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Égalité de traitement pour les personnes LGBTI : si on suivait l'exemple de pays anglo-saxons qui ont inscrit ces questions dans le curriculum dès le premier degré (OCDE) ?

Paru dans Scolaire le lundi 14 septembre 2020.

Introduire le sujet de l'inclusion des LGBTI (lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre ou intersexe) à l'école constitue un "front crucial" dans la bataille pour gagner l'égalité des droits pour les personnes LGBTI et toute situation, dès le plus jeune âge et à l'école primaire, doit faire l'objet d'une attention spéciale parce que "les valeurs et les comportements se forgent très tôt et auront davantage de chance de résister ainsi au changement au cours de la vie". Telle est l'une des principales observations faites par les auteurs d'un récent rapport, "Over the Rainbow? The Road to LGBTI Inclusion", publié cet été par l'OCDE. Auteurs qui font dans ce domaine un ensemble de recommandations, parmi lesquelles, "pour ancrer profondément la culture d'une égalité de traitement", rendre cette thématique obligatoire à l'école, dès le plus jeune âge, dans le curriculum, avec des contenus adaptés à l'âge, et en fixant des objectifs clairs pour les personnels éducatifs. Et, pour rendre ce sujet effectivement applicable, il conviendrait, poursuivent-ils, de veiller à sa mise en œuvre via des contrôles étroits qui seraient effectués par des inspecteurs de l'éducation, mais également de former les enseignants et d'instaurer la "tolérance zéro", notamment en matière de langage.

Inscrit dans la lignée d'un "appel à l'action" signé par 16 pays "pour produire des recherches sur la manière dont les minorités d'orientation sexuelle et d'identité de genre sont incluses", c'est l'un des deux rapports "majeurs" réalisés sur cette question par l'OCDE, explique à ToutEduc l'une des principales contributrices, Marie-Anne Valfort, de la Division des politiques sociales : ce rapport s'intéresse particulièrement au droit et aux pratiques inclusives et fait suite à un autre rapport publié l'an passé, qui dressait un panorama de la société et, dans son chapitre principal, abordait la manière dont ces populations étaients perçues et discriminées au regard de leurs situations socio-économiques.

Un sujet obligatoire à l'école primaire et au secondaire au Royaume-Uni

Alors que "ces conditions sont encore rarement satisfaites dans les pays de l'OCDE", les auteurs passent en revue quelques pratiques exemplaires. À ce titre, écrivent-ils, le Royaume-Uni constitue une "exception". En effet, au Royaume-Uni, à partir de 2014, le bureau gouvernemental des égalités a lancé une série de programmes ambitieux pour prévenir et combattre la phobie LGBTI dans les écoles. Cela s'est traduit par l'élaboration de contenus à l'école primaire et dans les établissements du secondaire, qui démarrent à cette rentrée 2020.

Les contenus concernant l'école primaire sont axés autour de la nécessité de bâtir des relations positives, en faisant référence aux relations familiales, amicales, et aux relations avec les autres enfants et adultes. Cela passe par des discussions : d'abord sur la diversité des familles (incluant les monoparentales, avec parents LGBT, adoptives, familles d'accueil...), objectif étant que les enfants apprennent à respecter tous les types de familles, "dans la mesure où elles sont toutes caractérisées par de l'amour et du soin" ; ensuite, concernant les relations avec les autres enfants et adultes, le programme vise à notamment leur apprendre à respecter les autres, à connaître les différentes formes de harcèlement et leur impact, ce qu'est un stéréotype, etc.

Au travail sur les rapports entre personnes s'ajoute une dimension d'éducation sexuelle au secondaire : les élèves discuteront autour des stéréotypes, apprendront à distinguer ce qu'est l'orientation sexuelle et l'identité de genre et se verront également enseigner les faits et les lois qui entourent ces dimensions.

Des formations et des ressources pour les enseignants

Les auteurs estiment également essentiel, en parallèle, d'accompagner les enseignants dans la façon d'enseigner ces sujets, notamment au travers de stages, mais aussi en leur donnant accès à des plans de leçons détaillés, à l'instar de ceux qui sont fournis dans le cadre du projet "No Outsiders" qui a été développé au primaire en Angleterre à partir des années 2000. Ces ressources consistent en une histoire que lit l'enseignant, histoire assortie de notes pour lancer la discussion ainsi que d'un jeu de rôles pour soulever les questions et développer la pensée. La leçon est ensuite suivie d'une séance plénière.

Des connaissances doivent être aussi données aux enseignants pour qu'ils puissent intégrer les familles LGBTI, ces personnes et ces thèmes dans tout le curriculum, au-delà même de l'enseignement obligatoire concernant l'inclusion des personnes LGBTI. Car confiner la mention des LGBTI à un espace spécifique du curriculum entraîne le risque que les enfants voient le monde LGBTI comme quelque chose de "marginal" ou même comme quelque chose "à cacher" ou dont on doit avoir "honte", observent encore les auteurs. À ce titre la "UK-based LGBT rights charity Stonewall" a récemment publié deux guides avec des pistes, pour le primaire comme le secondaire, pour inclure les identités LGBTI dans tous les domaines du curriculum.

La chercheuse indique qu'un mouvement "similaire" à celui développé en Angleterre est attendu en Écosse, dans la lignée de l'adhésion du gouvernement écossais, en 2018, aux 33 recommandations faites par le groupe de travail sur l'éducation inclusive LGBTI (LGBTI Inclusive Education Working Group), alors que, regrette-t-elle, "en France, si les sites d'Eduscol et Canopé proposent des contenus, en revanche ils s'adressent beaucoup aux collégiens et pas beaucoup aux élèves du primaire".

"Tolérance zéro" contre le langage péjoratif partout dans l'école

Donner les moyens aux enseignants d'implémenter cette thématique dans le curriculum n'est néanmoins pas "suffisant" pour prévenir et combattre le harcèlement et la phobie contre les personnes LGBTI. À ce titre, les auteurs invitent également à une approche qui concernerait la totalité de l'école, et à s'intéresser aussi au langage et au comportement phobique chaque fois qu'ils apparaissent. Ainsi, observent les auteurs, les expressions comme "pédé", "gouine", "trop gay", sont utilisées avec désinvolture dans les interactions quotidiennes parce qu'elles restent "souvent indiscutées" par le personnel scolaire. "D'abord parce que les personnels manquent de confiance pour le faire", mais aussi "parce qu'ils considèrent ce langage comme de la plaisanterie inoffensive", constatent les auteurs. "Quand on les entend se traiter de pédés entre eux, cela devrait être systématiquement épinglé et être sujet de discussion avec les élèves", poursuit Marie-Anne Valfort. "Car, certes, les enseignants répondent souvent qu'il ne s'agit pas obligatoirement pour eux d'une insulte homophobe, mais cela crée un climat de tension et de pression sur les élèves LGBTI. Il s'agit donc de faire s'interroger les élèves : 'est-ce approprié ?'." Et cette "politique de tolérance zéro contre les violences mais aussi les insultes" doit, selon le rapport, concerner l'ensemble de la communauté éducative, parents inclus.

En parallèle de ces politiques, les auteurs jugent également indispensable d'informer les parents de ce que mettent en oeuvre les écoles à ce sujet et d'expliquer que leurs efforts ont pour objectif d'assurer le bien-être et la sécurité de tous élèves, et non pas de parler de sexe ou d'essayer de transformer les enfants en homosexuels, qui sont les deux inquiétudes les plus répandues chez les parents.

Des environnements scolaires "hostiles" sont facteurs d'exclusion sociale

Ce rôle de prévention que doivent mener les gouvernements est d'autant plus essentiel que des situations "hostiles" en milieu scolaire sont néfastes à la santé mentale et physique des enfants et jeunes LGBTI et qu'elles ont un impact négatif sur la réussite scolaire, impact qui se traduit notamment par une participation moindre en classe ou aux activités scolaires, une performance académique plus modeste, joue sur le taux de présence, voire suscite des abandons définitifs de l'école. À terme, peut-on lire dans le rapport, les environnements scolaires où les enfants et jeunes sont sujets à ces comportements de phobie contre les personnes LGBTI contribuent à des taux élevés d'exclusion sociale et un défaut d'accès à l'enseignement supérieur pour ces dernières. Et ils réduisent également les chances d'accès à l'emploi. Marie-Anne Valfort rappelle une constante, déjà soulevée dans les enquêtes de victimisation en milieu scolaire : l'existence d'une proportion non seulement "importante" mais aussi "majoritaire" d'élèves LGBTI qui subissent des attaques verbales, physiques, de la cyberviolence, ce qui explique que "beaucoup vivent cachés de peur des brimades".

L'UNESCO soulignait en 2016 que cette phobie contre les LGBTI était un problème mondial. À titre d'exemple, aux États-Unis ils sont 60 % à déclarer avoir caché être lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres ou intersexués à l'école et 4 sur 10 à avoir vécu une expérience négative (commentaires ou attitudes), parce qu'ils l'étaient : 70 % ont subi du harcèlement verbal entre l'âge de 13 et 21 ans, 30 % du harcèlement sexuel, 12,5 % de la violence physique et près de 49 % ont vécu l'expérience du cyberharcèlement.

Un projet en France d'évaluation de l'impact des interventions des associations à l'école

Aujourd'hui, si le "taux d'acceptation" de l'homosexualité reste faible et "la gêne" vis-à-vis des homosexuels encore "répandue" dans les pays de l'OCDE, ils sont aujourd'hui un peu plus de la moitié (53 %) à légalement encadrer l'inclusion des LGBTI. Et ce chiffre n'a cessé d'augmenter depuis le début des années 80 (il était à 9 % en 1979, 21 % en 1999, un peu moins de 35 % en 2009) (ou + 32 points depuis 1999).

En matière de réglementation, la France fait partie des "trois pays les plus actifs", avec le Canada et le Portugal, en ayant encadré déjà par la loi quasiment 80 % des droits des LGBTI. Des "pays qui sont en train de montrer la voie", souligne encore Marie-Anne Valfort, alors que ce taux peut descendre à 25 % dans les pays les moins actifs de l'OCDE, le Japon, la Turquie et la Corée. Malgré des constats encore négatifs (50 % de chances en moins d'être "invité" à un entretien d'embauche à parcours et diplôme équivalents si on est perçu comme une personne LGBTI, des salaires davantage pénalisés et davantage de difficultés à accéder à des postes de haut niveau, notamment aux États-Unis et en Grande-Bretagne...), "la route de l'inclusion n'est pas au-delà de l'arc-en-ciel", constatent les auteurs : "tous les pays de l'OCDE ont fait des progrès ces deux dernières décennies et même ceux qui sont encore peu performants sont devenus beaucoup plus inclusifs", et ce, malgré des "variances significatives" entre les pays concernant l'avancée de ces dispositifs légaux. Objectif global de ce travail, commente encore Marie-Anne Valfort : montrer aux moins bons "élèves" qu'il n'y a pas de raisons de ne pas arriver à encadrer le droit en la matière et qu'il y a de bonnes pratiques.

Notons que l'OCDE a lancé une autre étude, à la demande de l'Allemagne, pour observer les différences sur ce sujet entre les 16 Länders et démarré un autre projet en France qui vise à évaluer l'impact des interventions des associations qui luttent contre l'homophobie à l'école. Car si le recours à des organisations non gouvernementales pour intervenir auprès des enfants sur ce sujet constitue une vraie "alternative" à la formation des personnels des établissements scolaires, néanmoins, regrettent les auteurs du rapport, "aucune de ces interventions ne fait l'objet d'une évaluation d'impact rigoureuse".

Le rapport Over the Rainbow ? The Road to LGBTI Inclusion (en anglais) ici

Le rapport de 2019 (en français) ici

Camille Pons

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