Coronavirus : la Banque mondiale gèle les investissements dans l'éducation privée à but lucratif, Coalition Éducation réitère sa demande à la France de faire de même
Paru dans Scolaire le mercredi 15 avril 2020.
"Covid-19 et droit à l'éducation publique : que fait la France ?". C'est sur ce titre que la Coalition Éducation, qui rassemble 20 organisations de la société civile françaises (syndicats, associations de solidarité internationale, ONG de défense du droit à l'éducation, organisations d'éducation populaire) a envoyé, hier mardi 14 avril 2020, un communiqué de presse annonçant notamment l'engagement officiel de la Société financière internationale (SFI) du groupe de la Banque mondiale à geler tous les investissements directs et indirects dans l'éducation privée à but lucratif, pour le pré primaire, le primaire et le secondaire. Une initiative saluée par l'organisation, qui en profite pour appeler à nouveau la France à cesser de financer, elle aussi, la chaîne américaine d'écoles commerciales Bridge International Academies (BIA). "Alors que la pandémie du Covid est en train d'ébranler fortement les systèmes éducatifs dans le monde et que plus d'1,57 milliard d’enfants sont aujourd'hui privés d'éducation, il est inacceptable que la France continue d'allouer des financements à des chaînes commerciales au détriment de l'enseignement public", écrit l'organisation dont la vocation est de militer pour le droit à l'éducation inclusive de qualité pour tous, notamment pour les plus vulnérables.
La Coalition Éducation avance surtout pour argument que via ce soutien financier (assuré par l'intermédiaire de l'institution financière Proparco, la filiale de l'Agence française de développement, au fonds Novastar East Africa Fund qui compte dans son portefeuille BIA), la France "enfreint l'engagement mondial pris envers l'Objectif de développement durable (ODD) 4 visant à assurer une éducation de qualité équitable et inclusive pour tous". Elle avait à ce titre, avec 12 autres organisations de la société civile et après avoir demandé "à plusieurs reprises à la France de cesser ses investissements dans les écoles à but lucratif" (lire ici), "alerté l'ONU à ce sujet".
Non-respect de normes éducatives de base, conditions de travail médiocres...
Dans un rapport soumis en effet en mars 2020 au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU, les organisations dénoncent "la violation des obligations de la France vis-à-vis du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels", dont celle qui vise à donner la priorité à une éducation gratuite, publique et de qualité aux groupes défavorisés, marginalisés et vulnérables, obligation exigée par le droit international des droits de l'Homme. Le rapport fait à ce titre état d' "un ensemble de preuves solides" qui a été constitué par différentes sources indépendantes, journalistes, gouvernements, anciens membres de BIA, experts indépendants, membres de la société civile, et qui soulèvent des "inquiétudes" concernant les pratiques entrepreneuriales de BIA et l'impact de ses activités sur les droits humains, "notamment en matière de droits des travailleurs et de droits à la santé et à l'éducation".
Parmi ces remontées figurent celles de pratiques et de tarifs "qui excluent les personnes pauvres et marginalisées", le non respect, à plusieurs reprises, des lois en vigueur au Kénya et en Ouganda, "notamment celles portant sur les normes éducatives de base", des "conditions de travail médiocres, en dessous des standards habituels", des "inquiétudes au sujet de la liberté d'expression et du manque de transparence", "l'absence de preuves tangibles de son impact positif", la tentative d'obstruction à des enquêtes et évaluations indépendantes à l'occasion d'une récente évaluation officielle d'un programme gouvernemental au Liberia.
Les organisations soulignent aussi que ce financement continu, en plus d'être "incompatible avec les droits humains", se double d'une "absence d'évaluation et de révision", à laquelle pourtant la France est tenue, puisque "le droit international des droits de l'Homme confie aux États la responsabilité d'assurer les évaluations d'impact ex-ante, en cours et ex-post de tout financement public des écoles privées éligibles".
L'ONU demande à la France un bilan des effets du financement à BIA
Enfin, les co-signataires de cet appel soulignent aussi que "face aux éléments de preuve démontrant les impacts négatifs des opérations de BIA sur les droits de l'Homme, la France n'a entrepris aucune mesure pour remédier à la situation. Et ce, malgré l'obligation claire des États de garantir l'accès aux recours en cas de violation des droits de l'Homme, notamment lorsque l'infraction est causée par un acteur du secteur privé".
L'appel des organisations semble avoir été entendu puisque le 6 avril, dans le cadre d'une demande d'informations en préparation du 5e rapport périodique que la France devra soumettre à l'ONU, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, exprime, au titre de sa demande de renseignement concernant les outils méthodologiques d'analyse de l'effet des opérations financées par les institutions d'aide au développement sur les droits prévus par le Pacte, la demande d'un "bilan tiré de l'incidence sur les droits énoncés dans le Pacte du financement accordé par l'institution financière Proparco au fonds Novastar East Africa Fund, qui soutient les activités de Bridge International Academies".
Selon le rapport soumis à l'ONU par les 13 organisations, la prise de participation de Proparco dans le fonds Novastar Ventures East Africa Fund s'élève à environ 5,5 millions de dollars américains.
Le rapport des 13 organisations ici
Camille Pons