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Numérique et recherche en éducation : les recommandations de l'INRIA (exclusif)

Paru dans Scolaire le vendredi 13 novembre 2020.

ToutEduc a rendu compte des propositions de l'INRIA émises dans le cadre des Etats généraux du numérique pour l’Éducation. L'Institut national de recherche en informatique et en automatique nous adresse ce commentaire de ses premières recommandations, celles qui concernent la recherche, que nous sommes heureux de publier.

"La clôture le 5 novembre dernier des EGNE, États généraux du numérique pour l’Éducation terminait un cycle de débats où de nombreux contributeurs ont pu exprimer leurs idées et leurs propositions notamment sur le site web participatif des EGNE.

Inria qui publiera fin novembre un livre blanc sur les enjeux et défis du numérique pour l’éducation, a saisi l’occasion pour proposer sept recommandations (voir ToutEduc ici) que l’institut a regroupées en trois grandes thématiques : la recherche, la formation au et par le numérique et l’action publique. Nous avons jugé important qu’Inria, en tant qu'institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, apporte sa contribution aux débats.

La synthèse des EGNE peut se résumer avec les 40 propositions réparties dans les cinq grands chapitres qui organisaient les débats (ici). De nombreuses propositions font écho aux recommandations que Inria avait proposées et cette première tribune revient sur la thématique recherche et évaluation, qui correspond aux propositions 10 (1) et 32 (2).

Le numérique : science et technologie, industrie et culture.

Le numérique transforme le monde car comme toute "technique révolutionnaire" inventée par l’Humain, il transforme la société dans laquelle il a été inventé et intégré (3). Il est donc important de comprendre et d’anticiper cette transformation pour, a minima, tenter d’en éviter les inconvénients et surtout en tirer le plus grand bénéfice pour nous tous. En effet, la technique est a priori "neutre" ; cependant, un mauvais usage par l’Humain peut amener à de graves déconvenues. Le numérique – et en son cœur l’informatique - n’est pas qu’une technologie, c’est aussi une science, une industrie et maintenant une culture. C'est pour cette raison que nous cherchons à permettre à chacun de devenir acteur et non simple consommateur de cette transformation, pour permettre à chaque citoyen d’exercer ses droits et devoirs démocratiques. Pour cela il est indispensable d'aider chacun à acquérir un niveau minimal d'acculturation au numérique afin qu’il n’y soit pas aliéné.

C'est dans cette intention que Inria propose sa contribution sur la formation au numérique et par le numérique, face aux enjeux et défis éducatifs actuels. La recherche en sciences du numérique, en collaboration avec d’autres disciplines dans des approches transdisciplinaires, et au premier chef les sciences de l’éducation, les sciences cognitives et les neurosciences, doit contribuer à développer des travaux scientifiques où l’enjeu est de savoir travailler ensemble au-delà des silos disciplinaires, en se focalisant sur quelques défis majeurs et en sachant définir des méthodologies d’évaluation des résultats de ces travaux, évaluation sans laquelle il ne peut y avoir de progrès solide au bénéfice des apprenants.

Un enjeu central et prioritaire : la réussite scolaire.

Parmi les très nombreux sujets d’études sur l’Éducation, ceux autour de la réussite scolaire sont la clé de voûte de l’enjeu sociétal de l’éducation. Ce sujet de recherche pose la question d'aider à engager pleinement les élèves dans les activités pédagogiques grâce à des approches exploitant l'informatique, que ce soit comme support aux processus d’enseignement et d’apprentissage (Technology Enhanced Learning) ou en utilisant le numérique pour étudier ces processus (comme le font les approches Computational Learning Sciences).

La première question est de s’interroger sur comment favoriser la réussite scolaire. Il convient d’y répondre en élaborant des programmes de recherche conjoints avec les sciences cognitives, les sciences de l’éducation et les sciences du numérique fondées notamment sur l'IA, le traitement automatique des langues, la robotique, la réalité virtuelle/augmentée. Cette synergie scientifique doit permettre d’élaborer des environnements d’apprentissage adaptés aux caractéristiques individuelles, et encore plus nettement aux personnes en besoin d’adaptation scolaire, en particulier en situation de handicap. Cette démarche s’inscrit dans un vaste programme scientifique autour de la modélisation de l’apprenant en questionnant l’émergence d’une "science computationnelle de l’apprentissage".

Passer des opinions à une étude rigoureuse des actions éducatives.

Il est également nécessaire de s’interroger sur la façon de mesurer précisément les effets induits. Parmi les voies à suivre, nous pouvons mentionner le développement d’études expérimentales rigoureuses menées avec des enseignants ainsi qu'avec des dispositifs numériques de mesure de l’attention et d'états cognitifs/conatifs (motivationnels) (voir ici). Ces mesures s’effectuent à partir d’analyses de traces d’utilisations de logiciels (learning analytics), d’analyses de captations vidéo cherchant à identifier le comportement d’un utilisateur mais également, à terme, avec des interfaces cerveau-ordinateur (BCI, Brain Computer Interface) ou bien avec d'autres signaux physiologiques que ceux liés à l’activité cérébrale. Par exemple, on peut mentionner l’utilisation de mesures biométriques comme la pupillométrie ou encore les électroencéphalogrammes (EEG) utilisés dans l'analyse de l'activité de l'apprenant dans des environnements numériques d'apprentissage comme NetMaths (Ghali&al-2018, note 4 et ici). Il s’agit de développer la théorie en même temps qu’on met en œuvre les approches opérationnelles qui en découlent.

Parmi ces sujets de recherche, il nous semble particulièrement pertinent d’étudier, en intégrant aussi le point de vue des sciences du numérique, la question de l’amotivation (Sander-2018, note 5), qui est l’une des causes de l’échec scolaire. Une telle initiative permettrait de construire un programme de recherche abordant les volets suivants :

● De quoi s'agit-il ? Quels facteurs psychologiques sont engagés ? En se rapprochant notamment de spécialistes en sciences cognitives et de psychologues de l’éducation qui travaillent sur ce sujet depuis des décennies ;

● De quoi résulte-t-elle ? Identification des facteurs de l’individu et des facteurs contextuels des "conditions extérieures" (milieu social, conditions familiales, etc.).

Inria souhaite améliorer la structuration et la visibilité de ses recherches fortement pluridisciplinaires (par exempple ici) sur ce sujet, notamment en développant des partenariats avec des acteurs académiques et économiques, à travers des équipes-projets communes afin de pouvoir construire dans des cycles courts des cadres théoriques, des conditions d’expérimentation pertinentes et de garantir leur diffusion effective et opérationnelle.

Quelques équipes de recherche Inria ont déjà ouvert la voie comme l’équipe-projet Flowers, et d’autres encore que l’on peut découvrir sur le site web de l'INRIA (ici), sans oublier d’autres équipes de recherche par exemple à Sorbonne Université (Mocah du LIP6) ou à l’université de Lorraine (Kiwi du Loria).

Chercher c’est bien, prouver c’est mieux : évaluer l’éducation.

Avoir un impact réel et objectivé nécessite d’avoir une évaluation indiscutable et pour cela de développer des méthodologies rigoureuses d'évaluation du numérique éducatif. Comme l’a rappelé Stanislas Dehaene dans son intervention du 4 novembre lors des EGNE où il a évoqué l’analogie avec l’évaluation dans le domaine de la santé avec les essais cliniques, certaines intégrations passées du numérique ont été réalisées sans évaluation de leurs impacts sur les apprentissages ou bien alors analysées dans le cadre d'expérimentations à portée trop limitée. Face aux défis de la complexité des causes, il est nécessaire de développer des recherches transdisciplinaires aboutissant à des études rigoureuses, produisant des résultats solides sur les effets du numérique éducatif.

Les équipes de développement de solutions d’envergure telles que Sesamath (ici), ViaScola (ici), Léa (ici) (liste non exhaustive) fonctionnent le plus souvent avec des enseignants chevronnés et entretiennent parfois des collaborations de recherche, tant dans la phase de conception que dans l’évaluation des résultats. Comme exemple caractéristique, citons NetMaths (ici), plateforme interactive québécoise d'apprentissage des mathématiques particulièrement réussie, tant du point de vue des contenus que de celui des collaborations avec la recherche.

Cette démarche de conception collaborative n’est pas toujours adoptée dès l’analyse des besoins et durant l’élaboration de la solution. Cela empêche par exemple de proposer dans les solutions développées des indicateurs et des traces d’apprentissage (logs) selon un modèle de traces adapté à l'évaluation.

Pour dépasser les limites actuelles, nous recommandons l’intégration d’une démarche d’évaluation dès la phase de conception. Ces évaluations doivent pouvoir décrire de manière claire et détaillée les usages et la situation d’apprentissage concernés.

Dans la prise de décision en lien avec le numérique éducatif, il est important de pouvoir apporter des indicateurs en lien avec les résultats de recherche. Comme dans le cas du Nutri-Score, le développement d’indicateurs compréhensibles faciliterait la prise de décision sur les outils EdTechs et leurs contextes d’utilisation.

Gérard Giraudon (*). Pascal Guitton, (***) Margarida Romero (**), Didier Roy (****) et Thierry Viéville (*) se sont associés pour la rédaction de cette tribune.

(*) Inria

(**) Université Côte d’Azur

(***) Université de Bordeaux & Inria

(****) Inria & LEARN EPFL

(1) Proposition n° 10 : Favoriser les projets associant chercheurs et enseignants pour une conception collaborative d’outils adaptés aux besoins de la communauté éducative et une analyse de leurs usages pour mettre à disposition des logiciels dont l’efficacité pour les apprentissages peut être mesurée

(2) Proposition n° 32 : Aider les laboratoires de recherche et assurer le transfert des innovations dans l’éducation pour développer des solutions numériques en pointe et transférer dans l’éducation les derniers résultats de la recherche académique

(3) « Du mode d’existence des objets techniques », Gilbert Simondon, collection Analyse et Raisons Aubier éditions Montaigne, 1958 ; à noter qu’il y a eu 3 autres éditions augmentées aux éditions Aubier (1969, 1989, 2012).

(4) Ghali&al-2018] "Identifying brain characteristics of bright students", Ghali, Ramla, et al. Journal of Intelligent Learning Systems and Applications 10.03 (2018) : 93.

(5) Sander-2018] : "Les neurosciences en éducation – Mythes et réalité", E. Sander, H. Gros, K. Gvozdic, C. Scheibling-Sève, Edition Retz, 2018"

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