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L'école d'aujourd'hui prépare celle de demain, mais comment ? (étude à venir)

Paru dans Scolaire le lundi 27 avril 2020.

Sylvain Genevois et Nathalie Wallian sont enseignants-chercheurs en sciences de l'éducation à l'Université de la Réunion et ils veulent comprendre comment les enseignants, ou les étudiants qui se préparent à le devenir, ont adapté - ou non - leur enseignement pour assurer une  forme de "continuité pédagogique". Les pratiques mises en oeuvre dessinent en effet "l'école de demain". Ils ont adressé à ToutEduc une tribune, que nous publions bien volontiers, pour expliquer leur démarche.

"Dans cette période de crise inédite, les lignes bougent et il n'est plus possible de rester confiné dans des certitudes : la pandémie engage un changement de regard sur les questions de santé publique, de politique, d’économie, mais aussi et surtout d’éducation. Sans préjuger de ce que sera l'état de l'école après le confinement, il nous faut interroger les possibles et imaginer un futur pour repenser l’école de demain : les recherches en éducation, en cours ou à venir, doivent nourrir un horizon d'attentes qui, tout en documentant les évolutions perceptibles et les ruptures en cours, permettent de projeter de nouvelles manières de penser la crise majeure que nous traversons au regard des problématiques d'équité et d'émancipation, essentielles en éducation.

Nombreux sont les débats et controverses qui surgissent à propos de "l’école d’après la crise". Qu’il s’agisse des personnels à déconfiner, de la planification des examens et des concours à adapter ou déplacer, des modes d’enseignement-apprentissage à faire évoluer, des dispositifs de formation à revoir, les incertitudes sont profondes et palpables. Certains craignent l’aggravation des inégalités par la "fracture numérique". D’autres anticipent le basculement de l’école vers le "tout numérique" et la privatisation de l’éducation via l'avènement des nouvelles technologies de l'information et des communications. D’autres encore y voient un formidable levier de changement : une voie serait ouverte vers une "école étendue" reposant sur un crédit confiance co-construit entre école et famille, autour d'une "école ouverte" faite de co-éducation, de partage et d'inclusion.

Sur le fond, la pandémie agit comme un révélateur : malgré les injonctions et les efforts considérables, l'école a indubitablement du mal à amorcer sa "transition pédagogique". Même si cette métamorphose s’est opérée dans l'urgence et si elle repose sur un effort considérable de chaque enseignant, l'observation montre qu'il n'y a jamais eu autant de partage de ressources et d'échanges, au prix de tâtonnements et de questionnements massifs sur l'efficacité réelle de cette "continuité pédagogique". Les bibliothèques, les musées, les maisons d'édition favorisent l'accès gratuit aux oeuvres, à la connaissance et à la culture : le confinement peut devenir un moment de partage en famille tout comme une souffrance des parents et des enfants. La distribution massive de tablettes aux familles démunies et les efforts considérables pour rendre accessibles les éléments de culture et les supports d'apprentissage se conjuguent pour autoriser une accessibilité accrue aux ressources sur le Web. Il n’en reste pas moins que les usages sociaux et culturels de ces outils et ressources à distance n'ont jamais autant partagé et discriminé les espaces éducatifs et professionnels. 

Ce qui est acquis, c'est qu'en un mois les enseignants et les élèves/étudiants ont appris à travailler autrement. Certains avaient déjà expérimenté la "classe inversée" ou d’autres dispositifs hybrides permettant de faire bouger la forme scolaire pour faire qu'avec le numérique, l’Ecole ne soit plus seulement "dans l’école". Avec le risque parfois que des élèves et des étudiants perdent le fil de leur rapport au savoir dans cette relation dématérialisée et déshumanisée.

La révolution invisible de l'Ecole déconfinée n'est pas encore vraiment prise en compte et les événements présents se chargent de faire éclore de nombreuses pratiques innovantes, qu'elles soient hasardeuses ou éclairées. Au-delà des débats autour de l’ "école à la maison" ou de "l’enseignement à distance", la question cruciale est désormais de s’intéresser plus largement aux "nouvelles frontières" de l’école et aux espaces inédits d’apprentissage à co-construire – et parfois déjà en construction. La sphère scolaire s’est désormais dilatée par l’usage d’outils numériques et par l'émergence de dispositifs pédagogiques visant à accroître les activités hors les murs : les "frontières" de l'école se redessinent, les formes scolaires se fluidifient et la sphère de l'école semble se dilater à la limite d'un "big bang" numérique. C'est l'ensemble des apprentissages formels et informels en contextes divers - et notamment "à la maison" mais pas seulement - qui est questionné : les enseignants l'ont compris en se montrant moins sollicitants et souvent bienveillants à distance.

Si désormais il ne s’agit plus ni de "faire l’école" ni de "faire cours" mais bien d' "éduquer pour faire apprendre en questionnant le rapport de soi au monde", une question majeure des éducateurs s'épure à l'extrême, quelles que soient les solutions apportées dans les différents contextes : comment "toucher" les élèves pour les aider à changer (au sens propre d’ "e-ducere") ? Si simultanément à la pandémie se dessinent de nouveaux territoires de l’apprendre, quels espaces ou environnements d’apprentissage doivent être repensés autrement par et pour l’Ecole du XXIe siècle, en distanciel, en différé, en démultiplié, en dématérialisé, en partagé, en dialogué…?

La mutation forcée de l'Ecole suppose d’interroger, au regard des recherches déjà conduites ou à conduire, des questions aussi importantes que celles relatives à l’espace-temps scolaire et à ses formes de réorganisation, aux formes de continuités / discontinuités pédagogiques à établir entre ce qui se passe "dans" et "hors" les murs, aux usages du numérique comme outil de communication mais également - et surtout - comme outil de médiation des apprentissages, questionnant le rapport aux savoirs et aux méthodes à enseigner en contextes variés (scolaire et extra-scolaire). En travaillant l'invisible et le fantasmé, l'irrationnel et l'avéré, le symbolique et le tangible, le présentiel et le différé, cette pandémie questionne finalement nos propres peurs et nos certitudes, nos espérances et nos fantasmes, nos solidarités et nos fragilités. Elle engage au travers de la médiation aux savoirs une rupture dans la continuité pédagogique en questionnant le lien essentiel de l'élève à l'école et à ses enseignants, ceux-là mêmes qui incarnent sa présence au monde, le sens de son existence et les questions existentielles de la société qui les porte et les recrute.

Notre idée a été de lancer une double enquête à l’échelle nationale qui permette d'obtenir une photographie des ressentis et des pratiques déclarées des enseignants ainsi que des étudiants en éducation. L'enjeu a été de prendre en charge, à cet instant décisif et sans opportunisme de mauvais aloi, un instantané des discours des (futurs) professionnels de l'enseignement, tout en questionnant en retour leur rapport aux événements et leurs réflexions à chaud sur leur situation présente de personne confinée. De manière récursive, ce questionnement peut (et vise à) engager une distanciation salutaire qui les amène à réfléchir en miroir sur leur situation du moment et leur condition transitoire, favorisant de la sorte une forme de réflexivité propice à une boucle émancipatrice critique et salutaire.

Deux questionnaires d’enquête ont été élaborés par Nathalie Wallian et Sylvain Genevois, enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation à l’Université de la Réunion. Ils s’inscrivent dans le cadre de travaux de recherche au sein du laboratoire ICARE (thème 2 : " Enseignement-apprentissage, savoirs et médiations en contextes"). L'objet de ces deux questionnaires consiste à laisser les enseignants et les étudiants décrire leur vécu en période de confinement et à expliciter les manières dont ils sont parvenus (ou non) à adapter leur enseignement à distance pour assurer une continuité pédagogique avec leurs élèves ou dans le cadre de leur formation.

Ces questionnaires sont strictement anonymes et les réponses libres. Les données seront exploitées uniquement à des fins de recherche en éducation et pourront être croisées avec d’autres recherches conduites par d’autres équipes et d’autres laboratoires de recherche en éducation."

Le lien vers les deux questionnaires (enseignant et étudiant) ici

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