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Apprentissage de la lecture : comment l'école est passée du goût de l'effort au jeu littéraire (Samuel Pinto, Paris 8)

Paru dans Scolaire le jeudi 22 octobre 2020.

La littérature de jeunesse est devenue le "terrain de jeu" de l'apprentissage de la lecture et l'élève est désormais invité à "enquêter, collecter des indices pour comprendre". Telle est l'évolution dans l'apprentissage de la lecture à l'école constatée par le chercheur Samuel Pinto, au vu de travaux réalisés dans le cadre de sa thèse, qu'il soutiendra en décembre prochain. Il a présenté les éléments saillants de ce travail de recherche qui s'intéresse à l'enseignement de la lecture au CP à partir de la littérature de jeunesse, ce mardi 20 octobre 2020, dans le cadre du colloque "Le jeu : entre familles et institutions. Approches pluridisciplinaires des acteurs, des territoires et des enjeux sociaux" organisé à distance par l'université de Bordeaux et le Laboratoire Cultures Éducation et Sociétés (LACES) ces 19 et 20 octobre 2020 (lire ici). Dans son intervention, "Le plaisir de lire et la lecture comme jeu. Continuités et discontinuités éducatives dans la scolarisation des pratiques culturelles à l'école primaire", le chercheur de l'équipe ESCOL (Éducation et scolarisation) du Centre interdisciplinaire de recherche, culture, éducation, formation, travail (CIRCEFT, Paris 8) montre comment l'école a rompu avec sa conception initiale, une méthode "procédurière" et basée sur "le goût de l'effort" et le décodage, pour aller vers la "lecture/interprétation", donner "une large place au lecteur", devenu depuis "un acteur majeur". Et comment, au titre de la consécration du "plaisir de lire", la littérature de jeunesse est ainsi "devenue un support de choix pour les apprentissages, en particulier la lecture".

Sa méthodologie a consisté à analyser les instructions officielles de 1923 à nos jours, à effectuer une étude qualitative de 30 albums, complétée d'entretiens avec des concepteurs, des enseignants et des éditeurs (13, en particulier L'école des loisirs).

Le tournant vers le jeu littéraire dans les années 80 : le jeune lecteur doit mener l'enquête

L'emploi de la littérature de jeunesse pour apprendre "repose sur des attentes didactiques et pédagogiques qui sont notamment fondées sur des présupposés cognitifs et culturels liés au développement du 'plaisir de lire' et à la 'ludicisation' des supports pédagogiques et des modalités d'apprentissage", explique le chercheur. Cette "inscription du 'plaisir' dans le curriculum prescrit", et du coup cette "profonde rupture" avec l'ancienne conception de l'apprentissage de la lecture, date du début des années 70. Les instructions officielles invitent alors à privilégier pour les enfants ce qui est "amusant, tonifiant", même si le terme "plaisir" était déjà inscrit dans les instructions de 1923. Mais à cette époque, commente encore le chercheur, on visait le "plaisir de la lecture bien réalisée" et non le "plaisir de lire".

Cette "consécration d'une vision, celle des bibliothécaires et du plaisir de lire", sera parachevée en 2002, moment où la littérature de jeunesse devient un "terrain de jeu" de l'apprentissage de la lecture. Dès lors, pour le ministère de l'Éducation nationale, au "cycle 2, la fréquentation de la littérature de jeunesse doit demeurer une priorité", une "base culturelle sans laquelle parler, lire et écrire ne seraient que des mécanismes sans signification". Et c'est depuis les années 80, qu'a pénétré plus largement le "jeu intellectuel", en parallèle des profonds changements dans les formes de narration que connaît la littérature de jeunesse, "conçue de plus en plus comme une enquête". Le lecteur devient ainsi "actif", explique Samuel Pinto : "il mène l'enquête et remplit l'espace des non-dit", doit "collecter les indices" (ce qui n'est pas explicite), "démêler les différentes composantes, iconiques et textuelles" dans un "espace sémiotique total" et les faire "converger pour comprendre".

Des usages du jeu et de la lecture différenciés socialement qui ne préparent pas aux attentes de l'institution scolaire

Enfin, au-delà de cette transformation de la façon d'approcher en classe l'apprentissage de la lecture, le travail du chercheur met également en évidence une lacune de l'institution scolaire dès lors que s'observent par ailleurs des "conceptions du jeu et des apprentissages socialement différenciées". Ainsi, il n'y a pas de "stratégies" à l'école qui "pourraient permettre l'accès de tous les élèves aux codes attendus", l'école semblant considérer "comme naturel le rapport à la lecture et au jeu", alors que les usages sociaux les concernant sont différents selon les origines sociales. Globalement, observe-t-il, les activités de loisirs des classes moyennes et supérieures sont le plus souvent le prétexte, conscient ou non, d'activités favorisant les apprentissages. Au contraire dans les classes populaires, les activités ou les sorties sont le plus souvent dénuées de tout caractère scolaire (prendre du bon temps avant tout). Ainsi, alors que dans les classes populaires le jeu est "souvent intimement lié à la confrontation" (sur les consoles vidéos, les jeux de combat, de guerre, de tir sont très prisés par les garçons par exemple) et les lectures partagées, celles du soir, conçues comme un moment "de communion où l'enfant doit écouter sans interrompre", dans les classes moyennes et supérieures, le jeu est perçu comme "un lieu de développement cognitif d'apprentissage" et la lecture partagée invite l'enfant à être acteur, "dès lors que le parent focalise sur des moments, des éléments, reformule, intervient...".

Des usages sociaux qui "ne préparent pas de la même manière aux apprentissages et au plaisir de lire tel que l'attend l'institution", observe le chercheur qui regrette cette "absence de stratégie qui fait que l'on ne permet pas de développer le plaisir de lire chez les enfants ne disposant pas au préalable des prédispositions requises".

Camille Pons

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