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Les méthodes du CSEN (le Conseil scientifique de J-M Blanquer) étrillées par un chercheur (U. de Lille)

Paru dans Scolaire le mardi 29 septembre 2020.

Les "Recommandations pédagogiques pour accompagner le confinement et sa sortie" publiées par le CSEN (Conseil scientifique de l’Education nationale) au mois de mai dernier s’écartent "de ce qui fait la méthode scientifique", estime Cédrick Fluckiger (université de Lille) qui publie un long réquisitoire. "Un passage surtout a suscité l’inquiétude de chercheurs et collectifs scientifiques", celui qui prétend que seuls les "essais randomisés contrôlés" permettent de "vérifier qu’un outil pédagogique fonctionne".

Le chercheur pose une question préalable : Une instance étatique a-t-elle vocation "à décréter ce qu’est la bonne et la mauvaise science" ? Autre sujet d'étonnement, ce texte "est constitué pour sa majeure partie de recommandations extrêmement générales" qui n'ont pas leur place "dans un document censé guider l’action des enseignants". Cédric Fluckiger relève aussi que le CSEN donne, en notes de bas de page, 56 références à des études scientifiquees. Seules deux sont francophones, une étude de 1996 et un ouvrage grand public de S. Dehaene. "Les vifs débats depuis au moins 50 ans sur les tentatives de fonder scientifiquement l’éducation, de la pédagogie expérimentale à la psychopédagogie ne sont-elles d’aucune utilité pour situer les prétentions actuelles à identifier les méthodes et outils efficaces ? Ou faut-il penser que les auteurs du rapport ne lisent pas et ne connaissent pas ces travaux ? (...) En occultant toute recherche en éducation hors des approches cognitives, on se prive de tous les résultats empiriques qui ne portent pas sur des processus cognitifs (...). La question de l’usage d’un outil éducatif ne se réduit pas à sa seule dimension cognitive" et "un outil peut être efficace en laboratoire mais se trouver mal adapté au contexte social de la classe (...). Plus largement, éducation et apprentissage sont des phénomènes sociaux, ce qui signifie que des facteurs autres que cognitifs interviennent."

Or les facteurs "sociaux, culturels, institutionnels, didactiques" sont "tout simplement évacués (...). Déjà en 2009, Saussez et Lessard (chercheurs québécois, ndlr) discutaient des prétentions de l’evidence based education (l'éducation fondée sur les preuves apportées par la science, ndlr) et en montraient les limites." Mais, même par rapport aux exigences scientifiques de l’evidence based education, dont il semble se réclamer, ce rapport échoue à respecter les standards minimums."

L'auteur va plus loin, il conteste l'idée même qu'il serait "possible de montrer la valeur d’un logiciel, d’une ressource ou d’une méthode" : outre que le CSEN ne définit jamais ce qu'il entend par "efficacité", "l’idée même d’efficacité en éducation a peu de sens sur le plan scientifique". En effet, toute démarche scientifique "repose sur un découpage du réel" et l’outil ou la méthode "constituent plutôt de mauvaises unités d’analyse". Ne serait-il pas "plus pertinent de prendre pour objet des processus, des activités" ? Le CSEN, "en ignorant la pluralité des théorisations et des modes de prises sur le réel qu’elles constituent, s’en tient au niveau pré-scientifique, aux catégories non construites et aux évidences de sens commun".

Cédric Fluckiger rappelle d'ailleurs que S. Dehaene a déjà prôné, en 2011, le recours à l’expérimentation (de la méthode proposée par M. Zormann et l'équipe de Grenoble, P.A.R.L.E.R, ndlr) et "le résultat n’a guère surpris" : "les élèves des classes expérimentales ne lisaient pas mieux que ceux des classes contrôle" et il conclut : "Les arguments pour imposer une certaine vision de ce que doit être la recherche en éducation ne sont pas scientifiques, ils sont politiques (...). Dans cette vision, l’activité enseignante se résume à une collection d’outils et de méthodes, que l’on peut isoler, comprendre et analyser individuellement (...), les enseignants sont renvoyés à un rôle de simples exécutants passifs (et mal payés) de méthodes et d’outils mis au point en laboratoire" et lorsque "les outils n’ont pas le bon goût de montrer leur efficacité", on finit "par affirmer que c’est parce que les enseignants ne savent pas s’en saisir".

Le texte complet de Cédric Flukiger ("Ressources et outils face à la covid-19 : critique d’un texte du CSEN sur la recherche qui a 'sa place' en éducation". Revue Adjectif, 2020 T3. Mis en ligne lundi 21 septembre 2020), ici

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