des personnels "à demeure" dans l'école

Le chercheur a aussi évoqué le manque criant de formation en la matière, avec notamment seulement 25h dédiées en formation initiale. "On magnifie l'inclusion sans avoir touché aux structures et sans avoir réellement formé les enseignants", commente le chercheur qui dénonce "l'ambivalence du processus français". Parce que ce "n'est pas simple d'accueillir l'altérité", le chercheur plaide pour une "révolution pédagogique" qui passe notamment par la formation des enseignants, initiale et continue : pour les former à "intégrer cette altérité, notamment radicale, du handicap", mais aussi à "intégrer psychiquement l'élève", en incluant par exemple "des moments d'analyse de la pratique, pour se pencher sur les émotions qu'ils vivent quand ils rencontrent des élèves handicapés".

Sans davantage de moyens, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Amérique du Nord "font une révolution inclusive", explique-t-il. L'Italie a, dès la fin des années 70, fermé ses structures spécialisées pour inclure les élèves dans les classes ordinaires du primaire et du collège. En donnant des moyens : des didacticiens spécialisés (les enseignants spécialisés qui exerçaient dans les structures spécialisées), dont le nombre a été renforcé, et des "aides utiles", qui s'apparentent aux AESH (Accompagnants des élèves en situation de handicap) et AVS (Auxiliaires de vie scolaire). Le Portugal a privilégié il y a quelques années cette tendance, dont la recherche a montré les bénéfices pour ces élèves comme pour ceux qui les accueillent parce que ces derniers développent des compétences comme l'empathie, en veillant à reverser les moyens médico-éducatifs au milieu ordinaire : les personnels des instituts, au sein d'un nouveau modèle de plateforme, régulent les parcours et vont travailler dans les écoles.

Rien à voir avec les équipes mobiles d'appui en France, qui permettent aux acteurs du médico-social de mettre leurs compétences à disposition des établissements scolaires et des professionnels de l'éducation, qu'Alexandre Ployé compare à des pompiers qui viennent et qui repartent. Des "ponctuations", regrette le chercheur, alors qu' "il faut un personnel à demeure dans l'école", car "il n'y a pas de travail sérieux s'il n'y a pas de temps long."

Un modèle de révolution inclusive en Amérique du Nord

Enfin, le chercheur met en avant le modèle de révolution pédagogique qui a été mis en place au Nouveau-Brunswick, au Canada, construite autour de 5 piliers. Les enseignants sont d'abord formés "à réellement changer le regard porté sur la différence, l'altérité, surtout sur le handicap": on ne travaille plus sur l'élève pensé comme inadapté, mais sur l'environnement, son adaptation, alors que "malheureusement, en France, les représentations des handicaps restent essentialisées, c'est à l'élève qu'il manque quelque chose", regrette Alexandre Ployé. "Si on pense l'environnement comme pouvant capaciter l'élève, l'école est inclusive", estime-t-il. Dans la même ligne, cette révolution passe par "le développement d'attitudes favorables à l'inclusion". L'enfant est "d'abord un élève" et doit être "perçu sous l'angle de son éducabilité", développe le chercheur.

Le principe de non catégorisation et l'universalité du droit constitue un autre pilier. Ainsi, au Nouveau-Brunswick, la scolarisation avec les pairs ne peut être refusée pour toute catégorisation, les parents n'ont pas à prouver que l'enfant est incluable, et c'est à l'école de prouver en quoi il y aurait impossibilité de le placer en école ordinaire, "ce qui est très rare".

Répertoire didactique différent offert à tous les élèves et pas seulement à ceux qui ont des besoins éducatifs particuliers

Autre pilier, la création d'une culture partagée de l'inclusion : ce sont les équipes qui décident, prennent les micro-décisions quotidiennes, une déhiérarchisation des rapports sociaux bien loin de l'hyper hiérarchisation en France - le chercheur évoque à cet égard les relations entre enseignants et AESH - et du "principe de verticalité de l'Éducation nationale".

Enfin, et surtout, cela passe par la "transformation pédagogique". Nommée par le Nouveau-Brunswick "conception universelle de l'apprentissage", elle vise à "rentrer dans une logique d'accessibilité dans la classe". Cela consiste, par exemple, à la mise en place, pour une tâche ou une discipline, de plusieurs dispositifs didactiques simultanés, répertoire d'aide qui concerne la classe dans son intégralité, sans qu'un seul élève soit "pointé du doigt" : pour les maths, certains élèves en font par manipulation, pendant que d'autres travaillent sur des fiches en autonomie, d'autres au tableau, etc. Répertoire pertinent, selon Alexandre Ployé, "car tout élève peut avoir à moment donné un besoin éducatif particulier". Cette transformation doit s'accompagner d'autres changements, selon le chercheur, comme en finir avec les évaluations permanentes à des fins d'orientation et encourager le co-enseignement.

Camille Pons

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