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Protocole sanitaire renforcé : échos de sa mise en oeuvre ... ou des impossibilités de sa mise en oeuvre

Paru dans Scolaire le mardi 10 novembre 2020.

ToutEduc a recueilli les paroles de chefs d'établissement, d'enseignants, d'élèves, de parents et d'agents d'entretien qui témoignent de la mise en oeuvre du protocole sanitaire dans leur établissement ou leur école. Les mesures prévues s'avèrent être souvent "intenables et inapplicables"...

"Le protocole sanitaire est respecté. Je ne vois pas pourquoi il faut mettre en place une autre organisation." Cette réponse est faite à un enseignant qui pose une question à son proviseur sur le dédoublement des classes proposé par le ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. "Mais, monsieur, on fait quoi de l'urgence sanitaire ?", questionne encore le même professeur. "Je m'en fiche. Les choses sont telles qu'elles sont. De toutes les manières, nous allons bientôt fermer les lycées." Contacté par ToutEduc, le proviseur, agacé, souhaite, tout de même, s'expliquer : "J'aime mon métier, dit-il. Je commence, sérieusement, à ne plus savoir où en sont les choses. Les injonctions changent tous les jours et sont contradictoires. Je suis à deux ans de la retraite. Depuis le mois de mars, j'ai l'impression d'avoir fait un travail de dix ans. Je ne suis pas le seul dans cette situation. Mes collègues sont fatigués, accablés. Je ne ménage pas mes efforts. Il est, cependant, difficile de mettre en place un protocole sanitaire renforcé, comme l'annonce le ministre. Notre lycée s'est organisé, depuis septembre, pour recevoir tous les élèves. Tout est fait pour cela... "

Ne plus revivre le confinement précédent

Sandra, également proviseure, suite à une réunion pédagogique avec les professeurs référents, a attendu la réponse du recteur afin de mettre en place "une autre organisation, à partir du 16 novembre", fait-elle savoir. "Les professeurs ont décidé, d'eux-mêmes, de ne plus revivre le confinement précédent. Alors, nous avons conclu que la meilleure solution serait de dédoubler les classes dépassant les 30 élèves. La moitié en présentiel et l'autre moitié ira au CDI, puisqu'il faut garder tous les élèves au lycée pour éviter le décrochage." Les enseignants, dans leur majorité, trouvent que "cela se tient" et que "c'est une bonne solution". En revanche, d'autres s'insurgent. Au CDI, la documentaliste s'inquiète "du brassage incessant et non contrôlable des élèves". Luc, professeur de Lettres-Histoire, n'est pas satisfait. "Ma classe de première, dit-il, est composée de 28 élèves. Il y a eu des cas Covid, avant les vacances de la Toussaint. Les salles sont exiguës. Vous comprenez ?". Fabien, voudrait comprendre : "Nous sommes minoritaires à proposer ce qui se fait dans les autres lycées, à savoir faire de sorte que soit respecté, un tant soit peu, le protocole sanitaire. Mais, nous sommes en démocratie...", ironise-t-il.

Romain, lui, proviseur adjoint d'un lycée polyvalent, note que son lycée n'a pas attendu "les directives ministérielles" pour prendre des décisions. "Dès le retour des vacances de la Toussaint, écrit-il par SMS, nous avons opté pour le dédoublement des classes. On accueille donc des groupes qui alternent d'une semaine sur l'autre. Le lycée vit donc à moitié... Les récréations sont épiques : on filtre les élèves pour éviter les attroupements. Les fumeurs sont mécontents mais dans l'ensemble les choses se déroulent bien et dans une ambiance plutôt apaisée, en attendant...".

"Nous, les élèves, sommes inconscients"

Laurent, un autre proviseur d'un lycée professionnel, lui, a cédé à la pression des professeurs. "Une demi-journée de grève, et le tour est joué. C'est exceptionnel dans notre lycée, ce genre de mouvement", nous dit Alain, enseignant et représentant syndical. Ainsi, le dédoublement des classes, pourtant refusé et considéré comme "impossible" par le proviseur, semble être la solution pour "travailler sereinement, pour ne plus avoir la boule au ventre quand on entre dans une salle de 30 élèves, certes masqués, mais collés les uns aux autres". Et Pascal, son collègue, d'ajouter : "Nous avions eu des élèves atteints de la Covid en début d'année. Mais aucune classe n'a fermé. Nous avions continué à venir au lycée, toujours avec cette appréhension d'être atteints à notre tour. Et de transmettre cette pandémie aux autres... Aujourd'hui, ces craintes demeurent. Elles sont même accentuées quand on voit les élèves à la récré, dans les couloirs et au réfectoire".

Noémie, élève de terminale et membre du CVL, abonde dans le sens de ses professeurs. "Ils essaient de protéger tout le monde, remarque-t-elle. Nous, les élèves, sommes inconscients. Nous oublions vite le respect du protocole. Puis, nous sommes nombreux. Les photos sur les réseaux sociaux ne manquent pas pour montrer combien nous sommes dangereux... nous sommes dangereux pour nos parents, notamment." Élise se plaint également du brassage de ses camarades et elle estime que "la situation n'est pas propice à l'apprentissage". Elle remarque : "Je ne suis pas souvent concentrée. Avec mes parents, nous parlons toujours du protocole sanitaire. J'essaie de le respecter. Mais en le respectant trop, j'ai tendance à oublier que je suis au lycée pour m'instruire. Mon travail, je le fais à moitié et encore...". Corentin, lui, affirme qu'il va, de fait, "ne pas faire [ses] devoirs". Il attendra d'être devant ses professeurs, une semaine sur deux...

Des parents inquiets

Valentine, mère d'un enfant d'une classe élémentaire, s'inquiète : "Mon fils de 6 ans, qui donc porte un masque, est rentré à la maison, le visage écarlate. Je l'ai rassuré, le premier jour. Je lui ai dit qu'il allait s'habituer. Mais le deuxième jour, idem. A l'école, m'a dit sa maîtresse, il ne se plaint pas. Cependant, quand il rentre à la maison, il pleure et ne veut plus retourner en classe. De plus, certains de ses camarades se moquent de lui, des autres également, par rapport à la couleur, à la taille ou à la forme du masque. Je viens de passer un week-end fatiguant à lui remonter le moral. J'espère que tout se passera bien, les prochains jours." Simon, lui, a dû quitter son travail pour aller chercher son enfant à l'école, après avoir reçu un appel téléphonique de la directrice. "Dans la classe de mon fils, il y a deux cas Covid. Pierre est donc considéré comme un cas contact, il fallait le ramener à la maison, illico... Ce que je fais et, heureusement, ma mère (de 70 ans...) pouvait le garder. Le soir, ma femme me dit que la directrice l'a appelée, à son tour, pour lui dire que notre enfant devrait retourner à l'école car il faut qu'il y ait trois élèves positifs pour fermer une classe... Je ne comprends rien".

Corinne, mère d'une élève au collège, n'a pas toutes les informations sur le déroulement de la scolarité de sa fille, "en ce moment", précise-t-elle. Elle met en exergue, dans ses propos, le manque de cohérence de la part de la direction de l'établissement qu'elle sollicite, souvent, pour s'organiser, organiser, "ce que j'ai toujours fait, avec ma fille, explique-t-elle, c'est-à-dire, m'assurer qu'elle ait des repères stables et sereins, impossibles en ces circonstances... j'allais dire anxiogènes".

Respecter le protocole sanitaire est une gageure...

Dans ce contexte, les agents d'entretien sont "débordé-e-s", souligne Fabienne. "Et nous sommes peu nombreux, ajoute-t-elle, car certains de mes collègues sont en arrêt maladie. Pareil pour mes collègues des autres collèges et lycées. On ne peut pas répondre présent partout. Alors, il y a des lieux qu'on ne nettoie pas, comme les ateliers, par exemple." Sonia s'interroge sur l'aération des classes : "Dans le lycée où je travaille, les fenêtres du rez-de-chaussée sont condamnées. Quand j'entre dans ces salles, après une journée de cours, je me demande comment les élèves et les professeurs peuvent supporter de travailler dans de telles conditions, dans cette odeur... Je n'ose pas prononcer le mot."

Enfin, comme l'écrit Michelle, enseignante d'un lycée général à Perpignan : "Ces mesures sont intenables et inapplicables : le gel hydroalcoolique est insuffisant, les salles doivent être aérées toutes les deux heures mais les fenêtres ne peuvent pas s'ouvrir, les élèves portent le masque à moitié, à moitié sous le nez, à moitié sur la bouche, l'intendant, mine de rien, le met carrément sur la tête, les élèves mangent en surnombre au self... Ils ne tiennent pas : enfermés dans un masque, enfermés dans le lycée, enfermés dans des barrières qui brident leur cursus".

Propos recueillis par Rabah Aït-Oufella

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