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Comment renforcer les formations aux métiers industriels, et leur attractivité ? (rapport de l'Académie des technologies)

Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 17 mars 2020.

Proposer des parcours sur-mesure de formation et intégrant des services personnalisés en termes d'accueil, d'encadrement, de bourses et de services de mobilité, de logement aussi, en investissant notamment massivement dans les internats pour accompagner le développement de l'apprentissage, implanter de nouveaux tiers-lieux de formation sur les territoires, améliorer la qualité du corps des professeurs des lycées professionnels en immergeant en entreprise sur des durées significatives des professeurs de lycées professionnels (PLP) issus de l'université... : telles sont quelques-unes des recommandations que formule l'Académie des technologies dans un rapport de 250 pages qu'elle a mis en ligne le 10 janvier 2020. En substance, ce rapport suggère d'adapter davantage les formations aux besoins des entreprises industrielles, des territoires et des apprenants afin de renforcer l'attractivité des métiers industriels et faire face à la pénurie de compétences qui freine la croissance et la modernisation de ce secteur, le rapporteur, Alain Cadix, évoquant un véritable "goulot d'étranglement [qui] s'est créé" et freine la croissance et la modernisation de l'industrie : "les emplois en tension, voire en pénurie". Or, pour le rapporteur, "les difficultés de recrutement viennent notamment de dysfonctionnements du système de formation". Ce rapport est le troisième et dernier d'un cycle de travaux que l'Académie a engagé en 2017 sur le thème de l'industrie du futur.

Développer les parcours sur-mesure est l'une des grandes recommandations du rapport, et ce dans dans les lycées professionnels, comme les CFA diplômant au niveau CAP ou bac pro (niveaux 3 et 4 dans la nouvelle classification des qualifications). Car, argumente le rapporteur, alors que ces établissements reçoivent massivement des jeunes qui étaient en difficulté ou en échec dans les voies générale et technologique, "ils sont traités le plus souvent de façon collective au sein de groupes qui peuvent être importants", alors que "l'expérience montre que ce sont des approches individualisées, des parcours construits sur-mesure, qui peuvent sortir ces jeunes d’une ornière, leur redonner confiance, les aider à rebondir".

Parcours sur-mesure indispensables mais pas sans mise en réseau des établissements

Ce "sur-mesure" indispensable appelle "une souplesse du système de la formation professionnelle", ce à quoi sont adaptés, "en principe", les réseaux d'établissements et les campus des métiers et des qualification. Alain Cadix cite l'exemple du campus des métiers et des qualifications de la vallée de l'Arve (Haute-Savoie) qui, face à la pénurie, multiplie les dispositifs sur-mesure pour attirer de candidats : formations à "entrée permanente", plate-forme de professionnalisation qui permet de délivrer des formations pour les décrocheurs et les migrants, modules "découverte" qui permet ensuite d'intégrer un parcours de formation, réflexion sur des formations "turbo" complémentaires en un an...

Parce que "la réponse personnalisée est plus aisée à formuler dans une association ou un réseau d'établissements complémentaires qu'au sein d'un établissement isolé", le rapporteur invite donc à davantage de mise en réseau sur les territoires. Par exemple celle des divers CFA que la loi du 5 septembre 2018 permet de faire coexister (CFA académiques, d'organisations professionnelles, de grandes entreprises industrielles, CFA d'universités filières d'apprentissage dans des établissements d'enseignement supérieur...), dès lors qu'ils ont des points communs (même territoire, formations industrielles proches ou complémentaires) et des parties prenantes communes (branches, entreprises).

Lancer un vaste plan industrie et logement des jeunes

Ce développement du sur-mesure passe, selon lui, par un service complet à proposer aux jeunes qui sont éloignés géographiquement : services personnalisés en termes d'accueil, d'encadrement, de bourses et de services de mobilité. L'auteur du rapport met notamment l'accent sur le logement des jeunes (apprentis, étudiants et actifs, célibataires ou en couples) qui doit devenir "une priorité absolue", alors que la situation actuelle "n'est pas satisfaisante : en 1984, environ 25 % des logements sociaux étaient occupés par des moins de 30 ans ; en 2014, cette proportion est tombée à 10 %". Sur ce plan, Alain Cadix estime également nécessaire d' "investir massivement dans les internats et dans l'hébergement des alternants pour accompagner le développement de l'apprentissage" et fait la recommandation plus large de "lancer un vaste plan industrie et logement des jeunes" qui serait porté par les collectivités locales, l'État, des opérateurs publics et privés. L'auteur, qui estime que "l'effort consenti actuellement par l'État est en deçà des nécessités", estime également que "des initiatives d'entreprises peuvent compléter l'offre sur des territoires ruraux".

Ces mesures permettraient d'accompagner une autre recommandation pour augmenter l'attractivité des formations industrielles, celle de rapprocher la formation professionnelle, notamment supérieure, des zones d'emplois industriels (dont une part significative, au moins 20 %, est localisée dans les petites et villes moyennes) là où vivent jeunes et actifs attachés à leur territoire, alors que la logique d'aménagement du territoire a été abandonnée par l'État pour une politique de regroupements d'établissements pour leur permettre d'être "visibles" dans le classement de Shanghai, ce qui profite principalement aux métropoles et grandes villes. Outre des pistes existantes à explorer, comme les "campus connectés" ou le projet d'implantation de cent nouveaux lieux d'enseignement par le Conservatoire national des arts et métiers ("CNAM au coeur des territoires"), le rapporteur évoque une autre possibilité, "sorte de combinaison des deux précédentes" : développer dans des petites villes ou des villes moyennes des tiers-lieux pérennes ou éphémères de formation industrielle post-bac (avec EdTech, mentorat, regroupements réguliers dans l’établissement de rattachement…), avec le soutien des collectivités locales et, selon leur ampleur, des financements du programme des investissements d’avenir.

Plus de place à la culture générale

Concernant les programmes de formation professionnelle, l'auteur encourage à laisser "une bonne place" aux enseignements généraux (de culture générale et de culture scientifique et technologique) dans les CFA, mesure qui, selon lui, "serait de nature à infléchir la position des professeurs des collèges vis-à-vis de l'apprentissage", ce qui "n'est pas neutre au moment des décisions d'orientation".

Les lycées professionnels préparant à des métiers de l'industrie doivent également, selon lui, se rapprocher des entreprises pour promouvoir ensemble ces métiers. Le rapporteur cite l'exemple du dispositif "Classes en entreprise" déployé par l'UIMM Occitanie depuis une vingtaine d'années dans la Mecanic Vallée (Lot) : l'entreprise Ratier-Figeac propose une immersion durant quelques jours d'élèves et de leurs enseignants dans le quotidien de l'entreprise. Les classes visitent le site, y suivent des cours orientés vers les activités de l'entreprise et enquêtent sur les métiers. De même, dans le cadre de la Fondation Cgénial et de son dispositif "Professeurs en entreprise", Ratier-Figeac a accueilli des professeurs, "les premiers prescripteurs en matière d'orientation", sur une journée pour des échanges.

En matière d'actions à mener pour l'orientation, le rapporteur évoque aussi à plusieurs reprises le rôle à jouer dès le collège. Outre la nécessité que les entreprises industrielles s'y impliquent (en apports en connaissances, en compétences, en moyens), il faudrait également travailler sur la qualité de l'enseignement de technologie au collège, alors que, remarque-t-il, "des échanges informels avec des collégiens et des lycéens laissent dubitatif", même s'il y a "des exemples d'ateliers de projets remarquables". L'auteur souligne à ce titre l'importance de la formation continue des professeurs et recommande la création de réseaux des professeurs de technologie "pour échanger des informations, des expériences monter des projets communs inter-collèges".

Les PLP issus de l'université devraient faire une immersion d'une durée significative en entreprise

Enfin, du côté de la formation des enseignants, Alain Cadix invite à repenser le recrutement et la formation des PLP, notamment parce que "les candidats jeunes ont un master, mais pratiquement aucune expérience d'une profession". Dès lors, "ceux qui viennent de l'université devraient faire une immersion d'une durée significative en entreprise". Et ceux qui viennent de l'entreprise et optent pour un statut de fonctionnaire à mi-vie professionnelle "devraient être mis à niveau en mathématiques, science et technologie". Et pour ces derniers, il faudrait privilégier les recrutements de contractuels, "pour des durées significatives (CDD de 3 ans minimum ou CDI), car ils "enferment moins que le statut de fonctionnaire", un technicien de l'industrie pouvant ainsi trouver sa place à un moment de son parcours professionnel dans un lycée, et retourner ensuite dans une entreprise.

Quant aux actions de communication sur ces métiers (Semaine de l'industrie, salon du Bourget, Usine Extraordinaire, French Fab Tour…), elles ne devraient pas, selon lui, se concentrer seulement sur "les éléments attractifs", mais aussi "ne pas occulter les composantes négatives" (pollution générée, travail à la chaîne et pénibilité, licenciements pratiqués ces dernières années, etc. en montrant des avancées concrètes sur ce plan). Car "il ne suffit pas de montrer des technologies avancées, des robots "extraordinaires", pour convaincre de rejoindre un secteur industriel".

Le rapport "Attractivité des métiers, attractivité des territoires : des défis pour l'industrie" ici

Camille Pons

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