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Restauration scolaire : aurait-on oublié l'essentiel ? (ouvrage)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le mardi 23 juin 2020.

"L'enjeu essentiel du repas en collectivité est celui de trouver sa place, aussi bien physiquement — à table — que de façon plus large : au sein d’un groupe de pairs." c'est l'un des points mis en évidence dans un ouvrage collectif "Quand les cantines se mettent à table". Les auteurs, sociologues pour la plupart, s'attachent à des aspects souvent méconnus de la restauration collective, et trois chapitres sont consacrés à la restauration scolaire dont le "positionnement institutionnel" se trouve "dans l’angle mort des initiatives publiques en matière de prévention de surpoids et d’obésité" au point que ces dispositifs, loin d' "apaiser certaines tensions" avec les familles risquent de les accentuer.

En ce qui concerne les enfants et les adolescents, ils "utilisent le moment cantine pour renforcer des liens amicaux déjà existants" et "manger ensemble apparaît comme le principal intérêt de la cantine(...). Les groupes de commensaux sont composés bien en amont de l’entrée dans la cantine, dès la file d’attente, voire dès la sortie de la salle de classe" et "les élèves les mieux intégrés", ceux du "groupe dominant" se placent en début de file pour être ensemble. "Les groupes se mélangent très peu, notamment chez les filles (...), alors que les garçons changent plus facilement de convives." Pour d'autres en revanche, la solitude est "très difficile à vivre du fait de l’ennui qu’elle entraîne, mais aussi des comportements des autres élèves envers le solitaire ou l’exclu : stigmatisation, rejet, voire insultes."

"La cantine constitue également un observatoire singulier des rapports de sexe (...). En primaire, une césure s’opère en classe de CE2 (...). Avant ce niveau de classe, filles et garçons mangent régulièrement à la même table, alors que vers l’âge de 8 ans, les enfants préfèrent partager leur table avec des enfants du même sexe qu’eux (...). Si à la fin du primaire des enjeux de séduction apparaissent, ils ne sont pas assumés par les élèves, alors qu’en 5e ces enjeux sont d’autant plus présents, conduisant parfois à la formation de couples."

La question de la qualité des repas se pose dans tel collège où "le processus de fabrication, de transport en liaison froide/chaude et de réchauffage des aliments dévalorise objectivement la qualité gustative et la fraîcheur des plats proposés aux élèves, et laisse peu de marge au personnel de service pour améliorer l’existant."

Se pose aussi la question des tarifs, même lorsqu'ils sont très bas : "Le poids des démarches administratives (...) compromet de fait l’accessibilité sociale de la cantine (...). Les dossiers qui n’ont pas été complétés dès les premières semaines de septembre sont d’emblée rejetés par les services municipaux en tarification maximale sur l’ensemble des premiers mois de facturation. Les familles précaires, plus souvent migrantes, sans papier et non francophones dans l’échantillon, sont peu familiarisées avec ces systèmes de prise en charge et de fait moins enclines à les utiliser, souvent réduites à s’appuyer sur les enfants qui maîtrisent mieux la langue, mais sont totalement démunis face à ces rouages administratifs."

Dans un collège en éducation prioritaire, seuls 47 % des élèves fréquentent la cantine, contre 66 % ailleurs. "Le choix de la demi-pension est plus fréquent dans les classes moyennes que dans les familles ouvrières et sans emploi", mais "l’effet de l’appartenance sociale disparaît pour les familles chinoises de l’échantillon, qui bénéficient de l’appui spécifique du collège dans les démarches d’inscription des familles non francophones (...). Pour toutes les autres origines, y compris les familles françaises, la fréquentation chute dans les familles ouvrières et inactives". La fréquentation diminue avec l'âge, surtout pour les garçons, et avec l'activité de la mère.

"L’avis des élèves sur les menus scolaires est en partie socialement différencié, mais les filles sont dans l’ensemble plus exigeantes que les garçons sur le contenu des repas". Pour beaucoup, le pain constitue une solution de repli quand "rien d’autre ne leur paraît consommable dans le menu proposé" mais "les enfants d’origine chinoise n’ont pas spontanément ce réflexe, contrairement à ceux originaires de l’aire géographique coloniale française pour qui le métissage historique de l’alimentation remonte bien avant la migration familiale."

Les parents voient la cantine comme faisant partie de l'école, mais leur vision est différente selon leur appartenance sociale. "Alors que les catégories sociales moyennes et favorisées trouvent que la cantine constitue désormais un relais éducatif pour l’alimentation de leurs enfants, les catégories plus modestes perçoivent cet espace avec une certaine critique." Les parents de milieux favorisés "entretiennent plus généralement un lien de coopération" avec l’école et perçoivent favorablement les messages éducatifs sur la diététique et la prévention de l'obésité tandis que les parents de milieux populaires ont davantage tendance à ne reconnaître à l'école "qu’une compétence éducative (...) restreinte aux curricula scolaires". "Les initiatives de l’école en matière d’éducation qui dépassent le cadre des programmes sont souvent perçues comme une tentative de l’institution d’interférer dans l’éducation familiale, avec notamment le soupçon qu’elle douterait de certaines compétences parentales dans les milieux populaires."

Elles mettent aussi en avant le plaisir. A la cantine, dit une mère d'élèves, c'est "légumes cuits à l’eau, poissons à l’eau et puis les viandes, ils ne savent pas ce qu’il y a dedans. Ça n’a pas de goût, quoi. En plus, ils ne font pas ce qu’ils veulent à la cantine. Ils doivent respecter des trucs de nutrition, enfin les règles quoi. Pas plus de tant de dose, de calories et tout ça. Alors forcément, déjà que c’est pas terrible à la base, alors quand t’es obligé de cuire les trucs à l’eau, sans aucune graisse, c’est pas bon ! (...) Le soir, j’essaye d’avoir des choses équilibrées avec des légumes, de la viande, de temps en temps des crêpes, ce genre de choses pour leur faire plaisir."

Quant aux personnels, ils ont "un sentiment d’invisibilité" et d’injustice, "que les jeunes n’ont aucun égard vis-à-vis de leurs pratiques (...). Gaspillage, consommation excessive de pain, déstructuration ou inversion des séquences du repas, jeux avec la nourriture sont perçus comme autant de marques d’une attitude non respectueuse des élèves envers leur travail." Ils sont également critiques envers les enseignants qui "ne feraient preuve d’aucune adaptation de leurs emplois du temps afin de donner davantage de temps aux collégiens pour déjeuner".

L'ouvrage démontre  que les discours savants et politiques qui "restent centrés sur le contenu" des assiettes ignorent plusieurs dimensions essentielles de la restauration scolaire.

"Quand les cantines se mettent à table", éditions QUAE et Educagri , 163 p., 29€

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