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Continuité pédagogique : ce que les syndicats ont obtenu du ministre

Paru dans Scolaire le vendredi 27 mars 2020.

Alors que les dernières annonces, faites notamment au travers des médias par Jean-Michel Blanquer, dont celles leur enjoignant de se déplacer dans les établissements pour déposer des documents pour des familles qui ne sont pas équipées en outils numériques, ont suscité la colère de nombreux syndicats (lire ici), les syndicats ont pu échanger, à tour de rôle entre ce mardi 24 mars et ce mercredi 25 mars 2020, en visio-conférence avec le ministre de l'Éducation nationale. Ces échanges ont été l'occasion d'évoquer les modalités de rattrapage des programmes à imaginer après le confinement, ou encore de soutien aux élèves les plus fragilisés. Parmi les principales demandes qu'ils ont faites concernant le suivi des élèves confinés à domicile, les syndicats semblent avoir été unanimes en demandant, comme l'a fait le secrétaire général du SE-UNSA, Stéphane Crochet, à ce que le ministre "fasse passer le message qu'il s'agit plutôt de réguler que de demander la continuité pédagogique", c'est-à-dire "maintenir les élèves en situation scolaire, consolider les apprentissages mais ne pas aborder de nouvelles notions". Ce dont Jean-Michel Blanquer semble avoir "convenu", même si "les formulations ne sont jamais aussi claires", ajoute le secrétaire général.

"On peut mantenir un lien avec l'apprentissage pour éviter le décrochage, on peut conforter des notions, inciter à avoir des activités culturelles mais on ne peut pas faire croire que ça remplace la classe !", complète son alter ego du SNES-FSU, Frédérique Rolet. Plus sévère encore, la co-secrétaire générale du SNUIPP, Francette Popineau, évoque un "ministre [qui] se présente comme quelqu'un coupé de la réalité". "C'est un leurre en direction des familles de leur dire qu'on avancera sur des notions. Il est impossible pour un parent de s'inventer pédagogue, car c'est un métier de faire la classe, et d'autant plus quand on a une journée bien remplie et que l'on doit faire du télé-travail par ailleurs. Et c'est méconnaître ce qu'est la classe d'affirmer que l'on peut assurer une continuité pédagogique, classe qui est aussi un ensemble d'interactions entre des élèves et un enseignant qui s'adapte à eux."

Une régulation qui se met en place et des enseignants qui trouvent des espaces pour se parler entre eux

Sur ce sujet, les syndicats se disent aussi attentifs aux remontées des parents qui "font part de leurs difficultés à concilier leur télé-travail et à mettre les jeunes au travail, sauf peut-être pour les plus grands, plus autonomes dans leur travail". Des syndicats comme le SE-UNSA ont ainsi demandé aux enseignants "de ne pas trop demander aux élèves", "d'aligner leurs demandes sur des volumes plus restreints et de revoir des choses qui ont été vues plutôt que de tenter d'avancer sur le programme car on ne peut pas demander à un enfant de travailler 6 h par jour à domicile".

Une régulation que les enseignants parviennent à mettre en place depuis la fin de la semaine dernière, selon les observations du secrétaire général qui indique aussi que la fin de semaine dernière a marqué un tournant positif, dans le sens où ces mêmes enseignants "ont réussi enfin à trouver des espaces pour se parler entre eux, par mail, téléphone, visio-conférence pour regrouper leurs perceptions dans cette situation inédite".

Demande du respect du confinement

Le représentant du SE-UNSA a aussi demandé au ministre de "lever les pressions" en étant plus précis dans les consignes données aux DASEN, les récentes consignes de déplacements par exemple ayant pu, "dans cette situation inédite, être traduites localement différement. Par exemple, alors qu'était demandé un contact hebdomadaire par famille, certains rectorats ont demandé à ce que soient réalisés deux appels par famille et par semaine. Si tout le monde retraduit ces demandes et les renforce de manière insistante, et si on en rajoute toutes les 2 heures, on assiste à une montée en tension !"

Outre les risques sanitaires que font courir ces déplacements, s'ajoute celui d'enfreindre les règles imposées par l'État. Frédérique Rolet indique par exemple que le DASEN de l'Académie de Créteil conseillait aux chefs d'établissements et directeurs d'établir une autorisation spécifique de sortie pour les parents et enseignants pour qu'ils viennent déposer ou récupérer des documents, "alors qu'ils n'en ont pas le droit". Catherine Nave-Bekhti rapporte de son côté que des parents se sont fait verbaliser par les forces de l'ordre en Auvergne lors d'une sortie destinée à récupérer du matériel pédagogique à l'établissement pour l'un de leurs enfants. "Le ministère s'est affranchi d'un certain nombre de questionnements et d'une régulation", regrette la secrétaire générale du SGEN-CFDT. "On est dans un système en tension parce qu'on ne priorise pas. Or, pour le SGEN, il faut réussir le confinement pour endiguer la propagation."

Des enseignants inventifs sur le terrain

"Toutes les équipes trouvent des organisations, des solutions, des astuces. Laissons les faire, elles le font avec discernement !", invite la co-secrétaire générale du SNUIPP-FSU, Francette Popineau, qui ne manque pas d'exemples d'initiatives "inventives", à l'instar de cette enseignante qui va déposer des documents au nom des familles sur un muret, documents que viennent ensuite récupérer ces dernières, ce qui permet ainsi de faire en sorte que personne ne se croise ; d'autres, quand ils sont voisins, en déposent sur les paliers ou dans des caisses en bas de bâtiments.

Mêmes réactions concernant les demandes à appeler les familles, alors que "certains n'ont pas attendu, que ces appels ne sont pas forcément nécessaires avec ceux avec lesquels les échanges via les ENT se passent bien, qu'il n'est pas pertinent, dans le secondaire que tous les enseignants appellent, mais que les équipes doivent plustôt coordonner ces liens", observe Catherine Nave-Bekhti qui estime aussi que le moyens ne doivent pas "se décréter d'en haut, mais se décider en fonction du terrain".

L'importance de préserver les départs en vacances après cette crise

Enfin, les syndicats semblent se rejoindre aussi sur l'idée qu'il ne faut pas toucher aux vacances d'été. Si Jean-Michel Blanquer leur en a donné l'assurance (lire ici), tout en restant "un peu ambigü" concernant les vacances de printemps, selon Frédérique Rolet, puisqu'il aurait "incité à promouvoir auprès des élèves des activités culturelles", il a quand même évoqué des remises à niveau qui pourraient être proposées durant la période estivale, notamment en direction élèves les plus fragilisés, en s'appuyant par exemple sur les stages de soutien qui existent déjà la première et la dernière semaine des vacances d'été.

Des pistes qui ne réjouissent guère les représentants syndicaux, à l'instar de Francette Popineau qui estime que ces stages reviendrait "à punir" les enfants, ou de Stéphane Crochet qui souligne que "ce ne sont pas deux semaines de travail intensif qui vont combler les retards chez les plus fragiles" et qu'il est important de préserver les départs en vacances de ces élèves "socialement les plus fragiles, car nous ne vivons pas tous le même confinement". "Ça doit être une priorité pour évacuer cette situation difficile", insiste le secrétaire général, rejoint par Catherine Nave-Bekhti qui évoque une "nécessaire période de résilience collective pour repartir".

Lisser les programmes à partir de là où ils se seront arrêtés à partir de la rentrée prochaine

Le ministre aurait évoqué aussi avec le secrétaire général du SNETAA-FO, Pascal Vivier, l'idée de réserver des places en colonies en y instaurant des activités pédagogiques, notamment en direction des élèves de CAP, visiblement les plus difficiles pour le moment à raccrocher. Selon les remontées des enseignants, les deux tiers "ne répondent pas", indique Pascal Vivier, alors que "les élèves en bac pro maintiennent pour 80 à 100 % d'entre eux le lien avec leurs enseignants". Un taux de réponse très faible qui fait craindre l'augmentation des décrocheurs.

Tous en conviennent, "il y aura du retard". Ils se disent prêts à inventer, mais pour la rentrée prochaine en reprenant les apprentissages là où ils se sont arrêtés. Entre autres pistes déjà évoquées par Francette Popineau, celle de "lisser les programmes, probablement sur deux ans, faire des choix, comme abandonner certaines activités, ou encore étudier moins de pays en géographie par exemple". "Et très rapidement, il n'y paraîtra plus". Même point de vue de Stéphane Crochet qui rappelle que pour les primaires et élémentaires, le fonctionnement en cycles sur trois ans offre "des espaces pour adapter" et qui souligne en outre que les enseignants sont aussi habitués, à chaque rentrée à s'adapter aux élèves en fonction de leurs niveaux. Pour lui, pas question de "s'affoler, ce ne sera pas une génération sacrifiée".

Camille Pons

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