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Philippe Meirieu : la pédagogie est lumineuse parce qu'elle est irréductible à un système (ouvrage)

Paru dans Scolaire le mardi 25 août 2020.

"Je partirai sans avoir rédigé une grande synthèse", mais en léguant "à ceux et celles qui voudront bien s'en saisir quelques balises pour ne pas désespérer". Malgré sa dimension testamentaire, le dernier opus de Philippe Meirieu n'est jamais crépusculaire. Le pédagogue revient, une fois encore, mais différemment, sur les apories qui fondent tout projet éducatif. C'est d'abord celle d'Aristote : "comment peut-on apprendre à jouer de la cithare puisque pour cela, il faut précisément jouer de la cithare ?" Pour résoudre cette contradiction logique, il faut avoir le courage des commencements, jouer bien qu'on ne sache pas encore jouer. Mais nul ne peut avoir ce courage à la place de celui qui apprend, lui seul peut prendre la décision de s'engager ; l'enseignant, quoi qu'il fasse, ne peut "obtenir mécaniquement de l'autre son engagement", il peut tout au plus obtenir sa soumission, son obéissance. D'où, second paradoxe, celui de Rousseau qui demande à l'instituteur "de tout faire en ne faisant rien" : l'élève "ne doit faire que ce qu'il veut", mais "il ne doit vouloir que ce que vous (l'enseignant, ndlr) voulez qu'il fasse".

Sans le citer, du moins à ce moment de son raisonnement, l'auteur répond à Stanislas Dehaene qui, dans "Apprendre !", dénonce l'auteur de l'Emile et les pédagogues qui laisseraient l'élève livré à lui-même, mais en oublliant le second terme du paradoxe. Si Philippe Meirieu n'adopte pas, ou rarement, le ton de la polémique, il se situe très évidemment dans le contexte d'un renouveau des attaques contre les sciences de l'éducation dont il est une figure emblématique. Certains neuroscientifiques, fait-il remarquer, "étudient ce qui se passe dans nos cerveaux (...). Rien de répréhensible à cela, évidemment. Mais à condition de ne pas déclarer l'inexistence de ce que l'on a décidé, méthologiquement, de ne pas prendre en compte." Certes, il est légitime qu'un chercheur "isole certains éléments pour les étudier rigoureusement", mais il ne peut jamais "embrasser toutes les variables impliquées dans une activité humaine", c'est pourquoi les pratiques ne peuvent être scientifiques. Les neurosciences "apportent de précieux éclairages" sur le fonctionnement de la mémoire, mais elles ne nous disent rien de ce qu'on doit demander à l'élève de mémoriser, "des listes de vocabulaire, des poèmes de Verlaine, des sourates du Coran (...), des formules latines ou des statistiques économiques"...

La pédagogie est donc "tout particulièrement réfractaire aux traités : aventure imprévisible entre des être singuliers, elle résiste à toute formalisation universelle". Raison de plus pour l'auteur de revisiter son Panthéon personnel, de Pestalozzi à Korczak, de Thierry et Freinet à Oury, mais ce qui menait à des impasses dans ses tout premiers ouvrages, L'école mode d'emploi notamment (ESF, 1985), est à présent une somme de témoignages lumineux de la générosité de ces pionniers. Renonçant à produire cette "grande synthèse" qui prétendrait à quelque vérité universelle, Philippe Meirieu nous renvoie à nos subjectivités et lui-même à la sienne propre, qu'il s'agisse des difficultés qu'il a traversées lorsqu'il évoque ses parents, "militants de la droite poujadiste", ou avec sa fille anorexique, mais aussi l'émotion violente qui l'a saisi quand un de ses anciens élèves de lycée professionnel, parmi les plus réfractaires à son enseignement, a sorti de son portefeuille un courrier qu'il gardait depuis des années dans son portefeuille et que le pédagogue lui avait adressé, mais dont, sans une rencontre de hasard, il n'aurait jamais su l'importance qu'il avait eu pour ce jeune homme devenu adulte. Tous les enseignants "doivent savoir qu'un regard, un geste, un mot, une phrase (...) adressées à l'un ou l'autre de leurs élèves peuvent changer le monde sans qu'ils n'en sachent jamais rien. Cela n'apparaîtra dans aucune statistique (...), mais cela justifie amplement qu'ils prennent tous les matins le chemin de l'école sans désespérer qu'il s'y passe quelque chose d'essentiel."

"Ce que l'Ecole peut encore pour la démocratie. Deux ou trois choses que je sais (peut-être) de l'éducation et de la pédagogie". P. Meirieu, éditions Autrement, 275 p., 19,90€

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