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Indemnité de départ volontaire : le Conseil d'Etat précise les règles (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le jeudi 01 octobre 2020.

Un arrêt, rendu par le Conseil d’Etat le 21 septembre 2020, apporte de très intéressantes précisions sur les règles applicables au cas où un enseignant démissionne de ses fonctions pour créer sa propre entreprise : c’est ce qu’avait fait un maître contractuel de l’enseignement privé qui exerçait dans le département de l’Isère depuis plus de 20 ans.

Cet enseignant, qui estimait à juste titre que son statut de contractuel de droit public lui donnait droit aux mêmes avantages que ceux accordés aux membres de l’enseignement public au titre du principe de parité, avait présenté au recteur de Grenoble, le 5 septembre 2014, une demande préalable pour connaître le montant de l’indemnité de départ volontaire (IDV) auquel il pouvait prétendre en cas de reprise ou de création d’une entreprise. Au vu de la réponse du recteur, en date du 17 novembre 2014, il a contesté le chiffre de 22000 euros que lui proposait le recteur, en réclamant de son côté, par recours gracieux, plus de 70000, chiffre maximal autorisé par les textes de l’époque. Il n’en a pas moins présenté sa démission le 28 janvier 2015, tout en indiquant que, même s’il acceptait provisoirement la somme promise pour pouvoir lancer immédiatement son projet, il maintenait sa contestation de ce montant ; il a d’ailleurs saisi de cette question le TA de Grenoble, puis la CAA de Lyon, qui ont tous deux rejeté sa demande de complément d’indemnité.

Un décret du 17 avril 2008 prévoyait le versement d’une telle indemnité aux fonctionnaires et aux agents non titulaires de droit public recrutés pour une durée indéterminée, qui quittent le service de l’Etat pour créer ou reprendre une entreprise (cette possibilité a disparu en décembre 2019, puisque, s’agissant de création ou de reprise d’entreprise, l’IDV est désormais remplacée par une indemnité de rupture conventionnelle). Le décret laissait une certaine latitude à l’administration pour fixer le montant de cette indemnité, puisqu’il prévoyait une possibilité de modulation en fonction de l’ancienneté de l’agent et il fixait simplement une limite supérieure : vingt-quatre fois un douzième de la rémunération annuelle brute perçue par l’agent au cours de l’année civile précédant démission.

Cette réglementation laissait donc une large marge de décision à chaque ministre, qui avait la liberté de fixer, pour son administration, les conditions d’attribution de l’indemnité en tenant compte de l’ancienneté du demandeur ; pour éviter cependant des écarts trop importants entre services, une circulaire du 19 mai 2009 fixait des fourchettes, en recommandant, s’agissant des reprises et créations d’entreprises, de se situer dans la partie haute de la fourchette.

Il s’agissait donc de dispositions sans caractère impératif, ne comportant que des orientations générales et des lignes directrices à caractère indicatif, présentant toutes les caractéristiques du "droit souple". "Dans le cas, indique le Conseil, où un texte prévoit l’attribution d’un avantage sans avoir défini l’ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l’attribuer parmi ceux qui sont en droit d’y prétendre ou de fixer le montant à leur attribuer individuellement, l’autorité compétente peut, qu’elle dispose ou non du pouvoir réglementaire, encadrer l’action de l’administration, dans le but d’en assurer la cohérence, en déterminant, par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, sous réserve de motifs d’intérêt général conduisant à y déroger et de l’appréciation particulière de chaque situation. Dans ce cas, la personne en droit de prétendre à l’avantage en cause peut se prévaloir, devant le juge administratif, de telles lignes directrices si elles ont été publiées."

Sur cette base, le Conseil d’Etat, reconnaissant pour la première fois la compétence d’une autorité investie du pouvoir réglementaire d’émettre des lignes directrices, annule la décision de la Cour administrative d’Appel à laquelle il reproche d’avoir commis des erreurs de droit : elle n’a en particulier pas recherché si le taux appliqué par le recteur s’inscrivait dans la fourchette prévue par la circulaire en fonction de l’ancienneté de l’agent ou, à défaut, s’il existait un motif d’intérêt général ou des circonstances particulières permettant de s’en écarter. Décidant de régler l’affaire au fond, le Conseil d’Etat va néanmoins confirmer le rejet de la requête.

La proposition des 22000 euros était accompagnée d’une mention, prévue par les textes, indiquant que le montant indiqué n’était valable que "dans le cas d’une démission, régulièrement acceptée par l’administration et intervenant dans le courant de l’année civile en cours". La démission du professeur a été adressée fin janvier 2015, alors que la proposition du recteur avait été émise en novembre 2014. L’administration était donc en droit de fixer un nouveau montant. Et, malheureusement pour l’intéressé, une nouvelle circulaire avait été publiée le 27 novembre 2014, qui fixait des conditions beaucoup plus défavorables pour les demandeurs, en supprimant toute règle spécifique pour les créations ou reprises d’entreprises et en fixant la fourchette applicable aux agents ayant plus de dix ans d’ancienneté entre 20 et 50% du plafond prévu par le décret de 2008.

Sur cette question nouvelle de la date d’application des lignes directrices, rejetant les observations du requérant qui invoquait les dispositions de 2009, le Conseil d’Etat décide de lui appliquer celles de la nouvelle circulaire : "en fixant le montant définitif de l’indemnité due à 22000 euros, l’administration a pu, sans porter atteinte à la garantie des biens du requérant résultant de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme et sans le priver d’une quelconque espérance légitime, faire légalement application, dans l’arrêté du 13 mars 2015, par lequel elle a accepté sa démission et a fixé définitivement le montant de son indemnité, de la circulaire du 27 novembre 12014 qui avait été publiée entre temps". Avec 22000 euros, on se trouvait à 30% du plafond, dans la fourchette. L’administration ne commettait donc aucune erreur manifeste d’appréciation, quelles que soient la valeur professionnelle, non contestée, de l’intéressé et la pertinence et le besoin de financement de son entreprise.

Elle n’avait pas non plus commis de faute, dans la mesure où, comme cela résulte de l’instruction, elle n’avait pas utilisé de délais exagérément longs pour traiter le demande, ni retardé délibérément ses décisions pour pouvoir appliquer les dispositions nouvelles. Le rejet de la demande du requérant est donc confirmé.

André Legrand

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