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Après vingt ans d’existence, le CLEPT se prépare à une "vague" de décrochage

Paru dans Scolaire le mardi 23 mars 2021.

Créé en 2000 à Grenoble, le Collège-lycée élitaire pour tous (Clept) est un établissement public ouvert aux élèves de 15 à 23 ans "décrocheurs" depuis plus de six mois qui souhaitent reprendre leur scolarité. Reportage dans cet établissement pionnier en France qui accueille une centaine d’élèves.

Chaque année en effet, sortent du système scolaire sans diplôme, ou juste avec le brevet des collèges, près de 100 000 jeunes, soit 9 % des effectifs. Lors du premier confinement, près de 4 % des élèves avaient disparu des radars, avant pour la plupart de revenir en septembre. Mais des conséquences bien plus importantes sont à venir redoute Marie-Cécile Bloch : "Une sacrée vague est à prévoir en septembre", avance cette lanceuse d’alerte sur le phénomène de "décrochage scolaire" dans les années 90. Avec son collègue Bernard Gerde, elle a cofondé en 2000 à Grenoble le Collège lycée élitaire pour tous (Clept), établissement pionnier en France, qui vise à faire "raccrocher" une centaine d’élèves de 15 à 23 ans qui ont quitté l’école depuis plus de six mois.

Professeure retraitée depuis deux ans, elle est aujourd’hui toujours impliquée au sein de La Bouture, une association dont l’une des fonctions est d'accueillir et accompagner tout jeune en décrochage ou complètement décroché pour qu'il puisse rebondir. "Impossible encore de connaître l’ampleur de ce qui nous attend, mais nous avons mené l’enquête auprès de chefs d’établissements : pour près de 20 % des jeunes, le confinement n’a pas changé grand-chose. Mais pour les autres 80 %, il y a une certaine angoisse et une quête de sens avec le sentiment cela ne va jamais finir. Le pire étant pour ceux qui arrivent en classe de seconde sans avoir vraiment pu terminer le collège. Pour certains, cette période a aussi été un soulagement dans la mesure où les conditions leur permettent enfin de dire qu’ils sont en situation de décrochage. En d’autres termes, il y a un passage du phénomène de 'drop in' (décrocheurs à bas bruit présents, mais qui n’ont pas encore physiquement quitté l’école, ndlr) non avoué au 'drop out' [élèves qui ne viennent plus en cours, NDLR] plus visible."

Pour Marie-Cécile Bloch, la période actuelle met aussi en lumière des problèmes existants. Notamment une trop grande verticalité, à la fois au niveau de l’enseignement et des institutions. "L’école, ce n’est pas uniquement faire des exercices. Il s’agit d’un lien de personnes à personnes, et il est essentiel de se voir 'en vrai' pour cela. Décréter une 'continuité pédagogique' depuis le haut et espérer que tout le monde va basculer d’un coup 'en distanciel' est utopique." Avec l’espoir toutefois "que la période que nous traversons va amener à une réflexion de fond sur la manière d’enseigner".

Redéfinir le rapport à l’apprentissage

Depuis plus de vingt ans, le Clept s’efforce justement de mettre en œuvre cet enseignement plus "horizontal". Tout nouvel arrivant dans l’établissement y entre par un cycle dédié au raccrochage scolaire et à l'acquisition et consolidation de certains acquis scolaires, dans lequel il reste entre six mois et trois ans selon le besoin. Ce premier cycle s’organise en trois modules tenant compte des parcours antérieurs des jeunes avant leur décrochage et entre lesquels les élèves circulent en fonction de leurs évolutions singulières. A l'issue de ce premier cycle, soit les élèves poursuivent ailleurs, vers des voies techniques ou professionnelles, soit ils poursuivent dans le second cycle proposé par le Clept. Ce second cycle se rapproche plus d’un cursus "classique" de première et terminale dans la mesure où, en fin de parcours, les élèves passent un baccalauréat général, mais la dimension "élitaire pour tous" constitue toujours le fil rouge des choix pédagogiques et structurels.

Le mot d’ordre pour les élèves du Clept, notamment ceux du premier cycle, est la réconciliation : avec eux-même d’abord et leur capacité à apprendre. "Nous nous rendons compte que bien souvent ces jeunes ont une image dégradée d’eux-même", analyse Anthony Lecapre, professeur d’histoire-géographie dans l’établissement depuis 8 ans. "Il s’agira donc de leur faire retrouver la notion de plaisir dans l’apprentissage, et leur montrer qu’ils peuvent s’accrocher, tout en restant exigeant sur le contenu." Il faudra aussi se réconcilier avec la discipline et les adultes du corps enseignant. "Recréer un climat de confiance est essentiel", ajoute Anthony Lecapre.

Le cours d’épistémologie, c’est-à-dire de philosophie des sciences, est ainsi emblématique d'un des leviers pédagogiques du Clept : décloisonner pour redonner du sens. "Cela va servir de colonne vertébrale. Faire le lien entre les différentes disciplines et développer l’esprit critique", détaille Anthony Lecapre. "Les notions abordées en épistémologie vont ensuite être des fils que je vais pouvoir tirer dans mes cours d’histoire, par exemple. Montrer que ce savoir ne vient pas de nulle part. Par contre, cela nécessite aussi de recentrer l’enseignement sur un noyau dur essentiel de connaissances."

Le changement de paradigme pour l’enseignement ne se limite pas au contenu. Le statut même des professeurs est remis en question : ni personnel de vie scolaire, ni administratif, ce sont les enseignants qui s’acquittent de ces différents aspects pour limiter les effets de cloisonnement. Chaque jour, un professeur est également assigné "au couloir". Son rôle : être disponible et à l’écoute, notamment pour celles et ceux qui arrivent en retard ou sortent de cours pour de multiples raisons. Du tutorat est aussi mis en place pour que chaque élève soit accompagné de manière individuelle. Enfin, une après-midi par semaine est dédiée aux échanges entre collègues. La charge de travail passe ainsi de 18 heures dans un établissement "classique" à 27 heures par semaine au Clept, pour les certifiés comme pour les agrégés. "Notre professionnalité est profondément repensée ce qui, notamment, permet de nouer une relation de confiance avec les élèves.", conclut Anthony Lecapre.

Questionner les savoirs pour redonner du sens

Mercredi 10 mars, Grenoble. Lavoisier, Aristote, scolastique, démarche hypothético-déductive ou inductive, sciences sociales et expérimentales… Les pièces (complexes) du puzzle n’arrivent pas toujours dans le bon ordre, mais finissent par s’assembler au tableau. Dans ce cours d’épistémologie du premier cycle du Clept, les notions scientifiques et philosophiques s’entremêlent afin de construire les fondations les plus solides possibles pour les autres disciplines. Ce cours est une pierre angulaire de l’enseignement de l’établissement. La séance du jour est en outre un point d’étape : il s’agit pour les élèves présents de faire le bilan, afin de le restituer à ceux qui sont arrivés au Clept il y a quelques semaines seulement.

Au fond de la classe, Lina, 19 ans, a eu une histoire compliquée avec l’école : "Auparavant, j’avais été orientée vers un bac professionnel, mais je n’y prenais aucun plaisir et j’ai rapidement décroché." Elle a déjà effectué un premier passage de quelques mois dans l’établissement à la rentrée 2019. "J’avais alors des problèmes d’addictions que j’ai pris le temps de régler. Mais j’avais goûté au Clept et ça m’avait plu." Elle est donc revenue en septembre dernier et compte bien y rester cette fois : "Ailleurs, il faut apprendre au cœur. Ici, c’est par toi-même, et il n’y a pas vraiment de hiérarchie." Parfaite illustration du Clept et de sa conception de l’enseignement.

 

Florian Espalieu

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