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Neutraliser les effets de stéréotypes de genre : les pistes d'Isabelle Régner (Aix-Marseille Université)

Paru dans Scolaire le vendredi 12 mars 2021.

Expliquer aux femmes, élèves et évaluateurs, les effets "de menace" des stéréotypes, jouer sur le caractère ludique dans l'apprentissage et enlever la pression des notes, leur faire lister sur le papier leurs pensées négatives pour qu'elles ne soient pas mobilisées pendant la tâche à résoudre, donner aux élèves à voir des femmes qui sont des modèles de réussite en sciences dans lesquelles elles pourront s'identifier... Alors que de plus en plus de travaux ont montré l'influence des stéréotypes de genre sur la performance, mais aussi sur l'orientation, Isabelle Régner, auteure de plusieurs études expérimentales à ce sujet, donne quelques pistes qui permettraient de neutraliser les effets des stéréotypes de genre. La chercheuse en psychologie sociale et expérimentale du laboratoire de psychologie cognitive d'Aix-Marseille Université qui est aussi, depuis janvier 2020, vice-présidente Égalité Femmes Hommes et Lutte contre les Discriminations de cette université, intervenait au sujet de "l'influence des stéréotypes de genre sur les performances et les auto-évaluations en mathématiques chez les enfants" hier jeudi 11 mars 2021, à l'occasion du Grand Forum des Mathématiques Vivantes de Lyon. Celui-ci se déroule depuis le 10 mars et jusqu'à ce vendredi 12 mars 2021 en ligne, après son report en 2020 en raison du contexte sanitaire, alors qu'il était programmé dans le cadre de l'année des mathématiques 2019-2020. La DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), l'inspection générale et les partenaires ont en effet souhaité maintenir ce séminaire national pour promouvoir les mathématiques.

Sur la base de plusieurs études, depuis la première conduite en 1999 par Claude Steele de l'université de Stanford autour d'un test de mathématiques très complexe, et notamment celles qu'elle a pu mener sur ce sujet, Isabelle Régner a montré comment les stéréotypes de genre, parce qu'ils ont un impact sur le fonctionnement cognitif, conduisent les filles, notamment en maths, à produire des performances en dessous de celles dont elles sont réellement capables. Les effets de "menace" de stéréotypes se traduisent, explique la chercheuse, par des "pensées interférentes", "un stress supplémentaire", qui "mobilisent alors une partie importante de la mémoire de travail qu'on utilise pour résoudre la tâche complexe" et "génèrent" ainsi une "contre-performance".

Une étude expérimentale sur plus de 450 élèves confirme l'effet de stéréotype

Isabelle Régner et Pascal Huguet ont voulu de leur côté voir si ce phénomène s'observait aussi chez les enfants, alors même, notamment, qu'au collège les filles ont de meilleurs résultats que les garçons, et repris la méthodologie - principalement expérimentale pour toutes les études, en laboratoire et dans la classe - de Steele qui avait formé deux groupes devant réaliser le même test mais avec chacun une consigne différente : le premier avec une consigne standard, le second avait une "consigne de falsification du stéréotype" qui complétait la première consigne "test" par cette phrase : "pas de différence de performance entre hommes et femmes sur ce test". Dans le test mené par les deux chercheurs français, les consignes étaient, pour un groupe "géométrie", pour l'autre "dessin". Plus de 450 élèves (223 filles) de 6e et 5e de plusieurs établissements scolaires avaient été mobilisés pour l'étude et évalués par des "juges aveugles", donc sur la base de l'anonymat. Alors qu'en géométrie elles ont été 20,9 % à réussir contre 23,72 % des garçons, en dessin, pour la même résolution de tâche, 25,39 % des filles ont réussi contre 22,51 % des garçons. Et, constate encore la chercheuse, l'effet de stéréotype est "encore plus fort pour les élèves qui ont le plus à perdre (les moins bons, ndlr), là où les pensées interférentes pèsent le plus".

Cet effet de stéréotype a été confirmé en outre par la réponse à une tâche complémentaire qui consistait à faire nommer par ces élèves, 3 élèves qu'ils pensaient être les plus à même de réussir les tests et, à l'inverse, 3 qu'ils pensaient être les moins bons. Alors que, quelle que soit la condition dans laquelle ils passaient le test (géométrie ou dessin), les garçons se pensent en réussite dans les deux, les filles, "dans la condition la plus menaçante pensent aux garçons pour la réussite et, inversement, aux filles pour la réussite en dessin", observe Isabelle Régner.

"Les effets des stéréotypes peuvent être puissants"

Alors qu'il existe aujourd'hui des centaines d'études sur le sujet, cet ensemble de résultats, commente-t-elle, permet de "mesure(r) à quel point les effets des stéréotypes peuvent être puissants". D'autres études expérimentales ont montré d'ailleurs des effets au-delà de ceux des genres, comme celle qui avait été menée avec des étudiants de l'université de Stanford, blancs, de haut niveau, d'origine aisée, donc non confrontés à des stéréotypes négatifs. Face à un test de maths très complexe, la moitié d'entre eux à qui on avait fait croire qu'à côté des asiatiques réalisaient le même test, avait chuté dans les résultats par rapport à l'autre groupe, par peur de la comparaison avec une population considérée comme très forte en maths.

À l'aune de ces travaux, la chercheuse a proposé des pistes pour "réduire ces effets de menace du stéréotype" en classe, mais aussi en matière d'orientation. En classe, il conviendrait par exemple de "jouer sur le caractère ludique dans l'apprentissage", d' "enlever la pression des notes pour consolider les apprentissages", d'introduire une "consigne sur la diagnosticité de la tâche", c'est-à-dire utiliser par exemple cette fameuse "consigne de falsification" qui consiste à préciser qu'à ce test il n'y a "aucune différence de performance entre filles et garçons".

"Expliquer aux femmes ces effets permet aussi de les neutraliser", poursuit la chercheuse. Et cette transmission de connaissances peut être également profitable aux évaluateurs, au constat, établi également dans la littérature scientifique, que les stéréotypes influencent aussi ceux qui en sont "porteurs" même s'ils n'adhèrent pas à ces croyances. Mais parce qu'ils "connaissent cette information, l'ont en mémoire", cette mémoire peut avoir des effets "sans contrôle de l'individu". Isabelle Régner cite à ce titre une étude expérimentale qu'elle a menée avec des filles qui semblaient a priori ne pas n'adhérer aux stéréotypes de genre en sciences, des filles qui avaient intégré une école d'ingénieurs et ont donc choisi une filière compétitive, élitiste et "réservée" aux garçons et qui se révélaient bien souvent majors de leurs promos. L'objectif de l'étude était de voir si ces filles avaient "mis en place des stratégies pour neutraliser les effets des stéréotypes". Mais le test de raisonnement proposé à deux groupes, avec d'un côté la consigne standard, de l'autre la consigne de "falsification" qui vise à neutraliser les effets de menace des stéréotypes, a montré qu'elles réussissaient moins bien que les garçons dans le groupe avec la consigne standard alors que c'est l'inverse qui s'était produit avec la consigne de falsification. En outre, dans ce deuxième résultat, la consigne falsifiée avait induit une baisse de performance chez les garçons, ce qui montrerait, commente la chercheuse, que "le fait de présenter une tâche ainsi aux garçons, là où ils sont habitués à être plus performants, perturbe aussi le fonctionnement cognitif des garçons de manière négative".

L'effet aussi de son "corollaire" sur les garçons, "ils sont moins bons en lecture que les filles"

"Les stéréotypes peuvent être intériorisés très tôt quel que soit le sexe. Ils sont extrêmement ancrés dans nos mémoires, même quand on construit des croyances personnelles en profond désaccord avec ceux-ci et peuvent ainsi être réactivés automatiquement", analyse Isabelle Régner qui évoque d'ailleurs aussi des recherches expérimentales qui ont montré que les garçons étaient également influencés par les croyances sociales partagées dont ils font l'objet, notamment pour le stéréotype "corollaire" de celui qui dit que les filles sont moins bonnes en maths que les garçons : "les garçons sont moins bons en lecture que les filles". Ainsi, un test de lecture qu'elle avait mené en classe avait montré que les garçons réussissaient "tout aussi bien que les filles" quand ils étaient mis dans un "mode jeu" mais moins bien lorsqu'ils étaient mis en "mode test", le premier résultat montrant bien, dès lors, qu'ils savaient lire comme les filles.

Parmi les autres recommandations que fait la chercheuse pour réduire les effets de menace des stéréotypes, figurent celles d' "encourager les élèves à s'auto-affirmer" et à leur faire lister leurs qualités et compétences, et même leurs pensées négatives sur papier, car lister ces dernières "permet de se libérer des pensées interférentes et donc de libérer la mémoire de travail". Isabelle Régner reprend aussi l'idée de mise en avant de modèles féminins de réussite en sciences mais "celles auxquelles", précise-t-elle, "les filles peuvent s'identifier", donc "pas toutes !". C'est notamment faire en sorte qu'il "n'y ait pas trop de différence d'âge". En face d'élèves de 6e, un modèle de 50 ans "ne marchera pas", observe la chercheuse qui suggère plutôt, dans ce cadre, d'inviter des doctorantes à venir présenter leur parcours. Enfin, il faudrait associer, quand on réalise des portraits de ces femmes, des objets et symboles de la science que l'on attribue plus traditionnellement aux hommes. "Marquer physicienne en tout petit ne sert à rien."

"La règle du vivant, c'est la diversité"

La chercheuse a aussi invité à se méfier d'études menées par des "non spécialistes", alors que cette question suscite un engouement depuis quelques années. Celle-ci a mis en avant des erreurs tirées d'une très grande étude menée en 2013, induites par un biais méthodologique. Les auteurs (Ganley, Mingle, Ryan, Ryan, Vasilyeva & Perry) avaient voulu "activer la menace" dans le premier groupe (aux instructions concernant le test, était ajouté "Cochez la case correspondant à votre sexe (...). C'est très important, car les garçons réussissent mieux que les filles à ce test dans le passé") et avaient "considéré qu'en ne disant rien pour le second, le groupe contrôle, la condition était non menaçante". Or, si dans le premier la menace est "explicite", elle n'est "pas éliminée" dans le second et reste "implicite", analyse la chercheuse.

En introduction de sa conférence, Isabelle Régner indiquait que si les stéréotypes, croyances partagées à propos d'attributs qui seraient propres selon l'appartenance à un groupe - souvent des traits de personnalité mais aussi souvent des compétences - répondent à un "besoin de catégorisation sociale" car cela "permet d'aller plus vite dans nos jugements quotidiens", ils ont une "contre-partie" de taille : "un aspect extrêmement simplificateur et de sur-généralisation". Pour un "spécialiste", étayait-elle, il n'y a "aucun sens à considérer vraies ces croyances pour tous les membres d'un groupe sans vérification". Car "la règle du vivant, c'est la diversité".

Camille Pons

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