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Les dispositions sur l'enseignement en famille et le hors-contrat du projet de loi "principes de la République" sont anti-constitutionnelles (Créer son école)

Paru dans Scolaire le jeudi 25 mars 2021.

Quatre professeurs de droit, "reconnus et de sensibilités différentes", ont écrit à la demande de l'association “Créer son école“ une contribution juridique destinée aux sénateurs qui vont avoir à voter les dispositions du projet de loi confortant le respect des principes de la République relatives à l'instruction en famille et aux écoles hors contrat.

Pour eux, concernant l'instruction en famille (article 21 du projet de loi), la liberté d'enseignement a valeur historique de par sa présence dans les textes fondateurs : “reconnue dans des instruments internationaux“, elle fait partie en France du bloc de constitutionnalité, on la trouve dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : "Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants." Et ainsi de conclure leur argumentaire: “Comme composante de la liberté d'enseignement, la liberté pour les parents de choisir le mode d'enseignement de leurs enfants, y compris à domicile, a valeur constitutionnelle.“

Ils poursuivent en soutenant qu'avec ce projet de loi “est établi pour l'instruction à domicile un régime d'interdiction de principe, assorti seulement d'une possibilité d'autorisation dans des cas limités". La soumission de l'exercice d'une activité à l'exigence d'une autorisation constitue en soi une interdiction de principe de cette activité : sans l'autorisation, l'activité est interdite: “le législateur passe aujourd'hui à un basculement: le nouveau projet de loi ne réalise plus (comme d'autres loi antérieurement, ndlr) un renforcement du régime de déclaration; en exigeant une autorisation, il supprime purement et simplement la liberté d'assurer un enseignement en famille.“

De plus, “La découverte d'écoles ‘de fait‘, réunissant des enfants ayant fait l'objet d'une déclaration d'instruction en famille, prouve tout simplement que ces enfants ne font pas l'objet d'une éducation en famille: ce à quoi il faut remédier, c'est non pas à l'éducation en famille, mais à la création d'écoles de fait par le détournement de l'instruction en famille. On peut reconnaître sans difficulté le droit et le devoir de l'Etat de s'assurer que les enfants reçoivent une instruction effective et complète et puissent s'insérer dans la société. Les dispositions actuellement en vigueur, récemment renforcées, lui donnent le moyen de le faire: elles établissent des contrôles répétés et rigoureux sur l'instruction en famille. Si ces contrôles sont insuffisants, cela ne tient pas à ces dispositions elles-mêmes mais aux moyens mis en oeuvre pour les réaliser. L'inapplication d'une législation par manque de moyens ne justifie pas une modification de la législation : elle commande de renforcer les moyens, non de renforcer la législation.“

Selon la note de Pierre Delvolvé, Xavier Bioy, Pierre Egéa et Nicolas Sild, “l'objectif poursuivi en l'espèce par le législateur a été exposé par le gouvernement dans l'exposé des motifs du projet de loi et dans l'étude d'impact. Il est essentiellement de lutter contre ‘une forme de séparatisme social'. (…) L'objectif général de donner aux enfants une instruction adéquate et de l'insérer dans la société couvre en réalité la volonté de régler des situations très particulières dont on n'ose pas dire le nom. (...) Car l'interdiction de l'école en famille veut en réalité viser certaines familles dont l'idéologie séparatiste constitue un danger, non seulement pour les enfants, mais pour la société avec les risques que cette idéologie peut entraîner dans le comportement de ces enfants devenus adolescents puis adultes. En visant ces familles, le projet de loi atteint toutes celles dont les conceptions sont parfaitement conformes avec la vie sociale. (...) L'interdiction, sauf autorisation, de l'instruction à domicile, motivée par l'objectif de lutter contre l'idéologie séparatiste n'est ni adaptée ni proportionnée à cet objectif.

Les libertés individuelles et fondamentales, l'autonomie de choix éducatif seraient ainsi annihilées par ces mesures: “Ce ne sont pas seulement des normes internationales qui sont ainsi violées par l'exclusion de toute motivation philosophique ou religieuse dans le projet éducatif des parents, ce sont tout autant des libertés qui trouvent leur enracinement dans l'ordre constitutionnel: la liberté d'opinion, même religieuse, exprimée par l'article 10 de la Déclaration de 1789, la liberté de conscience, que le Conseil constitutionnel a expressément rappelée en lien avec la liberté d'enseignement."

De plus, le projet de loi confortant le respect des principes de la République comporte un article 22 adoptant plusieurs dispositions relatives aux écoles hors contrat. Il permettrait au préfet (et non au tribunal) de fermer les locaux utilisés et d'ordonner aux parents de mettre leurs enfants dans un autre établissement lorsqu'il constate des enfants accueillis aux fins d'enseignements scolaires sans qu'ait été faite la déclaration d'ouverture de l'établissement. Ils soulignent que l'instruction obligatoire devra comporter"l'acquisition progressive du socle commun" et les informations qui doivent être données par les établissements aux autorités de contrôle sont accrues. Des sanctions (pénales avec amendes et emprisonnement) et la fermeture de l'établissement sont prévues.

Pour eux, “ces dispositions nouvelles substituent au régime antérieur, qui donnait au juge judiciaire le pouvoir de prononcer la fermeture d'un établissement privé hors contrat, un régime de fermeture administrative décidée par le préfet. Elles portent une atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle d'enseignement.“

Les juristes avancent que “si ces dispositions instituant un régime de fermeture administrative n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution, c'est parce qu'elles sont proportionnées à l'objectif poursuivi. Tel n'est pas le cas de celles du projet de loi sur la fermeture des écoles hors contrat."

“En conséquence, l'article 22 du projet de loi confortant le respect des principes de la République est contraire à la Constitution, d'une part, en ce qu'il établit par le nouvel article L442-2 du code de l'éducation un nouveau régime administratif de fermeture des établissements d'enseignement privés, en méconnaissance de la liberté d'enseignement, d'autre part, en ce qu'il établit, par les nouveaux articles L441-4 et L914-5 du même code, un régime de sanctions pénales d'amende et d'emprisonnement comportant une disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.“

La note ici

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