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Entre le dire et le faire… Comment l’Éducation nationale malmène un jeune raccrocheur

Paru dans Scolaire, Orientation le lundi 17 août 2020.

Dominique Sénore, pédagogue, nous a adressé ce témoignage, que nous publions bien volontiers.

"La lutte contre le décrochage scolaire apparaît comme une des priorités du ministre de l’Éducation nationale et du gouvernement auquel il appartient. Et ce qui est intéressant c’est que certains les croient, au sein de l’institution, chez les jeunes désireux de reprendre des études interrompues pour de multiples raisons, dans les familles et même quelques journalistes intéressés par le sujet.

Parfois la réalité vient briser les espoirs soulevés par les discours ministériels. C’est ce qui se passe en ce moment pour Martin*, un jeune homme de 19 ans. Il a suivi une scolarité ordinaire jusqu’en 2018, année au cours de laquelle il passe les épreuves d’un bac ES. Il n’allait pas fort cette année-là et dès février, il n’a plus eu la force de suivre les cours et décroche mais se présente tout de même en juin aux épreuves Le résultat lui parvient : il est ajourné…

Il décide alors de travailler pendant un an (restauration, service). Il est salarié pendant toute une année et décide de se réinscrire pour obtenir le baccalauréat avant de suivre une formation à l’ENTE (Ecole nationale des techniciens de l'équipement) d’Aix en Provence dès septembre 2020. Son inscription est acceptée sous réserve d’obtention du diplôme. 

Un chef d’établissement de Rennes où réside sa mère l’accepte dans une classe terminale du lycée qu’il dirige. Il lui propose même un aménagement de cursus car il sait qu’il convient de ne pas surcharger les élèves raccrocheurs et le dispense des cours de Philosophie et d’EPS. Cette décision en apparence généreuse se révèlera être très handicapante pour Hoël et compromettra sa réussite… L’année scolaire se passe cependant très bien, comme en témoignent les résultats scolaires et les appréciations de ses professeurs. Son dossier scolaire est excellent et un « avis très favorable » y figure, accompagné de l’appréciation suivante : « une grande maturité d’esprit. De belles qualités de réflexion, une année réussie ». Martin est satisfait de ce retour et attend sereinement les résultats du Bac… Il a cependant un doute et tente de joindre l’administration du lycée, en vain, dès le 15 juin. Il veut vérifier qu’il aura une appréciation en Philosophie. Le 18 juin, le proviseur adjoint du lycée alerte Martn. Il l’informe qu’il ne peut avoir son examen car il n’a pas de note en philosophie – et pour cause, il a été dispensé des cours-. Il devra donc passer l’épreuve de rattrapage en septembre… C’est la tuile car en septembre, il doit effectuer sa rentrée à l’ENTE, dès le 1er, trouver un appartement à Aix en Provence et les épreuves sont le 3 septembre à Rennes.

Avec sa mère, ils entreprennent toute une série de démarches pour tenter d’infléchir cette situation, demander que le dossier scolaire de Martin soit pris en compte (en particulier ses notes de philosophie en 2018 , que sa note de philosophie à l’épreuve de 2018 soit conservée…), auprès du proviseur du lycée qui a décidé de la dispense pour qu’il intervienne auprès du recteur, auprès du service des examens du rectorat, auprès du recteur et du médiateur. Chaque fois les réponses sont négatives et lapidaires. La mère d’Hoël a le sentiment d’être considérée comme un numéro, pas comme la mère d’un adolescent ayant traversé une période difficile. La seule proposition faite : « vous pouvez adresser un recours auprès du tribunal administratif ».

Une demande de transfert de dossier de l’académie de Rennes à celle d’Aix-en-Provence est alors faite pour qu’il passe l’épreuve de philosophie à Aix-en-Provence. Sa mère écrit également au ministre de l’Éducation nationale pour l’informer de cette situation. Ces deux démarches restent sans réponse. Le jeune homme reçoit sa convocation pour Rennes fin Juillet. Un dernier mail est alors adressé à l’académie d’Aix-en-Provence début août pour tenter d’obtenir le droit de passer l’épreuve dans cette académie et éviter des voyages longs et fatigants ; elle demeure sans réponse ce 15 août.

Aucune solution proposée n’est retenue, pas même celle de conserver la note obtenue en 2018 (9/20) ou encore la moyenne de l’année 2017/2018 qui suffirait amplement à la réussite du Bac en 2020. Aucun soutien n’est apporté à ce jeune homme qui a fait des efforts et prouvé qu’il était capable de reprendre avec succès ses études… Comment l’administration de l’Éducation nationale peut-elle agir à contre-courant de ce qu’elle prône, accrochée encore trop souvent à des principes vétilleux et vieillots. Enfin, pourquoi son dossier scolaire, remarquable, n’a-t-il pas été pris en compte fin juin, pour la session de juillet ?

Martin  tient vraiment à entrer à l’ENTE… Il ira passer cette épreuve à Rennes le 3 septembre après son installation à Aix en Provence dès le 1er. Il quitte son emploi le 23 août, à la Rochelle et aura « tout le temps » de préparer son épreuve dans les trains pour emménager dans son nouvel appartement , faire sa pré-rentrée à Aix et s’installer ensuite, serein, devant sa copie à Rennes…

Comment en est-on arrivé à de telles absurdités dans la chaine décisionnelle ? Pourquoi une erreur de discernement et une décision pour le moins maladroite d’un cadre de l’Éducation nationale se retournent-elles contre un élève ?"

* le prénom a été modifé

Dominique Sénore nous a adressé ce post-scriptum : 

"Le 23 septembre, nous apprenions que Martin avait réussi ! il est soulagé et poursuit sereinement sa nouvelle formation. A ce jour, aucune réponse du ministre ou de son cabinet n’est parvenue à l’adresse postale de la mère de Martin. La médiatrice sollicitée n’a pas non plus pris contact avec elle… L’École de la confiance (...) n’a pas le temps de prendre soin des raccrocheurs qu’elle appelle pourtant à soutenir. Entre le dire (d’un ministre) et le faire (des services de son administration), un monde existe, pas nouveau malheureusement…"

 

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