La culture enseignante se délite (IFOP - Fondation Jean Jaurès)
Paru dans Scolaire le jeudi 04 février 2021.
"Les enseignants avaient historiquement une fonction d’encadrement idéologique de la classe moyenne et constituaient ainsi une quille stabilisatrice du système politique et social. Ce rôle stabilisateur et d’encadrement semble aujourd’hui considérablement amoindri, la quille, à la composition plus hétérogène et à l’armature moins rigide que par le passé, étant elle-même soumise au tangage et au roulis." C'est la conclusion que Jérôme Fourquet tire d'une enquête réalisée par l’Ifop auprès d’un échantillon de 801 enseignants pour la Fondation Jean-Jaurès.
Plusieurs éléments donnent à penser que le monde enseignant "a perdu de son homogénéité sociologique, culturelle, syndicale et politique". L'éclatement de la FEN en 1992 témoigne de "difficultés croissantes à parler d’une seule voix et à représenter l’ensemble de ce groupe social" tandis que le taux de syndicalisation a nettement reflué puisqu’il est passé de 45 % au début des années 1990 à 30 % aujourd’hui. L'adhésion à la MAIF "n'est plus automatique", le taux d’adhésion varie "du simple au double entre les moins de trente ans et les cinquante ans et plus", la Camif a été placée en liquidation judiciaire en 2008 avant d'être reprise et de s'adresser à une clientèle grand public. "La diversité croissante du monde enseignant se lit également dans leur consommation de médias." France Inter et France Info "ne sont pas hégémoniques parmi les enseignants". La distance des jeunes professeurs "aux 'réflexes' culturels enseignants" augmente et "on peut légitimement penser qu’au gré du renouvellement générationnel, cette identité enseignante, jadis si prégnante, va continuer de se déliter de manière croissante".
A noter toutefois que 21 % des enseignants ont l’un ou leurs deux parents qui étaient/sont enseignants et ils sont près de deux fois plus nombreux à être adhérents à la Maif, à écouter France Inter ou France Info le matin, à être syndiqués. Ils sont "plus sensibles aux manifestations et revendications liées à la religion", à s’autocensurer, à avoir constaté des formes de contestation au nom de la religion dans leur établissement. L'auteur note également que "la reproduction sociale semble beaucoup plus développée dans l’élite enseignante puisque "39 % des agrégés sont des enfants de profs contre seulement 22 % des certifiés et 18 % des professeurs des écoles".
Jérôme Fourquet constate aussi les conséquences en matière électorale de "l’affaiblissement d’une matrice enseignante homogène : "l’hégémonie du Parti socialiste a été très fortement remise en question depuis vingt ans et le vote enseignant s’est illustré lors de différents scrutins par une forte propension à la dispersion et des mouvements erratiques."
En 1995, au premier tour de l’élection présidentielle, Lionel Jospin a recueilli 40 % des voix des professeurs et instituteurs, mais seulement 19 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. En 2007, le Parti socialiste retrouva des couleurs avec 31 % des voix des enseignants, face à la perspective d’une victoire de Nicolas Sarkozy, mais François Bayrou obtint 28 % des voix enseignantes. En 2012, François Hollande "bénéficia d’un vote utile puissant dans l’électorat enseignant" et en 2017, Emmanuel Macron a capté 38 % des intentions de vote chez les profs. Ces mouvements de va-et-vient illustrent "que si la droite ne fait toujours pas recette chez les enseignants, les votes ne sont plus aussi automatiques et conditionnés que par le passé".
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