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Les émotions dans l'apprentissage : et si on intégrait l'approche de cette dimension dans la formation des enseignants ? (Gaëlle Espinosa, LISEC)

Paru dans Scolaire le lundi 08 mars 2021.

Un texte neutre plutôt que gai pour une meilleure réussite en dictée ? Induire de la joie pour améliorer les performances des élèves en grammaire mais pas en compréhension de texte ou pour résoudre des tâches complexes ? Ces résultats tirés de recherches sur les émotions dans l'apprentissage des élèves pourraient servir la formation des enseignants, suggère la chercheuse Gaëlle Espinosa (Laboratoire interuniversitaire de sciences de l’éducation et de la communication, universités de Lorraine, de Haute-Alsace et de Strasbourg). Celle-ci a analysé plusieurs travaux portant sur les émotions à l'école et principalement sur le caractère perturbateur ou facilitateur des émotions dans l'apprentissage, ainsi que les textes officiels de l’Éducation nationale française. À l'aune de cette étude qui a fait l'objet d'un article publié en juin 2020, "De la question des émotions de l’élève dans la formation enseignante en France", et qui est donnée parmi les références scientifiques dans le cadre d'un appel à contributions qui a été lancé jusqu'au 30 avril 2021 pour une publication qui sera consacrée à la façon dont les recherches en éducation envisagent les émotions des élèves à l’École, la chercheuse suggère "d'intégrer la question des émotions de l’élève dans la formation enseignante, initiale et continue, afin que les enseignants soient en mesure, ensuite, de l’intégrer dans leurs pratiques professionnelles". Car, écrit-elle, non seulement ces travaux montrent que "les émotions jouent un rôle d’importance dans l’acquisition ou non de connaissances et compétences par l’élève et, en conséquence, dans son expérience du succès ou de la difficulté, comme dans celle de son bien-être ou mal-être à l’école", mais les derniers textes officiels soulignent aussi "le rôle d’importance des émotions de l’élève à l’école et dans l’apprentissage ainsi que, plus ou moins directement et explicitement selon ces sources, la nécessité de s’en préoccuper et de s’en occuper" (dans les programmes et le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, 2015).

Gaëlle Espinosa livre à ce titre des "pistes de réflexion et de travail" quant aux possibles modalités d’intégration de cette question dans la formation. Cette formation devrait s'articuler autour de 2 grands axes, estime-t-elle, la diffusion des résultats de la recherche scientifique à ce sujet mais aussi le développement d'une pratique de l'observation des pratiques professionnelles via notamment l'usage de la vidéo.

Positive ou négative, si elle est "puissante", l'émotion a une influence négative dans l’apprentissage

Premier grand axe (dit "balise") : "porter à la connaissance des enseignants l’état d’avancée des travaux et celui des savoirs issus de la recherche scientifique", qui "peut en effet s’avérer, pour elles et eux, extrêmement éclairant et formateur". Éclairant ne serait-ce qu'au regard des effets très divers des émotions observés sur l'apprentissage, que ces émotions soient positives ou négatives, selon les tâches à effectuer, leur complexité, le "vécu disciplinaire" de l'élève, etc. Ainsi, souligne Gaëlle Espinosa, si les émotions positives et négatives influencent l’apprentissage de l’élève en affectant son attention, sa motivation, son utilisation de stratégies d’apprentissage et son autorégulation dans l’apprentissage, elle relève qu'il n'est pas "automatique" que "toutes les émotions positives [aient] un effet positif dans l’apprentissage et que toutes celles négatives [aient] un effet négatif". Par exemple, "ressentir une certaine appréhension avant une évaluation peut amener l’élève à une attention et une mobilisation accrues lors de l’évaluation lui permettant la réussite à cette évaluation. De même, ressentir de la joie, surtout si elle est intense, lors d’un apprentissage peut être démobilisant et entraver la concentration de l’élève au cours de cet apprentissage".

Autre constat, qu'elle soit positive ou négative, une émotion puissante aurait une influence négative dans l'apprentissage. Mais, nuance encore la chercheuse, "cette désorganisation mentale provoquée par une émotion forte pourrait cependant et également permettre au cerveau de s’orienter alors vers une réorganisation cognitive, c’est-à-dire une entrée dans un processus d’apprentissage".

Autre grande observation, parce que "les disciplines scolaires ne sont ainsi plus seulement définies comme des organisations de contenus, mais aussi comme des espaces vécus", "lié aux sympathies et antipathies pour certaines disciplines et/ou certains enseignants dispensant ces disciplines, ce vécu est donc susceptible d’influencer l'apprentissage".

Le contenu émotionnel d'un texte joue sur la performance orthographique

Gaëlle Espinosa donne des illustrations de ce qui pourrait être transmis aux enseignants. C'est, par exemple, être formé sur le fait que toute émotion (éprouvée) est individuelle, personnelle et intime, mais qu’elle peut être invitée à être déclarée (en groupe ou en aparté), ce qui permet à l’élève d’apprendre à exprimer ses émotions ainsi qu’à les "réguler" et à "se rendre plus ou à nouveau disponible pour les activités d’apprentissage proposées".

Concernant l’enseignement et l’apprentissage en français, il pourrait être par ailleurs intéressant de porter à la connaissance des enseignants les travaux de recherche montrant que les émotions de l’élève peuvent influencer sa compréhension d’un texte ou que la valence émotionnelle du texte support à une dictée (son caractère positif ou négatif) peut influencer la performance des élèves. Une recherche menée sur la production orthographique d’élèves de classes de CM2 en France a ainsi montré que c'est le texte neutre qui "permet les meilleures performances en dictée". Et que le texte triste permet une meilleure réussite à la dictée que le texte gai. Les chercheurs interprètent ces résultats en termes de focalisation de l’attention des élèves sur le contenu émotionnel et son effet distractif par rapport à la tâche principale d’orthographe", explique la chercheuse.

En revanche, des tests en littératie confirment de leur côté "partiellement" l’hypothèse d’un effet facilitant de la joie induite sur la performance des élèves sur certaines activités. Ainsi, des élèves avaient dû se remémorer une expérience joyeuse avant de terminer des tâches de grammaire ou de compréhension de texte. Résultats : sous l’effet de la joie induite, les élèves ont effectué de meilleures performances en grammaire, en particulier ceux ayant une capacité linguistique inférieure mais aucune différence entre les élèves n’est en revanche apparue dans leurs performances sur la tâche de compréhension de texte.

La "joie" facilite les performances dans la résolution de tâches fermées mais non ouvertes

"Ce résultat pose donc la question de la pertinence d’induire de la joie dans la résolution de certaines tâches complexes", écrit la chercheuse. Celle-ci indique en effet que les auteurs de cette étude avaient suggéré que la joie (ou l'humeur positive) facilitait les performances des élèves dans la résolution de tâches fermées, c'est-à-dire appelant une solution univoque, mais que pour une tâche ouverte, qui nécessite une élaboration et une construction telle que la tâche de compréhension de texte, "la complexité des processus en jeu [était] susceptible d’annuler l’effet de la joie sur les performances des élèves".

Concernant l’enseignement et l’apprentissage en mathématiques, la chercheuse évoque des travaux menés sur la résolution de problème qui montrent, par exemple, que les émotions éprouvées en fin de tâche sont influencées par la difficulté éprouvée pendant la résolution de la tâche : un élève en effet ne sort pas forcément grandi d’avoir terminé une tâche qui lui a semblé très difficile. Ces résultats, écrit-elle, "suggèrent que les enseignants devraient donner la possibilité à leurs élèves de parler de leurs expériences métacognitives et d’exprimer leurs expériences émotionnelles associées à la réalisation d’une tâche afin de contribuer à améliorer la compréhension de la tâche à accomplir et l’autorégulation dans l’apprentissage".

Outre transmettre ces connaissances produites par la recherche, la chercheuse soutient un 2e axe de développement dans la formation : la "pratique de l’observation". Et ceci au-delà de la salle de classe, en utilisant en formation "les documents pédagogiques de l'enseignant en activité, les réalisations des élèves, mais aussi et surtout les enregistrements vidéo des leçons". Pour Gaëlle Espinosa, "l'acuité d'observation acquise en formation, initiale comme continue, permettrait alors à l'enseignant, d’une part, de mieux analyser et ainsi mieux s’adapter aux événements de la classe et, d’autre part, de tendre vers des pratiques professionnelles attentives et bienveillantes au quotidien, y intégrant la question des émotions de l’élève". Elle permettrait aussi d’intégrer la question des émotions de l’élève "au-delà de la simple préoccupation de ces émotions lorsqu’elles envahissent l’espace de la classe ou de l’école et qu’elles s’accompagnent de comportements problématiques".

À terme, proposer aussi à l’enseignant de mieux se connaître émotionnellement ?

Il lui semble également pertinent d'envisager à terme de proposer aussi à l’enseignant, dans le cadre de sa formation, de mieux se connaître émotionnellement, ce qui "serait susceptible de lui permettre un autre rapport à ses élèves, un autre rapport à ses pratiques professionnelles". Parce que "les enseignants qui ont des capacités à mieux se représenter conceptuellement leurs propres émotions et à les différencier par le biais de leurs ressentis corporels (...) sont ceux qui pensent les percevoir avec plus d’acuité chez les élèves" et "l'ouverture émotionnelle (la représentation cognitive des émotions) semble avoir un impact positif sur l’empathie que les enseignants ont à l’égard du vécu affectif de leurs élèves". Il faudrait donc aussi, à ce titre, développer des travaux de recherche sur cette question.

Enfin, au-delà de la formation des enseignants, il faudrait aussi, "dans une réelle volonté de préoccupation de la réussite de l’élève à l’école dans un cadre garantissant son bien-être à l’école et en classe", porter ces résultats de la recherche scientifique "à la connaissance de l’ensemble de la communauté éducative considérant qu’une telle éducation devrait relever d’un projet global, sociétal".

La publication qui rassemblera les différentes contributions pour lequel l'appel a été lancé, coordonné par deux chercheuses du Laboratoire Bonheurs (Bien-être, organisation, numérique, habitabilité, éducation, universalité, relations, savoirs, université de Cergy-Pontoise), "Les émotions des élèves à l’école au XXIe siècle – Quels enjeux ?", doit être publiée dans la revue internationale en sciences de l'éducation et didactique Tréma en fin d'année 2021 ou début 2022.

L'intégralité de l'article ici

L'appel à contributions pour "Les émotions des élèves à l’école au XXIe siècle –Quels enjeux ?" ici

Camille Pons

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