"Il faut une articulation intelligente entre apprentissage et voie scolaire" (François Bonneau, interview exclusive)
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 09 juin 2020.
Les apprentis et les CFA risquent de se retrouver en première ligne si la crise sanitaire est suivie d'une crise économique. François Bonneau, président de la Région Centre-Val-de-Loire et président délégué de Régions de France après en avoir présidé la commission éducation, répond aux questions de ToutEduc.
ToutEduc. Les crises sanitaires et économiques confortent-elles votre analyse de la réforme de l'apprentissage voulue par la "loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel" ?
François Bonneau. Effectivement, j'avais dit à Muriel Pénicaud que c'était une erreur de faire dépendre la formation de la dynamique économique. La formation doit être contracyclique de façon à disposer des compétences voulues au moment de sortir d'une période de récession. Elle est passée outre et tout procède désormais du contrat, le financement de l'apprentissage dépend du nombre de contrats signés par les entreprises, alors qu'il faut un acteur public pour réguler le système. Ce n'est pas l’expression d’une réserve vis à vis de l'apprentissage. La Région Centre-Val-de-Loire est la plus engagée des régions de France en la matière, celle qui compte le plus d'apprentis par rapport à sa population, au total quelque 20 000 dont les deux tiers environ aux niveaux CAP et Bac pro, ce qui signifie que chaque année, 6 000 élèves de 3ème environ entrent en apprentissage.
ToutEduc. Comment voyez-vous l'avenir immédiat ?
François Bonneau. Une dynamique très préoccupante se profile. Les entreprises qui peinent à conserver leurs salariés risquent de ne pas recruter d’apprentis. Le Gouvernement en est conscient d'ailleurs, puisqu'il a passé à 8 000€ et 5 000€ pour les mineurs, l'aide aux entreprises (voir ToutEduc ici) l'aide aux entreprises qui recrutent des apprentis et surtout, il en a étendu le bénéfice à celles qui comptent plus de 250 salariés. Est-ce que ce sera efficace ? J’en doute pour celles qui sont prises à la gorge par les difficultés financières. L'hôtellerie - restauration redémarre très timidement... Tout dépend du moral de l'entreprise, pense-t-elle que d'ici deux, trois ans, elle devra recruter, et qu'elle a intérêt à former dès à présent ses futurs salariés ?
Pour répondre à ces enjeux de développement de l’offre d’apprentissage, j'ai décidé de mettre en place une "bourse de l'apprentissage" qui permet aux entreprises de déposer leurs offres, et ça démarre très fort, plus de 600 en moins de 15 jours ! Les jeunes peuvent les consulter, poser leurs candidatures, c'est une plateforme interface.
ToutEduc. Avez-vous idée du nombre de CFA qui, n'ayant pas le nombre d'apprentis prévus, vont se trouver en difficulté à la rentrée ?
François Bonneau. Nous n'avons pas encore de chiffre, mais il est évident que les sections et les centres de formation d'apprentis à petits effectifs vont souffrir. Lors des débats sur le projet de loi, donc avant la crise, nous estimions à 20 % environ le pourcentage de CFA qui auraient besoin d'une subvention d'équilibre et et nous avions estimé que les moyens que nous donnait l'Etat pour intervenir étaient insuffisants.
ToutEduc. Vous évoquez le sort des petits CFA, mais la "loi Pénicaud" permet surtout l'émergence de gros centres.
François Bonneau. Il y a effectivement un risque de voir se développer des "usines à apprentissage", avec des CFA installés dans les murs de grosses entreprises qui n'envisagent pas forcément de recruter les jeunes en nombre significatif une fois qu'ils ont leur diplôme. Les jeunes, surtout aux niveaux post-bac, sont très attentifs, avant de signer un contrat, à la qualité de l'encadrement, ils veulent savoir qu'ils auront un tuteur dédié dans "une entreprise apprenante", où l'on apprend les uns des autres...
ToutEduc. Les lycées professionnels peuvent-ils prendre le relais des CFA qui seraient défaillants, ou accueillir les jeunes qui ne trouveront pas, ou qui auront perdu leur contrat ?
François Bonneau. Il faut une articulation intelligente entre les deux systèmes, apprentissage et statut scolaire, que les deux mettent au service de la formation des jeunes leurs capacités et qu’ils se développent en complémentarité plutôt qu'en rivalité. Les deux dispositifs ont une égale dignité. L'enseignement agricole, qui accueille des centres de formation d'apprentis au sein de ses lycées en a fait la preuve, c'est possible, ce que j’appelle de mes vœux n’est pas une utopie. Un jeune doit pouvoir passer d'un système à l'autre en cours de formation.
ToutEduc. Comment voyez-vous votre rôle (dans votre région) en matière d'orientation ?
François Bonneau. Effectivement, la loi renforce notre rôle pour l'information et nous sommes en train de recruter douze "ingénieurs de l'orientation", venus de différents horizons pour aider les jeunes au collège ou au lycée à découvrir les métiers et les formations.
ToutEduc. Vous comptez parmi ces 12 ingénieurs des personnels de l'Onisep ?
François Bonneau. Oui. Nous avons défini les compétences et les profils nécessaire et 4 postes ont été affectés aux nouvelles responsabilités de la région concernant l’information sur les métiers. Les onze professionnels de la délégation régionale de l'Onisep ont pu déposer leurs candidatures, et nous sommes en train de les examiner. Dans l'idéal, j'aurais préféré que la totalité de la délégation passe à la région...
Propos recueillis par P. Bouchard, relus par F. Bonneau