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Assassinat d'un enseignant : "un vrai traumatisme collectif et un brouillage total des valeurs" (Marie-Rose Moro, Maison des adolescents)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le dimanche 01 novembre 2020.

ToutEduc remet "à la Une" les trois interviews de psychologues et psychiatre, spécialistes de l'enfance et de l'adolescence, qui peuvent les aider lorsqu'ils retrouveront leurs élèves et devront envisager avec eux l'assassinat de Samuel Paty.

Notre système scolaire vient de subir un traumatisme. La réponse est évidemment politique et pédagogique, elle est aussi psychologique. ToutEduc donne la parole, "en clair", à Marie-Rose Moro, cheffe de service de "la Maison des adolescents, Maison de Solenn" (AP-HP), présidente du Collège national des universitaires de psychiatrie.

ToutEduc : En quoi la situation créée par cet assassinat est-elle spécifique ?

Marie-Rose Moro : Ce n'est pas la première fois qu'un enseignant est assassiné. Mohamed Merah a tué à Toulouse un professeur et trois enfants parce qu'ils étaient juifs. Samuel Paty a été tué parce qu'il était enseignant et que, en tant que tel il incarnait la liberté d'expression, le savoir, la transmission. Il a été victime d'un acte odieux de guerre alors qu'il était tout simplement en train de faire son travail de manière pacifique. Et l'assassin était très jeune, 18 ans, un adolescent réfugié, ce qui crée une forme de proximité avec les élèves de ce collège ce qui renforce encore la violence extrême, réelle et symbolique de l'acte. Nous avons affaire à un vrai traumatisme collectif et à un brouillage total des valeurs.

ToutEduc : Quel rôle peuvent jouer les psychologues de l'Education nationale ?

Marie-Rose Moro : Ils sont malheureusement trop peu nombreux encore pour représenter seuls la dimension psychologique de ce drame, mais ils peuvent contribuer à ce que personne ne soit laissé sur le côté. Les enfants les plus vulnérables sont ceux qui ne trouveront pas leurs mots pour exprimer leurs émotions, qui vont avoir des réactions inappropriées, et les psychologues peuvent aider à engager le dialogue, à construire une loi commune avec ceux qui n'arrivent pas à rentrer dans le collectif, ils peuvent aider à faire autrement, mais tous ensemble... Ne laissons aucun élève hors du lien scolaire, hors du savoir.

ToutEduc : Les enseignants sont-ils eux-mêmes toujours en mesure de réagir au mieux, et même de demander de l'aide ?

Marie-Rose Moro : Leur formation, initiale et continue, est insuffisante sur le plan psychologique, elle devrait comporter un volet psychologie sur qu'est ce que c'est qu'enfant et de l'adolescent, mais aussi des connaissances en linguistique, en sociologie, en anthropologie, en informatique... Ils ont parfois affaire à des enfants et des parents qui viennent d'autres cultures avec un rapport au savoir et aux langues multiple. Ils ont besoin de regards pluridisciplinaires. Les professionnels du soin ont des moments pour se retrouver, parler de leurs patients, avec des compétences diverses. Cela manque dans l'enseignement. Les professeurs reçoivent parfois des confidences de leurs élèves, certaines tout à fait dramatiques, et ils sont seuls pour y faire face, en envisager les conséquences, ils n'ont pas de lieu, pas d'équipe pluridisciplinaire à qui s'adresser.

ToutEduc : Vous sortez là de la situation créée par cet assassinat...

Marie-Rose Moro : Oui, parce qu'il aura des répercussions sur les élèves, sur les professeurs et sur l'école elle-même, et ce n'est pas avec une heure de discussion, une minute de silence, si nécessaire qu'elle soit, les rituels sont importants, ou même quelques heures supplémentaires d'enseignement moral et civique que l'on pourra passer à autre chose. Ce n'est pas de psychiatrie que l'Ecole a besoin, mais de la possibiité de considérer les besoins des enfants et des jeunes de manière globale et collective. On ne parle jamais de psychologie en dehors des difficultés de certains élèves et des situations traumatiques (avec des cellules de soutien psychologique, ndlr), on n'envisage pas ce qui se passe dans la classe comme un fait global et psychologique. La santé psychique des enfants et des adolescents est trop souvent oubliée, comme nous le soulignions déjà en 2016 avec la mission "Bien-être et santé des jeunes" (ici ou chez Odile Jacob, 2019, une version simplifiée et actualisée).

Propos recueillis par P. Bouchard et relus par Marie-Rose Moro, et libres de droit

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