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Covid-19 : quand l'enseignement à distance accentue les inégalités d'accès aux ressources, de conditions d'apprentissage mais aussi en matière d'évaluation pour les plus modestes (étude Trésor-Éco)

Paru dans Scolaire le lundi 17 août 2020.

Moins bien équipés et connectés, moins d'accès à des ressources propices au développement du capital humain, potentiellement sous-évalués et soumis à des "biais négatifs" faute d'examens standards... : une note de la Direction générale du Trésor, publiée ce mois d'août 2020 par le ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance, propose une analyse sur la façon dont les mesures inédites prises dans le cadre de la lutte contre la propagation de la Covid-19, et en particulier le confinement, ont révélé les inégalités, mais aussi comment elles ont pu contribuer et continueront de contribuer à accentuer ces inégalités notamment dans la scolarité des plus modestes. L'auteure de la note, Marie-Apolline Barbara, qui propose cette analyse également pour deux autres grands champs, le logement et la situation familiale, s'est appuyée sur de nombreux travaux et recueil de données, parmi lesquels ceux de l'OCDE et de l'INSEE.

Première inégalité qui risque d'accroître encore davantage les inégalités en matière d'apprentissage : l'accès à une connexion Internet et à un équipement informatique, moins fréquent chez les ménages les plus pauvres alors qu'ils sont indispensables pour suivre les dispositifs de scolarité à distance qui sont mis en place du fait des fermetures des écoles. De fait, ces équipements, écrit l'auteure, "obèrent davantage les chances de réussite à long-terme des élèves issus de milieux défavorisés" alors qu'ils contribuent à dégrader les conditions d'apprentissage des élèves les moins favorisés.

Dans les pays de l'OCDE, 1 élève sur 10 ne pourrait pas effectuer son travail scolaire en ligne faute d'ordinateur

Ainsi, concernant la problématique de la connexion, si en France seulement 2 % des enfants de moins de 17 ans ne disposent pas d'un abonnement ou du matériel nécessaire pour se connecter à Internet, cette part s'élève en effet à 3,5 % pour les enfants des familles monoparentales et à 5 % chez les élèves les plus en difficulté. Et, observe encore l'auteure, "les enfants des ménages les plus modestes sont d'ailleurs 3,5 fois plus nombreux à ne pas disposer d'une connexion à Internet que ceux du quintile supérieur de revenu".

Du côté des équipements, le désavantage est également important chez les plus modestes. En France, seulement 64 % des foyers à bas revenus disposeraient d'un ordinateur contre 92 % pour les hauts revenus, et 9 % de l'ensemble des adolescents n'y auraient pas du tout accès. Et alors que le multi-équipement concerne 42 % des foyers à hauts revenus, il concerne seulement 13 % des foyers les plus pauvres. Dans les pays de l'OCDE, 1 élève sur 10 ne pourrait pas effectuer son travail scolaire en ligne faute d'ordinateur, particulièrement les plus pauvres.

Les moins favorisés ont vu leurs conditions d'apprentissage également dégradées de par leurs conditions de logement qui ne permettent pas de rendre disponible un espace de travail adapté. Or, "l'environnement de travail est un facteur déterminant de l'apprentissage des élèves", écrit encore Marie-Apolline Barbara, qui indique qu'en France près d'un tiers des enfants du quartile le moins performant partagent leur chambre avec un autre membre du domicile, contre seulement 15 % des enfants les plus performants. Dans les pays de l'OCDE, c'est un quart des enfants de moins de 15 ans qui n'auraient pas d'endroit calme pour étudier à la maison.

Le remplacement des examens par des notations prédictives renforce les biais négatifs existants envers les femmes et les minorités

Outre rappeler, ce qui a déjà été souligné dans plusieurs études, l'impact des fermetures d'école sur l'éducation des élèves modestes parce que "les parents peuvent mobiliser moins de ressources propices au développement du capital humain", mais aussi sur les déscolarisations qui pourraient s'être multipliées durant le confinement, "favorisées par le stress accru, le manque de contacts avec les enseignants et les pairs et la perte de motivation", l'auteure évoque aussi l'impact que pourrait avoir l'annulation de certains examens. En effet, leur remplacement par des notes moyennes prédictives ou des évaluations souvent imprécises d'enseignants peut "renforcer les biais négatifs existants envers les femmes et les minorités" et donc mener à des sous-évaluations de ces élèves.

Ces possibles sous-évaluations pourraient avoir, en outre, des effets sur leur orientation alors même que ces élèves ont déjà tendance à se tourner vers des universités de "moindre qualité que celles auxquelles leurs résultats scolaires leur permettraient de prétendre", écrit Marie-Apolline Barbara qui évoque à l'inverse l'effet positif sur les carrières qu'avait eu l'abandon de l'examen du baccalauréat en 1968, puisqu'il avait permis à davantage de lycéens de poursuivre des études supérieures.

70 % des femmes ont supervisé le travail de leurs enfants contre 32 % des hommes

L'auteure de la note donne aussi des indications concernant l'impact de la situation liée à la Covid-19 sur la situation familiale. Parmi quelques éléments saillants qu'elle retire des données qu'elle a analysées, se confirme l'accentuation des inégalités hommes-femmes. Ainsi, durant le confinement, 70 % des femmes ont supervisé quotidiennement le travail de leurs enfants contre 32 % des hommes, même si ces derniers ont eu "plus souvent la perception d'une répartition égalitaire, en particulier au sujet de l'accompagnement des devoirs des enfants". Auparavant, au sein du foyer, les femmes réalisaient déjà d'ordinaire 64 % des tâches ménagères et 71 % des tâches parentales. Mais, observe l'auteure, "le confinement pourrait dans certains cas amener à un rééquilibrage", de par la nécessité, pour un certain nombre de travailleuses exerçeant un "métier essentiel", d'être sur le terrain. L'auteure explique ainsi que parmi les 35 % de travailleuses britanniques exerçant un métier essentiel, un peu plus de 40 % avaient un conjoint demeurant à la maison, "ce qui pourrait signifier un renversement temporaire des rôles traditionnels, sinon une redistribution permanente de la charge domestique dans ces ménages".

L'auteure constate aussi que la charge des enfants pèse différemment selon l'âge de ces derniers (en matière de suivi pédagogique notamment) et le nombre d'adultes disponibles (télétravail, familles monoparentales…) et que le confinement pèse sur l'émancipation des 18-24 ans, encore chez leurs parents pour plus de la moitié d'entre eux.

Le n° 264 de Trésor-éco d'août 2020 "Inégalités de conditions de vie face au confinement" ici

Camille Pons

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