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Discriminations LGBTI : après la saisine par ADHEOS, Belin Éducation annonce le pilonnage des stocks d'un manuel de 1re

Paru dans Scolaire le dimanche 12 juillet 2020.

"Classez les situations suivantes selon qu'elles relèvent d'un acte de délinquance ou de déviance aujourd'hui en France :

a) frapper violemment son voisin

b) gifler sa fille devant son institutrice

c) être transsexuel(le)

d) voler un bœuf

e) casser un abribus

f) fumer dans les toilettes du train".

Cet exercice est tiré d'un manuel scolaire destiné à des élèves de première SES (Sciences économiques et sociales) édité en septembre 2019 par Belin Éducation. Il est à l'origine d'une saisine effectuée le 12 juin dernier par l'association ADHEOS (Association nationale d'aide, de défense homosexuelle, pour l'égalité des orientations sexuelles) auprès du ministre de l'Éducation nationale, pour demander le retrait du manuel. L'association avait été alertée par des lycéens à l'origine d'une pétition lancée sur Change.org, "Transgenre une déviance selon un manuel de l'éducation nationale", que plus de 3000 personnes ont signée à ce jour. "J'ai demandé la copie de la page, j'ai dû m'assoir et j'ai lu trois fois ! Et j'ai eu du mal à comprendre comment c'était possible d'écrire ça en 2019", raconte le président d'ADHEOS, Frédéric Hay, qui dit être passé d' "une grande surprise" à "de l'incompréhension", puis très vite à "de la colère". "Ce qui m'interpelle", poursuit-il, "c'est 'aujourd'hui en France' et que l'on puisse mettre un transexuel à côté de frapper son voisin, gifler sa fille, fumer dans les toilettes du train... !" Depuis, ADHEOS a également saisi la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et la haine anti-LGBT) ainsi que le Défenseur des Droits qui a d'ores et déjà mis ce dossier "en instruction".

Pilonnage des manuels en stock et retrait des exercices de la version numérique

L'exercice s'inscrit dans le chapitre 8 du manuel, dans lequel est notamment traitée de la différence entre la déviance et la délinquance, et fait écho à un autre exercice, également ciblé par l'association : "Pourquoi la frontière entre délinquance et déviance est-elle problématique ? Illustrez avec l'exemple de l'avortement et de l'homosexualité". "Nous ne comprenons pas pourquoi l'avortement et l'homosexualité permettent d'illustrer la frontière entre délinquance et déviance", peut-on lire dans le courrier adressé par Frédéric Hay au ministre. "L'avortement comme l'homosexualité sont légalement reconnus dans notre pays et ils ne peuvent en aucun cas être assimilés à de la déviance ou à de la délinquance !". Pour Frédéric Hay, "la demande d'illustration par 'l'homosexualité' pose clairement problème car elle impose de fait que l'homosexualité soit classée à la frontière entre la délinquance et la déviance".

Dans un communiqué en date du 3 juillet 2020, Belin Éducation, qui se déclarait "sensibles aux réactions suscitées par cet exercice", annonçait de son côté avoir pris "la décision immédiate de le modifier dans la version numérique de ce manuel, et de procéder au pilonnage des exemplaires en stock de ce manuel". Une décision qui ne contente pas le président d'ADHEOS, car la société d'édition n'a pas choisi en revanche de retirer de la circulation les manuels d'ores et déjà utilisés dans les lycées. "Ces manuels ont une durée de vie moyenne de trois ans", explique-t-il à ToutEduc. "Ils continueront donc d'être utilisés avec ces exercices, ce qui contrevient à la prévention menée en milieu scolaire pour lutter contre la transphobie et l'homophobie".

Méconnaissance de la question transgenre

Le président de l'association souligne aussi une méconnaissance de la question transgenre dès lors que le manuel utilise le terme transexuel, banni pourtant du droit pénal français depuis 2016. Ainsi, l'article 225-1 du code pénal qui réprime les actes de discrimination utilise, parmi les vingt critères qui caractérisent ces discriminations, le terme d'identité de genre et non plus d'identité sexuelle. "On parle de personne transgenre, on ne parle plus de personne transexuelle", explique Frédéric Hay. "Une personne transgenre est dans son être intime quelqu'un qui ne se reconnaît pas dans son corps de naissance. Le sexe n'est qu'un élément, c'est tout le genre qui est en question."

Belin Éducation dit regretter de son côté que cet exercice ait été "sorti de son contexte scientifique et de progression pédagogique accompagnée par un enseignant". La société d'édition rappelle notamment la définition de la déviance en sciences sociales donnée dans le manuel, "une transgression des normes en vigueur à une époque, dans une société, ou un groupe social donné", notion, poursuit-elle "donc dépourvue de toute connotation morale ou péjorative, à la différence du sens commun". Et pour elle, "le parcours pédagogique qui précède l'exercice en cause amène à montrer la relativité de cette notion, et à faire comprendre que les perceptions des comportements, l'étiquetage des comportements sociologiquement définis comme 'déviants', évoluent dans le temps et diffèrent selon les univers sociaux", l'avortement, l'homosexualité ou la transsexualité ayant été retenus car ce sont "des faits sociaux toujours d'actualité dont précisément les attributs ont pu évoluer au fil du temps".

"L'intention était peut-être bonne au départ, mais le résultat est catastrophique"

Belin Éducation souligne par ailleurs que le manuel est "le seul parmi les manuels publiés par l'ensemble des principaux éditeurs scolaires français à aborder le fait social de l'identité transgenre directement et explicitement, et de manière positive" et cite à ce titre plusieurs passages de l'ouvrage. Position "progressiste" non contestée par le président d'ADHEOS mais ce dernier estime néanmoins que c'est le sens commun du terme déviant qui a toutes les chances d'être retenu. "Si on ne comprend pas la finalité de l'exercice, on compare alors un transgenre avec un voleur et quelqu'un qui frappe. Et que se passe-t-il lorsque l'on n'a pas la lecture du prof ?". Pour lui, "il y a d'autres façons de parler de ces termes là [délinquance et déviance, ndlr]" et si "l'intention était peut-être bonne au départ, le résultat est catastrophique".

L'association réaffirme sa volonté d'obtenir le retrait du manuel "soit par accord, soit par décision ministérielle, soit par décision judiciaire" tout en rappelant que la France, dès février 2010, a été l'un des premiers pays au monde à retirer officiellement "le transsexualisme" et les "troubles précoces de l'identité de genre" de la liste des affections psychiatriques et qu'elle a été suivie, en 2019, par l'OMS (Organisation mondiale de la santé).

Camille Pons

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