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Ce que signifie pour l'école enseigner l'écologie (Revue Diversité)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 24 juin 2020.

"A quelles conditions est-il possible de concilier à l’école, engagement et formation à l’esprit critique sur (les) questions de développement durable ?" La question que pose Denise Orange Ravachol (U. de Lille) dans sa contribution au dernier numéro, consacré à "L'école écologique" de la revue Diversité se retrouve, sous des formes diverses sous la plume de la plupart des auteurs.

Marie Duru-Bellat (IREDU) souligne qu' "on ne saurait s’en tenir à des approches juxtaposées des sciences dites dures, et plus encore s’en tenir aux seules dimensions physiques des questions d’environnement, telles que l’évolution du climat ou la perte de biodiversité. La notion d’environnement invite précisément, puisque l’être humain est plongé dans un environnement social dès sa première heure, à examiner comment les sociétés gèrent ces questions". Elle ajoute qu'il "est aisé d’identifier, au-delà des phénomènes climatiques physiques déjà bien visibles (désertification de certains territoires, hausse du niveau des mers, etc.), leurs effets sur les chaînes écologiques, les cultures, l’alimentation et donc la santé, et aussi les infrastructures ou la productivité du travail, sans parler du bien-être. De plus, les conséquences sont également géopolitiques, telles ces tensions autour de ressources naturelles comme l’eau, ou ces migrations climatiques déjà importantes au sein de l’hémisphère sud". Il faut pourtant "éviter une anxiété paralysante et le déni qui s’ensuit, insister sur les solutions pratiques et concrètes que les personnes peuvent accepter et facilement mettre en oeuvre. Au-delà de la peur, il est capital qu’elles soient à même d’imaginer une société future, idéalement désirable, du moins acceptable." Les éducateurs ont donc "la responsabilité de co-construire, avec leurs élèves" un récit "mobilisateur".

Pour Eric Favey de même, "nous savions que l’éducation avait la double ambition de former les individus et de répondre à des besoins collectifs. Nous avions même la conviction que, se tenant entre ce qui est et ce qui pouvait être, elle portait en elle une conception de la vie, une vision de la vie en commun, voire une aspiration au meilleur (...) Au xixe siècle et jusqu’alors, l’École avait pour objet de 'faire des républicains' en formant l’humain, le citoyen et le travailleur. Au xxie siècle n’est-ce pas de faire des habitants-citoyens d’un monde commun ?"

Se pose alors au vice-président de la Ligue de l'enseignement la question de l'universel. S'il s'agit de "faire partager et advenir un monde commun vivable pour toutes et tous (...), nous voilà donc devant le défi : se préparer, s’entraîner à vivre individuellement et collectivement dans un cadre national et dans un monde commun (...). Le chantier est immense mais aussi refondateur que celui qui fut entrepris en France pour passer de l’Ancien Régime à la République, dans un contexte évidemment différent : l’ordre du jour de ce monde commun à venir n’est pas disponible. Celui de la République n’était pas complet mais suffisamment formulé pour entraîner son traitement (...). L’ordre du jour qu’il nous faut donc écrire n’a de chances d’être connu et mis en oeuvre qu’à la condition d’embrasser le monde commun, vraiment, sans rien négliger du quotidien et du domestique, du local et du territorial, du national et de l’Europe. C’est cet ordre du jour pour un monde commun que l’éducation et l’École doivent à la fois contribuer à écrire et s’engager à répondre (...). Il est plus que temps de prendre notre époque au sérieux et de considérer l’éducation (...), comme la préparation d’un avenir désirable et vivable pour toutes et tous."

Augustin Berque (EHESS) est également sensible à la nécessité de conjuguer le local et l'universel. Quand Régis Guyon (rédacteur en chef de Diversité) lui demande s'il faut "renouer avec les 'classes promenades' au cours desquelles les enfants observent la flore locale, dessinent, photographient, herborisent, collectent, etc., puis de retour en classe, se documentent avant d’exposer leurs trésors", il répond que c'est pour lui "l’exercice même de la concrétude, qui leur fait vivre dans leur corps, des pieds et des mains, les mots et les idées qui leur formeront l’esprit (...). il est essentiel que l’enfant prenne des initiatives, s’approprie lui-même son milieu, pour qu’il le comprenne et l’aime" et il donne l'exemple d'un village japonais "qui a retrouvé la vie autour du jardin et de la cantine scolaires, sous la houlette d’un agronome mais avec l’implication directe des enfants et de leurs mères."

L'école du "Domaine du Possible" créée par Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani (Actes Sud) avec Jean Rakovitch porte une ambition semblable, "une école locale qui soit synonyme d’écologie, aux différents sens que peut prendre ce terme et notamment son acception étymologique de 'science de la maison', autrement dit d’organisation d’un lieu de vie", donc "une école de la vie qui s’ancre harmonieusement dans un territoire, un environnement spécifique". Thierry Paquot (philosophe) évoque pour sa part l'idéal de "l’école-jardin" dont il s'agit de promouvoir l'esprit, même "dans des bâtiments scolaires standardisés à l’ancienne mode, celle de la IIIe République" : "Toute construction attend ses nouvelles affectations, toute cour bitumée espère retrouver la vraie terre, tout arbre solitaire attend ses copains, l’architecture se trouve reconfigurée par le trajet pédagogique, l’ouverture à la ville, l’appropriation des moindres espaces par les enfants..." Alain Pache (HEP de Vaud) confirme, "une majorité d’élèves sont capables d’imaginer des solutions futures, ce qui constitue une première étape dans l’élaboration d’une pensée prospective. Ils peinent toutefois à mentionner un éventail d’avenirs possibles et n’évaluent pas spontanément le caractère créatif de leurs propositions. Du côté des enseignant·e·s, (...) un enseignement explicite du processus créatif n’a généralement pas été mis en oeuvre, comme s’il suffisait d’être placé dans une situation complexe pour développer sa créativité (...). De tels constats rejoignent des travaux antérieurs qui montrent que la créativité est souvent associée à une dimension artistique, et très peu à des enseignements disciplinaires."

Cette touche négative se retrouve chez Pierre Calame (Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l'Homme) qui "constate depuis quelques décennies une dissonance cognitive croissante : on ne cesse de parler d’interdisciplinaire, d’en appeler à un nouvel humanisme mais dans les faits tout se passe comme si la société renonçait à définir un corpus commun de connaissances articulées entre elles".

Diversité, n° 196, "L'école écologique", Réseau Canopé, 154 pages, 15€

 

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