La pédagogie Freinet n'a rien à voir avec la non-directivité ("Le nouvel éducateur")
Paru dans Scolaire le jeudi 15 avril 2021.
"Pour Freinet comme pour Korczak, la liberté, ce n'est pas la non-directivité. Il n'y a chez eux aucun idéal de l'enfant sans travail, sans mission et sans contraintes." Laurent Ott (éducateur et "philosophe social“) intervient ainsi dans le dossier titré "quelle liberté ?" du dernier numéro du Nouvel éducateur, la revue du mouvement Freinet. Il résume ainsi un article déjà publié en 1972 de Paul le Bohec, proche compagnon d'Elise et Célestin Freinet, pour qui, "si on laisse les enfants, on les abandonne (...) dans le courant de leurs conditionnements".
Le pédagogue, qui aurait cent ans cette année, estimait qu'il avait "le devoir d'intervenir". Il explique : "Je n'ai jamais pu accepter que, pour des raisons de timidité, pour des impressions superficielles et fausses, par entêtement stupide et injustifié, on puisse refuser de mettre un pied dans des terres qui sont peut-être merveilleuses. Je refuse qu'on refuse avant d'avoir goûté, c'est à dire en vraie connaissance de cause." Ne pas intervenir, pour l'enseignant, ce serait laisser "pour toute chose chacun dans le grabat de ses conditionnements", permettre "aux forts d'écraser sans pitié les faibles". Il est "résolument pour l'intervention, l'intervention multiforme qui permet à chacun de se sentir autorisé à lever la tête et à faire l'apprentissage de la liberté".
Laurent Ott attire l'attention sur l'usage que fait Freinet de l'adjectif "libre". Alors que l'idéologie libérale place l'adjectif devant, "libre entreprise", "libre concurrence", Freinet le place en second et parle de "travail libre". Pour lui, la liberté "n'est pas un confort, pas une opportunité, mais un détournement de ce à quoi elle s'applique". C'est ainsi, explique Henry Landroit, enseignant, que "le texte libre n'est pas une rédaction à sujet libre", il répond à une nécesssité, par exemple répondre à l'injonction de la classe d'écrire une lettre à un camarade hospitalisé. Francine Tétu évoque "la contrainte féconde". Pour un "dessin libre", la consigne peut être "vous dessinez ce que vous voulez, sauf des maisons, des cheminées qui fument, des princesses et des rois (...). Obligés d'imaginer autre chose, les enfants créaient. Emergeait alors une expression nouvelle dont ils étaient eux-mêmes surpris, car dans l'ignorance qu'ils l'avaient en eux depuis toujours."
Le Nouvel éducateur n° 252, avril 2021, 9€