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L'Ecole saura-t-elle tirer les leçons de la crise ? (AFAE)

Paru dans Scolaire le lundi 08 mars 2021.

Les chocs de l'Histoire préfigurent-ils le délitement du système scolaire ? "Au cours de la Première Guerre mondiale, ce qui se passe entre 1914 et 1918 change complètement les pratiques d’encadrement" et la leçon peut valoir pour les cadres de l'Education nationale après la crise de la COVID, estime Emmanuel Saint-Fuscien (EHESS). Son interview ouvre le dossier de la revue "Administration & Education" consacré à "Education et crise sanitaire".

Spécialiste de l'histoire militaire, il explique que "les officiers d’active sont tous tués ou hors de combat dès 1915", ils sont remplacés par des officiers de réserve dont l'autorité est "plus souple", "négociée avec les hommes, plus horizontale". De plus, "l’unité tactique change" et "on organise des demi-sections de vingt-cinq soldats en armes complémentaires (fusiliers, grenadiers, téléphonistes…) donc tous interdépendants", qui ont tous leurs savoirs-faire et leur mot à dire. "Cela crée un partage de l’autorité inédit entre des chefs de contact qui sont des civils en uniforme et des hommes qui ont une 'autorité' technique et combattante". Mais dès la guerre gagnée, "la culture du rang revient", "aucun enseignement ou presque de la guerre de 1914 ne trouvera de prolongements immédiats", "cette absence d’évolution explique en partie la débâcle de 1940… Il ne faudrait pas que l’institution scolaire connaisse sa débâcle en se montrant incapable de prendre acte de la force des inventions et des réagencements, des bricolages, des contournements qui ont permis la continuité des services et qui sont nés pendant les deux épreuves sociales majeures de l’école de ces quarante dernières années : les attentats de 2015 et la pandémie de 2020-2021".

Seuls maîtres à bord face au danger, des enseignants qui recréent du mouvement

Pour Aziz Jellab (IGESR), "la sanctuarisation de l’espace-temps scolaire a conduit à faire en sorte que 'l’école n’est en aucune façon le monde' (Hannah Arendt). Mais cette vision, assez idéalisée (...) n’est plus opérationnelle aujourd’hui". Quant à Claude Bisson-Vaivre et Annie Tobaty (IGEN honoraires), ils voient l'école en temps de crise comme le Radeau de La Méduse tel que peint par Géricault, "cent-cinquante hommes à la dérive qui voient à l’horizon s’éloigner un bâtiment robuste susceptible de les secourir". "Au fil du temps, les soutiens en ligne de DASEN, voire de recteurs, se font de plus en plus rares, le plus souvent du fait du manque d’information de ceux-ci en provenance de l’administration centrale. Celle-ci s’éloigne comme le bateau sur la toile de Géricault." Les informations arrivent via BFM. Puis, la mer calmée, les deux auteurs voient "le porte-avions Charles de Gaulle appareillant de Toulon après maintenance", entouré d' "une flottille de remorqueurs: "La période de déconfinement, où la quête d’informations, les ordres et les contrôles se multiplient à foison, trouve son illustration dans cette nuée de petits navires autour de l’imposant bâtiment qui ne virera de bord qu’après un temps long".

Pour leur part, Gilles Rouet, Mourad Attarça, Hervé Chomienne et Thierry Côme (Université Paris-Saclay, UVSQ) se demandent comment s'explique la résilience des enseignants et de l’institution ? Pour eux, "l’enseignant ne se définit pas finalement par rapport à un établissement, à un système scolaire ou à une organisation, mais bien par rapport à des missions liées avant tout aux relations avec les élèves dans les classes", ils "résistent aux réformes, mais pas aux changements", ils sont "rétifs à une transformation 'par le haut' alors qu’eux-mêmes font évoluer localement leurs pratiques, et, de plus en plus, s’inscrivent, de façon émergente, dans des logiques collectives, voire collaboratives." Christine Félix, Pierre-Alain Filippi, Sophie Gebeil, Perrine Martin (université d’Aix-Marseille) estiment qu' "on peut corréler à cela l’ouverture de nouveaux espaces de discussion entre enseignants" et pour eux, "l’absence de lignes directives centralisées et harmonisées – et souvent contradictoires – a paradoxalement donné aux enseignants l’opportunité de réinventer leur métier".

Outils contemporains et défis pédagogiques modernes

La crise a mis en évidence l'importance du numérique. La revue aborde cette thématique dans la deuxième partie de son dossier. Pascal Plantard (Rennes 2) remet en cause la notion de "fracture numérique", qu'il juge "caricaturale et idéologique" puisque "personne n’est véritablement in ou out vis-à-vis du numérique". "Résumer le décrochage des élèves de milieu populaire au manque d’équipement numérique, c’est faire fi des autres problématiques (économique, sociale, culturelle, etc.) qui touchent ces populations et qui expliquent en grande partie leur éloignement de l’institution scolaire. Ce qu’a mis en avant de manière plus surprenante la crise, ce sont les fragilités numériques de tous les autres (…). Le numérique s’articule encore mal avec l’univers scolaire. Au-delà des difficultés matérielles, des difficultés de connexion, ce sont surtout des difficultés de pratique du numérique pédagogique qui ont été dévoilées par le confinement". Claude Bisson-Vaivre se demande d'ailleurs "comment travailler avec les émotions pesant sur la motivation des élèves et avec leur sentiment d’efficacité personnelle sans tomber dans une technologie relationnelle désincarnée".

Le rapport avec les collectivités a également été problématique. Marie-Pierre Cattet et Philippe Claus (Ligue de l’enseignement) évoquent, à propos du dispositif 2S2C "l’ambiguïté entretenue quant à (sa) pérennité", ne devait-il pas laisser "aux enseignants l’enseignement des fondamentaux et externalis(er) des disciplines comme le sport et les arts" ? Ils font également le constat du "demi-échec des colos apprenantes".

Le recteur Alain Bouvier ajoute "des bribes de l’école de demain avec différents modes hybrides sont peu à peu apparues dans tous les pays" mais que "la capitalisation des innovations et des acquis de compétences qui leur sont liées reste à faire" et que tout cela pourrait "retomber comme un soufflé". Mais André Tricot (Montpellier 3) est plus optimiste : "Nous sommes capables d’enseigner en condition dégradée et cela donne encore plus de valeur à la présence de notre métier. Le retour progressif vers cette forme habituelle peut nous permettre de donner encore plus d’importance aux interactions, verbales et non verbales, dans l’enseignement ordinaire, aux régulations, aux ajustements, aux retours personnalisés. Cela peut aussi nous permettre de mieux concevoir les activités à distance (comme les devoirs à la maison), en ayant une vision plus précise de leurs fonctions, de leurs exigences, de leurs limites et des conditions de leur réussite. Cela peut nous permettre enfin de faire à distance ce qui fonctionne bien à distance, mais que nous ne pensions pas ou n’osions pas faire avant le confinement."

Administration & Éducation, n° 169 - mars 2021, 208 pages, 20 €, le site ici



 

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