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Chronique ordinaire des jours extraordinaires - 24 avril

Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 24 avril 2020.

F., proviseure d'une cité scolaire

Le temps s’est arrêté. Ou accéléré, je ne sais plus. Ce qui est sûr, c’est que j’ai de plus en plus de mal avec les jours de la semaine ou les heures du jour. Mes repères – réunions hebdomadaires, jours travaillés/week-end, printemps/été – ont explosé.

Même si le rythme est toujours un rythme de travail soutenu (avec arrêt à 19H55, enfin un repère !), je ne sais pas non plus sauf en les comptant et les recomptant depuis combien de jours nous sommes dans cette situation de « confinement ».

Le stress est là, surement, le plus souvent sous-jacent ou inconscient mais qui empêche tout véritable relâchement.  

La reprise (puisque zone parisienne) s’est faite lundi. Comme ici, il y a beaucoup de personnels logés, je m’étais mise en tête de leur demander de reprendre le travail et de ne pas nous laisser seuls, les deux adjoints et moi tout faire : du standard téléphonique à la désinfection de la salle des élèves, enfants de soignants, à la distribution des tablettes ou clefs 4G pour ceux en difficulté de connexion etc. Sur 8 personnels, 3 in fine ont repris, tous agents Région. Pour les autres …

Cela m’a mis à mal moralement plusieurs jours. Comme si la solidarité n’était que pour les autres, ou juste un joli mot, que l’on peut utiliser avec conviction mais … ne pas mettre en acte. 
 Cela m’a interpellée aussi sur les places respectives du collectif et de l’individu. Dans notre société occidentale, française, urbaine, il n’y a que soi et sa famille (car perçue comme un prolongement de soi) qui importe. Mais on ne voit pas plus loin, on ne pense pas plus large et surtout, on ne lâche rien pour les autres. Nous n’avons pas l’impression de faire partie d’un grand tout dans lequel chacun a sa place, son importance, ses droits et ses devoirs. On ne va pas commander un gadget électronique par correspondance sous prétexte qu’il faut éviter qu’une personne se déplace pour le livrer. On ne va pas traverser la cour pour venir voir si on peut aider à l‘accueil des enfants de soignants ou à l’envoi du matériel informatique. On ne va pas corriger des copies de bac blanc d’avant le confinement que les élèves de Terminale attendent pour calculer leur moyenne et donc connaître s’ils ont ou pas leur bac.

Et finalement, ce sont les personnels, agents de service et de maintenance qui sont là, qui font le ménage, les réparations, l’entretien des espaces verts …

Ils trouvent cela injuste. Moi aussi.

J-B, directeur national d’un réseau associatif (jour 37)

Un de nos fils continue de s’essayer, de s’améliorer en cuisine. Il progresse sérieusement, notamment dans la mise en valeur des plats, dans le jeu des couleurs, dans l’assaisonnement. Par contre il a essayé de nous faire pour la première fois une tartiflette, il n’a pas fait cuire les pommes de terre avant la mise au four, il s’étonnait qu’elles ne cuisent pas, alors que le fromage avait déjà fondu…. Cela a fini en une sorte de truffade qui finalement n’était pas si mauvaise que ça. L’ainé de mes fils continue à passer trop de temps face aux écrans, y compris dans son temps personnel, surtout d’ailleurs… L’école, le lycée participent également à cela, la socialisation, les faire sortir de leurs réseaux sociaux de leur attirance vers des séries, des films à regarder, qui soit dit en passant, peuvent être de grande qualité. Le lycée, l’école en général, les obligent à se confronter aux autres, au désaccord, à la discussion, à la nuance. Le fait de vivre en groupe participe à l’apprentissage du compromis, de l’acceptation, la construction collective de règles pour apprendre à vivre ensemble, à fonctionner de telle sorte que chacun puisse trouver sa place. En famille le compromis est plus compliqué, il est difficile de ne pas répondre à ses parents, de ne pas s’opposer à eux. En même temps c’est normal c’est bien en s’opposant qu’on s’inscrit dans son histoire, dans ce qu’on va faire de sa vie. L’alternance entre la famille et l’école participe donc à la construction sociale d’une personne pleine et entière. Là tout de suite, il y a trop de famille, trop de parents…

Le dernier de nos fils, nous a dit aujourd’hui : "ça commence à être long, j’ai même presque envie de retourner à l’école…" Si le confinement a pu permettre à mon dernier fils de désirer l’école, cela aura été au moins ça de positif !

L’État annonce qu’il peut prendre, sur un fonds exceptionnel, le coût de formation pour des salarié.e.s au chômage partiel. C’est une bonne chose. Il faut maintenant réussir à trouver des formations adaptées, suffisamment motivantes pour donner envie à des salariés d’y participer dans ce contexte, qui peut être vécu de manière très négative par un grand nombre. En plus, souvent, un des éléments motivationnels pour le départ en formation est le fait que l’on va rencontrer un groupe, d’autres personnes, que l’on va confronter sa pratique professionnelle, ses représentations à d’autres. Dans le cas ici présent, il s’agira de formation à distance. Même si de nombreux organismes de formation sont compétents dans ce domaine, participer à une formation à distance ne va pas de soi. Il y a peu de représentations dans la population de ce que c’est, il peut donc y avoir des difficultés de correspondance entre les attentes des formateurs, celles des stagiaires et ce qui sera réellement vécu par tout le monde.

De la même manière que le ministère de l’Education nationale a annoncé de grandes Assises de l’enseignement à distance, il y a besoin d’assises identiques en ce qui concerne la formation professionnelle continue des salariés, qui devraient être conduites par le ministère du Travail. L’enjeu est important, il s’agit de la formation tout au long de la vie, de permettre à des salariés de continuer d’être actifs au sein d’une entreprise, d’une association, de lutter contre l’obsolescence mais également, avec la question du télétravail, et de la formation à distance, de participer à la réduction du réchauffement de la planète, de passer plus de temps en famille, de gagner en autonomie dans l’apprentissage de nouvelles connaissances, de nouveaux savoir-faire. Cela peut être un enjeu important pour l’avenir.

 

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