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La philosophie, l'apprentissage participatif, l'éducation à l'image pour "une approche humaniste de l'éducation et du développement" (UNESCO)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le lundi 24 février 2020.

L'UNESCO vient de publier en ligne le premier recueil de contributions au débat mondial sur "les futurs de l'éducation", débat que l'organisation avait lancé pour trouver "les moyens de repenser les connaissances, l'éducation et l'apprentissage". Quarante-huit documents de réflexion, rédigés par plus d'une centaine d'auteurs de soixante cinq institutions, alimentent ce document de 233 pages intitulé "Les futurs humanistes de l'apprentissage : perspectives des chaires UNESCO et des réseaux UNITWIN", dont les principales conclusions ont été présentées à la Commission internationale sur l'avenir de l'éducation les 28 et 29 janvier 2020 à Paris. Retenues parce qu'elles proposent toutes "une approche humaniste de l'éducation et du développement" et "une vision du développement inclusive du point de vue économique, juste du point de vue social et durable du point de vue environnemental", ces contributions proposent, entre autres pistes de développement, l'intégration de la philosophie dans les enseignements dès le plus jeune âge, à la fois pour former un citoyen ouvert mais aussi pour que celui-ci soit en mesure de protéger le monde dans lequel il va grandir, et le développement d'espaces d'apprentissage alternatifs qui encouragent l'engagement et la participation des élèves.

L'enseignement de la philosophie dès le plus jeune âge est en effet l'une des idées importantes défendues dans ce document. L'une des auteures, Edwige Chirouter (université de Nantes), estime que la pratique de l'enseignement de la philosophie de 4 à 18 ans permettrait, alors que le savoir ne suffit pas à sauver le monde (on peut être cultivé, rationnel, intelligent et être un barbare), de développer des capacités d'ouverture, la bienveillance, l'indépendance d'esprit et pourrait "contribuer ainsi à former des citoyens conscients et respectueux de la diversité des opinions, des idées et des façons d'être dans le monde". "Dans ces espaces de pensée sur des questions métaphysiques - où le doute, l'acceptation de sa propre vulnérabilité, de son ignorance, est condition même de l'exercice –, les enfants apprennent patiemment à construire des idées, à proposer des contre exemples, à déceler les présupposés et les conséquences des opinions ou des idées toutes faites, à décrypter les cohérences et incohérences des discours, à mettre en lumière les systèmes de valeurs, à construire des passerelles entre leur vision du monde et celles des autres", écrit-elle. Ainsi, la philosophie apprend aux élèves "à accepter l'incertitude nécessaire face à de grandes questions métaphysiques où il ne peut y avoir 'une' seule et bonne réponse définitive", écrit-elle, et de développer, "sans tomber dans le relativisme", "une posture interprétative sur des questions humaines fondamentales".

La philosophie aussi dans les sciences pour nous aider "à repenser notre relation à la Terre"

Cette pratique permettrait également, selon elle, de s'opposer à "une vision techniciste des savoirs et des compétences au seul service de l'adaptation de l'individu à la vie sociale et surtout à l'économie libérale", tendance qui, si elle se prolongeait, amènerait les États du monde entier à produire des générations de machines efficaces, "mais non des citoyens complets capables de penser par eux-mêmes, de critiquer la tradition et de comprendre ce que signifient les souffrances et les succès d’autrui". Or, alors que la philosophie est "considérée comme un des moteurs essentiels pour la vie démocratique", l'auteure regrette que celle-ci soit "trop souvent réduite à l'enseignement secondaire ou universitaire, et donc à une élite".

Une autre auteure, Angela Colonna (université de Basilicate, Italie) propose de son côté d'incorporer des éléments de philosophie dans l'enseignement des sciences, parce qu'ils pourront aider "à repenser notre relation à la Terre sur laquelle nous vivons". Pour elle, diffuser le produit de la science par le biais d'une assistance philosophique dans les programmes scolaires, mais aussi universitaires, de formation professionnelle, liés au travail et dans les cadres éducatifs non formels et informels, permettrait d'aider "à absorber l'immense quantité d'informations disponibles et à évaluer ce qui est essentiel et ce qui est périphérique dans notre effort pour résoudre les défis mondiaux". Ces pratiques immersives et d'expériences d'écoute active, ou de méditation sont d'autant plus importantes, selon elle, qu'aujourd'hui "les compétences en gestion du changement sont en grande partie de nature stratégique, impliquant une flexibilité mentale et un équilibre émotionnel".

Développer la "compétence visuelle" dans un monde d'images

L'apprentissage participatif fait de son côté l'objet de plusieurs focus. Ses vertus sont notamment défendues par Helena Águeda Marujo (université de Lisbonne, Portugal), parce qu'il permet une "(re)connexion au soi et aux autres" et constitue en ce sens "l'un des outils les plus puissants de l'éducation – surtout si nous voulons construire une société soucieuse de la paix mondiale". Alors que l'apprentissage participatif met l'accent sur des relations de soutien et sur des expériences d'apprentissage partagées (et parfois conflictuelles) "qui font des élèves et des stagiaires des participants actifs à la création et à la découverte de leur moi unique, des récits et des pratiques des autres et de leur rôle dans un monde bienveillant", l'auteure déplore la "mise en avant" de la hiérarchie dans les pratiques éducatives actuelles, que ce soit par le biais de la notation, du suivi, de l'évaluation, de la discipline, "qui prennent le pas sur la relation entre l'enseignant, l'élève, les stagiaires" et engendrent "souvent une démotivation, de l'anxiété et une aliénation". L'apprentissage participatif procure aussi d'autres avantages, selon elle, "par la constitution de réseaux de soutien en classe où l’affection, la confiance, la bienveillance, la compassion, l'authenticité, le soutien mutuel, la permission d’être vulnérable et la promotion de l’interdépendance sont essentielles".

Le recueil présente d'autres propositions dans le domaine des TIC, du numérique, de l'éducation à l'image. Dans ce champ, Andrea Kárpáti (université ELTE, Hongrie) fait valoir l'importance de développer "la compétence visuelle" dans l'éducation (distinguer des objets visibles et leur donner un sens, créer efficacement des objets visibles statiques et dynamiques dans un espace défini, comprendre et apprécier les testaments visuels des autres, voir mentalement des objets). Cet "alphabétisme visuel" est incontournable, estime-t-elle, car, alors que les enfants du XXIe siècle vivent dans un monde d'images (qu'ils récupèrent et qu'ils traitent, mais aussi qu'ils créent pour décrire les événements, leur humeur, leur perception du monde), dans une salle de classe, "ils rencontrent un monde qui reste dominé par la parole et le texte écrit" et "ceux qui ont plus de facilité à comprendre un concept ou un processus sophistiqué à travers l'image [notamment les jeunes défavorisés pour qui la visualisation du contenu est importante et qui éprouvent des difficultés à verbaliser] peuvent se trouver démunis face à une longue description écrite". L'auteure souligne que, grâce à des expériences scolaires, les enseignants et les chercheurs du European Network of Visual Literacy et leurs partenaires travaillent sur des projets qui encouragent ces sous-compétences et "démontrent leur pertinence dans différents domaines de l'éducation – allant des arts et des sciences au sport". Celle-ci invite l'éducateur à repenser le processus d'apprentissage et à "remplacer les explications verbales par des situations qui invitent à l'expérimentation et à la création".

D'autres contributeurs soulignent la nécessité de créer des espaces numériques et physiques transversaux qui facilitent le partage des connaissances au niveau mondial, et d'une plus grande disponibilité des ressources éducatives libres, celles-ci pouvant contribuer à la réduction de la fracture du savoir pour réaliser l'équité dans l'éducation.

Le recueil des contributions de l'UNESCO ici

Camille Pons

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