Comment les enseignants reçoivent-ils les messages de Jean-Michel Blanquer ?
Paru dans Scolaire le dimanche 20 décembre 2020.
Depuis le premier confinement, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, a adressé plusieurs messages aux professeurs afin de les assurer de son soutien. Dans l'un des derniers en date, il affirme "Au nom de toute notre École, je tiens à vous remercier très sincèrement pour le dévouement exemplaire que vous avez montré". ToutEduc a interrogé plusieurs enseignants et consulté les réseaux sociaux pour savoir comment ces messages sont reçus. Notre enquête n'a pas de valeur scientifique, mais, bien que nous ayons cherché, nous avons trouvé peu d'opinions favorables.
Claude, enseignant les arts appliqués en lycée professionnel, dit qu'elle les considère comme "une espèce d'intrusion". Elle ajoute : "Je ne me permettrais pas de parler de harcèlement, le mot est gros, mais... Entre les vidéos, mal réalisées, et les écrits trop longs, qui ne vont jamais à l'essentiel, mais tentent de nous caresser dans le sens du poil, pour faire passer la pilule, j'avoue désormais ignorer ces messages, sans prendre le temps de les écarter et de les lire. Une grande lassitude, en somme, s'installe dès lors qu'apparaît cet intitulé : Jean-Michel Blanquer, information-ministre etc."
Joris, professeur des écoles à Marseille, dit qu'il se souvient d'avoir reçu un mail après l'assassinat de Samuel Paty et un autre sur les évaluations nationales... Et celui du 16 décembre ? "Je vérifierai dans mes spams et le sauverai des oubliettes du virtuel." Sarah, enseignante dans un lycée général à Lyon, n'a, quand à elle, pas accès à sa boîte académique, "pas besoin ni envie..." Elle ajoute : "Je ne reçois donc pas les mots doux de notre ministre, cela ne m'apporte rien. Mon attention va ailleurs : mes élèves que je dois recevoir tous les matins, soumis à une organisation des enseignements sans précédent..." Leila, enseignante dans un lycée d'enseignement général à Bordeaux, répond : "Désolée. Je n'ai rien reçu de Blanquer, et même... Mais, je pense que c'est normal. Il a dû sentir que ce n'était pas le moment de me bousculer..."
Olivier, enseignant d'anglais à Caen, efface, sans aucune hésitation les mails, avant de les avoir lus. "Le ministre use plus facilement de la caméra que de la plume. Plus Big Brother que Jules Ferry. Un visage plutôt qu'une âme." Tout ce qui vient du ministre n'intéresse plus Aline, enseignante de Lettres-Histoire en LP à Paris. "J'ai, pourtant fait des efforts – comme une fonctionnaire digne de ce nom – afin de m'informer du devenir de l'école... ». Luc, enseignant dans un lycée professionnel à Montpellier, n'a pas envie d’abdiquer, malgré tout. Il souhaite soutenir les réformes. « En ce qui me concerne, explique-t-il, je voudrais croire. Je lis et écoute le ministre, attentivement. Mais, par rapport à ce que l'on vit sur le terrain, je doute du résultat."
Stéphane, lui, enseignant dans un lycée professionnel à Nice, préfère analyser le message : "Après lecture attentive, je pense que le ministre lance des pistes, comme à son habitude. Il veut sauver sa réforme du lycée pro. Il veut sauver surtout le chef d’œuvre. D'ailleurs, il l'écrit bien : 'La Banque de ressources et d’idées pour la réalisation du chef d’œuvre (Brio) sera ouverte en mars.' Il veut aussi sauver la co-intervention qui, nous le savons, fonctionne très mal, sur le terrain. Il veut sauver sa réforme, quitte à la vider de son contenu. J'ai l'impression qu'il se moque de 'ses amis, profs, étourdis'. Les collègues et moi-même avons des heures, oui, mais, au niveau de la qualité pédagogique de la co-intervention et du chef d’œuvre, il reste beaucoup à faire, pour ne pas dire qu'il n'y a rien de fait. Mais, si nous râlions, les chefs des établissements nous enlèveraient des heures. Ainsi, si la réforme échoue, se sont des heures qui disparaîtront. Nous sommes tenu aux chantages permanents qui émane des discours du ministre."
Le ministe de l'éducation nationale a posté sur twitter vendredi 18 décembre une vidéo dans laquelle il affirme "l’École est essentielle, votre travail est essentiel" et il souhaite de "bonnes vacances à toutes et à tous". Ce qui a suscité de nombreux commentaires. Idem écrit : "Demain (samedi 19, ndlr), j'ai cours... : mes terminales spé et moi sommes épuisés ! Impossible de finir le programme pour mars, encore moins pour aider à combler les lacunes." MbPaul : "Je veux un salaire juste et adapté, pas de la gratitude." Petite Noisette, professeur documentaliste : "Si notre travail est essentiel, Monsieur Blanquer, pourquoi ne pas le reconnaître en nous accordant les mêmes droits qu'aux autres profs ? Je mérite le respect et la reconnaissance autant que mes collègues. Je travaille autant, je suis autant devant les élèves." Marie-Anne 5020, sans doute contractuelle, remarque : "Mon travail est essentiel ? Sachez que je n'ai pas été payée ce mois de novembre et que le rectorat de Bordeaux me fait patienter jusqu'au 20 décembre. Épargnez-nous vos discours. Ça nous fera gagner un temps précieux..." Professeur épuisé enchaîne : "C'était la seule prise (vidéo) où il (le ministre) ne se marrait pas en disant ça. Pendant ce temps, les suicides ont quintuplé et les démissions triplé en moins de 10 ans d'après vos chiffres..." Meta Biche en T... renchérit : "Il est venu le temps du repos, enfin sauf pour les personnels à qui vous imposez des permanences pendant les vacances."
Presque toutes les autres observations vont dans le même sens. Celina : "Évidement qu'on est essentiel ! Alors un peu de respect !" Et, pour finir, Thibault Montbazet remarque : "Mesurez votre popularité dans les commentaires, M. Blanquer." Nous avons pourtant trouvé Le prof de l'être : "Merci Monsieur le ministre. Vos remerciements valent mieux qu'une prime", et 670 "J'aime" pour 84 400 vues (ici).
Rabah Aït Oufella