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Outils numériques pour l'éducation inclusive : l'efficacité dépend de multiples facteurs (André Tricot, U. Paul Valéry de Montpellier)

Paru dans Scolaire le mardi 23 mars 2021.

"Oui", le numérique a contribué à favoriser l'accessibilité dans l'apprentissage pour des élèves souffrant de handicaps moteur ou sensoriels et on constate des "effets positifs" obtenus avec des "technologies prometteuses", aussi bien pour mettre en place des stratégies de compensation, que de contournement et de rééducation. Pour autant, l'efficacité d'un outil numérique "n'est pas intrinsèque" à celui-ci, elle "dépend de contraintes de temps, de lieu, sociales, organisationnelles", mais aussi de l'acceptabilité ou encore de la formation à ces outils. Ces observations sur les apports spécifiques du numérique pour des élèves à besoins particuliers sont celles du chercheur André Tricot (U. Paul Valéry de Montpellier). Celui-ci présentait le 16 mars 2021 à l'occasion d'une Journée sur l'éducation inclusive "Pratiques d'enseignement inclusives : formation et apprentissages", organisée par les Inspé d'Aix-Marseille et de Nice, ces résultats issus d'une revue de la littérature scientifique qu'il a réalisée récemment, incluant ses propres recherches expérimentales menées autour des services et outils numériques qui ont été développés au service de ce public.

Premier constat, plusieurs travaux montrent que les outils numériques, qui peuvent servir des stratégies de compensation ou de contournement ou encore d'apprentissage, se révèlent dans certains domaines "extrêmement prometteurs". C'est le cas par exemple dans le champ du handicap visuel, pour lequel, depuis 2000, "une littérature conséquente" met en avant "des résultats conséquents", explique le chercheur : concernant les dispositifs de colorisation de lettres, de synthèses vocales, d'audiodescription, de documents et prises de notes en braille, de sonorisation des images, mais aussi le développement de l'accès aux formations en ligne, "prometteur aussi", comme l'utilisation de la réalité augmentée "qui permet de se mouvoir et d'agir dans un environnement réel en recevant des informations dans un monde virtuel", ou encore de la génération automatique de documents sonores pour les élèves qui ne lisent pas le braille.

"Des questions qu'on a oublié de se poser"

Pour autant, plusieurs travaux ont souligné aussi la nécessité de prendre en compte plusieurs contraintes pour rendre ces outils efficaces, en tête d'entre elles la formation des usagers à ces outils. Les résultats d'une étude menée à Singapour montraient ainsi que "sans former, on peut avoir un effet contraire, des résultats négatifs". Réciproquement, une étude malaisienne avait montré que lorsqu'une technologie est "bien maîtrisée par tous les usagers" (élèves inclus, ndlr), on observait "une amélioration des apprentissages et de la mise en œuvre des tâches".

André Tricot souligne aussi, en matière d'accessibilité, qu'il y a "des questions qu'on a oublié de se poser" et l'importance de mener des études autour de la problématique de l'acceptabilité. L'utilisation du clavier Azerty, conçu au temps de la machine à écrire comme le clavier Qwerty pour la langue anglaise, pour éloigner les lettres co-fréquentes (parce que pour les premières machines à écrire, les tiges des touches voisines se coinçaient fréquemment l'une avec l'autre), se révèle être "en quelque sorte anti-ergonomique puisqu'il oblige à plus de mouvements" et "n'a plus de raison d'être". C'est ce constat qui avait motivé le projet, avec l'équipe de Nadine Vigouroux (IRIT, Institut de recherche en informatique de Toulouse), d'un clavier adapté pour des adolescents et jeunes adultes myopathes, donc souffrant de handicap moteur, en remplacement de systèmes de joystick, de trackball, voire de souris qu'ils utilisent pour se déplacer sur un écran et aller choisir les lettres. Cette étude autour de l'usage d'un outil de compensation, un clavier hexagonal rassemblant au centre les lettres les plus fréquentes, montrait, grâce à la diminution des distances à parcourir, "une baisse de la fatigue" et "une amélioration de la vitesse de frappe". Néanmoins, les chercheurs avaient constaté plusieurs mois plus tard qu'il n'était plus utilisé, défaut d'usage qui s'interprète par un problème d'acceptabilité : "c'est déjà pénible d'être myopathe, c'est pénible d'être stigmatisé, si en plus on a un clavier différent !", résume le chercheur qui conclut ainsi que "ce qui semblait être une bonne idée en termes moteurs, s'est révélé une mauvaise idée en termes d'acceptabilité".

L'utilité de l'outil est strictement dépendante des objectifs d'apprentissage et du contexte

D'autres études ont montré par ailleurs que "l'utilité de l'outil est strictement dépendante des objectifs d'apprentissage et du contexte". Constat qu'il a fait notamment à l'issue d'une étude qu'il a menée sur un outil conçu au départ pour des psychomotriciens et orthophonistes, WTS (Write to Speech), afin d' "évaluer l'opportunité de le développer aussi pour les enseignants". Résultat, cet outil qui fournit une analyse de la trace écrite en direct, ainsi qu'une banque d'exercices et un feedback immédiat à l'élève, pourtant "extrêmement performant et parfaitement adapté" dans le premier contexte, "se révèle totalement incompatible en salle de classe". Parce que l'apprentissage du graphisme en classe relève d'activités courtes de 10 minutes, "ce qui n'a rien à voir avec ce pourquoi il a été prévu" (des séances de 30 minutes) et parce que, "dans bien des cas", cette activité est "une activité secondaire au service d'autres activités - on n'est pas là pour tracer des mots mais pour faire d'autres choses -", explique le chercheur. Pour lui, sans prise en compte d'une compatibilité de l'outil avec les "contraintes spatiales, temporelles, sociales, organisationnelles", tout comme des "intentions d'usage" ou encore des contraintes liées aux croyances et convictions, "il n'y a pas de bon usage".

Du côté des études menées sur d'autres formes de handicap, si le chercheur a souligné notamment l'intérêt de celles menées avec des enfants porteurs de TSA (Trouble du spectre de l'autisme) qui apprennent en interaction avec des robots, parce que ces dispositifs donnent la possibilité à ces enfants d'avoir beaucoup moins d'émotions à traiter qu'avec des humains, ou encore celles menées avec des avatars qui ont montré que l'apprentissage était "facilité" par rapport à un apprentissage par imitation quand les enfants souffraient d'une "forme sévère" d'un TSA, il souligne en revanche les effets peu "significatifs" relevés dans plusieurs études expérimentales qui ont concerné l'utilisation de dispositifs sonores avec des enfants dyslexiques pour améliorer la compréhension de texte.

L'une d'elles avait été menée dans le cadre de la thèse de Geneviève Vanderbroucke ("Améliorer la compréhension de textes narratifs chez les élèves dyslexiques de CM2 : le rôle des modalités de présentation"), co-dirigée par le chercheur. Une première comparaison de groupes, comprenant des dyslexiques et des élèves non porteurs de dyslexie, répartis pour moitié dans un groupe qui lisait le texte, pour autre moitié dans un groupe qui écoutait le texte, n'avait montré "aucun effet significatif" chez les uns comme chez les autres, résultats qui rejoignaient ceux d'une autre étude qui avait été réalisée exclusivement avec des élèves dyslexiques. Le chercheur explique cette "taille d'effets faible", alors que le raisonnement de départ semblait "imparable" puisqu'il s'agissait "d'économiser les ressources dévolues à la lecture pour les consacrer au raisonnement", par "l'effet de l'information transitoire", c'est-à-dire le temps que l'élève, quand il lit, décide de passer sur des mots, de revenir en arrière, ce qui n'est pas possible quand il doit faire avec un "flux entrant continu".

Expérimenter, pour améliorer la compréhension de texte des dyslexiques, un système de lecture sonore en même temps qu'ils lisent

Les chercheurs avaient vérifié cet effet en proposant ensuite trois expériences : un texte sonore proposé en condition "continue", le même en condition de pause "décidée" par l'élève et un autre en condition de pause "imposée" par les expérimentateurs. Résultats : les élèves dyslexiques sont pénalisés par rapport aux autres en condition de flux continu, mais aussi en condition de "pause libre" (alors que la pause imposée ne montre pas d'effet améliorant chez les uns et les autres). La pause "libre" mettrait ainsi l'élève dyslexique en "position de double tâche : d'une part écouter et comprendre (tâche "déjà double"), et d'autre part, décider du moment où il doit faire la pause, revenir en arrière, etc. "Pour certains, c'est trop de devoir mettre en œuvre à la fois une stratégie cognitive mais aussi une stratégie méta-cognitive extrêmement élaborée", analyse le chercheur qui souligne que, pour les dyslexiques, les exigences de la compréhension de texte sont donc multiples : respecter une exigence de lecture, mais aussi de l'information transitoire et de la régulation.

Le chercheur a évoqué le souhait de mener une étude expérimentale sur un dispositif de "contournement" qui pourrait être déployé auprès des dyslexiques, étude jamais faite sur eux : vérifier les effets d'une "redondance" sur la compréhension de texte, celle qui consisterait à proposer à l'élève un texte oralisé, donc sonore, en même temps qu'il lirait lui-même ce texte. Si des études menées (notamment en langues) sur des "normolecteurs", qui ont acquis les automatismes de la lecture, ont montré sur eux des "effets catastrophiques" (on lit plus vite qu'un texte oralisé, ce qui désynchronise la lecture de la compréhension), en revanche, on pourrait penser que chez ceux qui n'ont pas acquis ces automatismes, comme les dyslexiques "ralentis" dans la lecture, cela pourrait avoir des effets bénéfiques. Car, explique encore le chercheur, le fichier son peut guider l'œil et améliorer chez eux la synchronisation lecture et compréhension".

Camille Pons

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