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Investir sur le développement du capital humain des enseignants, les équiper d'outils prédictifs... ("Quels professeurs au xxième siècle ?")

Paru dans Scolaire le mercredi 02 décembre 2020.

Quelles conditions de travail pour améliorer le bien-être et la coopération des professeurs, des élèves et des acteurs de l’éducation ? Quels sont les espaces d'apprentissage du futur ? Comment les nouvelles technologies transforment-elles les conditions et méthodes d’enseignement ? C'est, entre autres, à ces questions et à celle, plus générale, des conditions à mettre en œuvre pour assurer aux enseignants "une qualité de service ainsi que leur bien-être", qu'ont tenté de répondre plusieurs intervenants à l'occasion du colloque "Quels professeurs au XXIe siècle ?" qui s'est déroulé ce mardi 1er décembre 2020. Ceux-ci intervenait sur une table ronde organisée autour du thème "Numérique et enseignement, collectifs et apprentissages : vers de nouvelles conditions de travail ?". Développement de réseaux d'enseignants, physiques et virtuels en abordant la question du temps hors la classe, mener une réflexion à la fois sur la dimension individuelle du métier d'enseignant, mais aussi les dimensions de coopération et de responsabilité décisionnelle, équiper "l'enseignant du futur" d'outils "prédictifs" et d'évaluation pour qu'il puisse mieux accompagner la progression des élèves ou encore intégrer le développement de compétences sociales et émotionnelles dans leur formation, font partie des recommandations qui ont pu être livrées ce jour là.

Pour Andy Hargreaves, professeur de sciences de l'éducation (université d'Ottawa et Boston College, Canada et États-Unis), la réflexion doit être menée sur trois points : la collaboration des enseignants, "certains aspects du leadership" et la dimension technologique.

Instaurer une "collaboration du bas vers le haut"

La collaboration des enseignants, tout comme leur bien-être et celui des élèves qui en découlera, explique-t-il, passe par le développement du capital professionnel. Ce capital professionnel est composé de trois dimensions sur lesquelles il faut toutes agir, poursuit-il, le capital humain, le capital social, et le capital décisionnel. Investir dans les trois est indispensable alors qu'aujourd'hui en France, observe-t-il, on intervient surtout sur le premier capital, celui-dit "humain", tourné sur "l'individuel" (comment on certifie les enseignants, comment on les prépare, comment on développe les compétences, comment on les utilise, etc.). Or, souligne-t-il, "si on ne pense qu'à ça, les gens se ressemblent tous et finissent tous dans leur salle de classe", une communauté qu'il assimile à des œufs contenus dans une boîte (avec parfois l'un d'entre eux différent des autres), qui sont concentrés sur le présent, sont surmenés, font preuve d'individualisme ou encore de conservatisme puisqu'ils "n'osent pas prendre des décisions"...

Agir aussi sur les deux autres capitaux est donc essentiel pour le chercheur. D'abord le capital décisionnel. Il s'agit, détaille le chercheur, d'élaborer "une stratégie délibérée pour développer l'expertise des enseignants et leur capacité de jugement". Cela passe par des heures de pratique "mais pas de répétition", par l'accompagnement d'un mentor ou d'un coach "qui vous guide, vous tire, ce qui va vous permettre de progresser", explique encore le chercheur. Enfin, il faut construire également sur le capital social, le "plus important", car "c'est le travail avec les autres qui vous rendra plus efficace". Ce travail vise le développement de la collaboration, de l'aide mutuelle, le développement de réseaux physiques et virtuels mais il doit intégrer également le fait de donner aux enseignants "des responsabilités mais pas seulement envers [leurs] élèves". Pour lui, en effet, pour que les enseignants adoptent une démarche coopérative, il faut d'abord instaurer une "collaboration du bas vers le haut". Ainsi, les réflexions et les décisions doivent être faites et prises "ensemble" avec l'institution, ils doivent être associés par exemple au développement de "rubriques de compétences", de normes, d'évaluations, et doivent pouvoir "décider". Une dimension importante, souligne encore le chercheur, la recherche ayant montré les bénéfices pour l'apprentissage "grâce à la confiance acquise par les enseignants dès lors qu'ils ont plus de soutien et sont impliqués dans le changement qui ne leur est pas imposé".

"Faire en sorte que le 'milieu' devienne le leader"

Cette capacité décisionnelle, Andy Hargreaves la revendique aussi à l'échelle locale. Pour lui, alors que la France est encore très centralisée, "il faut faire en sorte que le 'milieu', les collectivités locales et les établissements, deviennent leaders car ce sont eux qui sont proches de l'action". Leur permettre de prendre des initiatives permettra ainsi de développer un "système plus fort, plus cohésif, plus proches des écoles et des enfants".

L'importance des réseaux a été soulignée par tous les intervenants. Pas seulement virtuels mais également physiques pour que, comme le souligne Maryse Lassonde, la présidente du Conseil Supérieur de l'éducation au Québec, les enseignants puissent partager leurs pratiques mais également leurs émotions. En introduction de la table ronde, celle-ci mettait en avant les résultats d'une enquête que vient de réaliser le CSE sur la santé mentale des enseignants et indiquait, entre autres, qu'en France, 12 % des enseignants disaient être exposés à des violences verbales, un taux deux fois plus élevé que ceux qui ont un autre emploi, les moins de 30 ans étant les plus touchés, alors qu'une enquête de l'OCDE avait de son côté mis en exergue le fait que 18 % des enseignants étaient affectés par le stress. Pour lutter contre cela, le CSE vient de préconiser au Gouvernement du Québec d'inclure dans la formation universitaire des enseignants le développement de compétences sociales et émotionnelles. Cela permettrait aux enseignants, explique-t-elle, de développer leur capacité à maîtriser leurs émotions, leurs comportements, leur stress et "d'entretenir ainsi des relations respectueuses avec leurs élèves en plus de nourrir leur motivation", de connaître les ressources de soutien offertes par l'institution, les parents, la communauté, de développer la capacité "à maintenir des relations harmonieuses, à coopérer, à demander de l'aider et à aider les autres", ainsi que la capacité "d'évaluation réaliste des conséquences de [leurs] gestes sur [leur] bien-être et celui des autres".

Andy Hargreaves estime de son côté qu'en France, la question du temps doit être abordée, celui "qu'ils auront avec les autres professeurs", alors que les enseignants français sont ceux qui passent le plus de temps devant les élèves par rapport à la majorité des autres pays, les professeurs finlandais étant à l'inverse ceux qui disposent le plus de temps hors la classe.

Les outils numériques pour permettre l'apprentissage 7 jours sur 7

Concernant l'utilisation des technologies, Stanislas Dehaene, le président du Conseil scientifique de l'éducation nationale et co-responsable scientifique du colloque, a de son côté vanté les mérites de logiciels qui peuvent permettre d'accompagner les élèves dans leurs progressions et "prolonger l'apprentissage 7 jours sur 7", donc à la maison, dimension qu'il dit être "fondamentale". L'enseignant "du futur" doit pouvoir plus globalement être "entouré d'un petit nombre d'outils bien choisis", selon Stanislas Dehaene. "Bien choisis" et qui "aient fait leurs preuves dans des tests randomisés", car, dit-il, des outils numériques peuvent aussi "être corrélés à une baisse des performances". Il plaide notamment pour l'utilisation de logiciels qui sont développés en s'appuyant sur les 4 piliers d'apprentissage identifiés par les sciences cognitives : la capacité à susciter l'attention, la concentration, à "piquer la curiosité" (au moyen de jeux par exemple), la capacité à susciter l'engagement actif (interactivité), à avoir un retour sur erreur donc à se tester et à fournir du feedback et enfin, la capacité à mettre en œuvre la consolidation (répéter, dormir).

L'enseignant "du futur" doit aussi, en plus des "logiciels de fond de classe", pouvoir être entouré d'outils scientifiques et technologiques tels que des manuels, qui seront "utiles" s'ils s'appuient également, selon lui, sur des recherches translationnelles. Ces manuels pourraient par exemple intégrer un exerciseur, et permettraient dès lors à l'enseignant de se concentrer sur l'évaluation à développer. Le chercheur évoque les 2 dispositifs d'évaluation qui ont été élaborés par le CSEN, dont celui dédié aux CE1 qui permet, dit-il, de savoir "sur chaque item où se situe un élève". Ces outils, surtout, estime le chercheur, ne doivent pas être mis à disposition une seule fois dans l'année mais être "proposés en libre service" pour pouvoir "vérifier à tout moment où en sont les élèves". Pour lui, "l'enseignant du futur [doit être] entouré d'outils prédictifs".

Camille Pons

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