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"Trop d'acteurs de l'Education nationale gardent l'oeil rivé sur le bac d'avant" - Pierre Mathiot (interview exclusive)

Paru dans Scolaire le mardi 25 février 2020.

Les réformes du lycée d'enseignement général et du baccalauréat technique et professionnel provoquent des réactions parfois extrêmement violentes, et beaucoup d'incompréhension. Pour Pierre Mathiot, qui en a été l'inspirateur, trop d'acteurs "gardent l'oeil rivé sur le bac d'avant" alors qu'il faudrait penser "une transformation culturelle" du lycée et de l'évaluation.

ToutEduc : Pouvez-vous nous rappeler le sens de ces réformes ?

Pierre Mathiot : L'objectif était de faire en sorte que le lycée, du moins le cycle terminal (première - terminale) se tourne davantage vers l'enseignement supérieur. La plupart des bacheliers de l'enseignement général vont poursuivre leurs études, souvent jusqu'à bac + 5, il faut donc penser une continuité sur sept ans. C'est cette réflexion qui constitue la matrice des réformes.

ToutEduc : Et en ce qui concerne l'évaluation, le baccalauréat ?

Pierre Mathiot : Le système actuel a deux inconvénients majeurs. L'essentiel se joue sur un "one shot", en quelques jours avec les épreuves terminales. Et les résultats comptent pour pratiquement rien si on songe aux poursuites d'études puisqu'ils tombent après que les candidatures ont été examinés dans le cadre de Parcoursup. Le baccalauréat ne sert qu'à valider des décisions déjà prises. Certes, le baccalauréat est un diplôme national, mais les affectations dans l'enseignement supérieur ont été déterminées par des notes obtenues en contrôle continu, de fait. Le but de la réforme est de redonner du sens au baccalauréat.

ToutEduc : Vous avez évoqué Parcoursup. Ne peut-on pas dire qu'avec ce dispositif, les universités choisissent leurs étudiants, ce que ne faisaient auparavant que les filières sélectives ?

Pierre Mathiot : Peut-être pour quelques uns d'entre eux et quelques formations très demandées, mais je ne pense pas qu'on puisse réellement parler d'une inversion de la logique. En revanche, les universités peuvent dire à un lycéen "d'accord, venez chez nous, mais sachez que vous avez des faiblesses en tel ou tel domaine...". Il faut toujours se souvenir que 60 % des étudiants ne valident pas leur première année.

ToutEduc : En effet. Mais si on prend les données pour la licence en 4 ans, les étudiants français ont des résultats tout à fait comparables à ceux des autres pays de l'OCDE...

Pierre Mathiot : De fait, le "oui si" officialise la licence en 4 ans, l'organise pour qu'elle soit bénéfique. Et je suis convaincu qu'on va voir baisser le taux d'échec en L1, il a déjà diminué de 8 % en Master 1 depuis l'instauration de la sélection.

ToutEduc : La réforme du lycée met fin au système des séries, ce qui était très largement demandé. Dès lors, vous aviez le choix entre deux philosophies, un tronc commun qui prolonge le collège et la logique du socle commun, ou un lycée modulaire... Entre les deux, vous pouviez jouer sur le curseur. Jean-Michel Blanquer et vous-même le situez-vous au même point ?

Pierre Mathiot : Presque. Il est vrai que le tronc commun que je préconisais était un peu plus fort, deux heures de plus. Je suis attaché à un lycée qui réunit des jeunes différents les uns des autres et qui les prépare à faire société. Mais en même temps, vous pouvez dire que j'étais d'inspiration plus libérale que Jean-Michel Blanquer puisque je préconisais des enseignements semestriels, avec deux options, une majeure et une mineure, et la possibilité d'en changer tous les 6 mois !

ToutEduc : Comment comprenez-vous que ces réformes suscitent de telles réactions ?

Pierre Mathiot : Le contexte, la réforme des retraites, joue incontestablement un rôle important, mais il n'explique pas tout. Certaines questions techniques ont été réglées très tardivement, qu'il s'agisse de la "Banque nationale de sujets" ou de la dématérialisation des copies. De plus, les personnels, les enseignants notamment, n'ont pas TOUS été formés à l'usage de ces outils, à la correction sur écran par exemple. Or c'est une innovation formidable.

Je crois surtout que trop d'acteurs du monde de l'Education nationale, et pas seulement les enseignants gardent l'oeil rivé sur le bac d'avant, un système à bout de souffle, tout le monde en est conscient, mais dont beaucoup ont la nostalgie.

ToutEduc : Comment caractériser cette réforme ?

Pierre Mathiot : Elle est largement d'ordre culturel. Les copies des E3C (les épreuves communes de contrôle continu, ndlr) sont annotées, les élèves en prendront connaissance et pourront en tirer des enseignements pour la suite. On passe d'une évaluation sommative à une évaluation formative et c'est une évolution très importante... Je vous accorde que les E3C ressemblent davantage à des partiels qu'à du contrôle continu, mais elles s'inscrivent bien dans une nouvelle perspective. D'ailleurs, les établissements où les choses se sont bien passées, souvent des établissements privés il faut bien le dire, sont ceux où les équipes ont admis cette nouvelle façon de concevoir l'évaluation.

ToutEduc : Certains enseignants n'ont-ils pas perçu les E3C comme une atteinte à leur liberté pédagogique, dans la mesure où ils étaient obligés d'aligner leur progression sur celle de leurs collègues, de façon à en être à peu près au même point du programme et pouvoir choisir un sujet qui soit commun à toutes les classes ?

Pierre Mathiot : Peut-être, mais une réunion de concertation entre collègues ne remet pas en cause leur liberté. D'ailleurs, on pourrait imaginer que, comme pour un bac blanc, chacun corrige les copies d'autres classes que les siennes dans un même établissement, après anonymisation des copies et avec des critères de correction partagés. Mais je peux comprendre que ça râle quand une réforme invite à modifier des pratiques anciennes et notamment conduit à travailler en coordination plus étroite...

ToutEduc : N'y a-t-il pas une "équation Blanquer", quelque chose qui tiendrait à sa personne ?

Pierre Mathiot : Sans doute. Il connaît parfaitement le système, ce qui lui permet de répondre techniquement, point par point, aux syndicats, ce qui peut leur donner l’impression, à mon avis erronée, qu'il n'y a rien à discuter. Et puis, il est arrivé en mai 2017 en sachant précisément où il voulait amener le système scolaire sur les cinq années de la mandature. Et sans doute que certains personnels ont le sentiment qu'ils sont conduits vers un but qu'ils ne connaissent pas. Pourtant, a contrario de ce que l'on lit souvent, je voudrais insister sur le fait que Jean-Michel Blanquer a recherché, sur ces deux réformes, du bac et du lycée, des compromis acceptables par tous. Et d'ailleurs parce qu'il a recherché des compromis que les E3C peuvent apparaître comme une version incomplète du contrôle continu.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par P. Mathiot

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