Quelles sont les logiques à l'oeuvre pour faire l'atmosphère d'une classe ? (ouvrage)
Paru dans Scolaire le mardi 18 février 2020.
Des logiques "enfouies, singulières, plus ou moins inconscientes, pilotent les conduites des enseignants et des élèves, leurs malentendus ou leurs bonheurs". Dominique Bucheton (université de Montpellier) publie "Les gestes professionnels dans la classe". Combinant sciences de l'éducation et sciences du langage, elle y propose aux enseignants des pratiques "pour les temps qui viennent", mais elle est aussi amenée à analyser comment "des êtres de chair, d'os, de parole, d'histoire et de culture", donc singuliers, divers, se rencontrent dans le lieu clos de la classe.
Cette rencontre ne va pas sans une éthique, et celle-ci "s'appuie sur un postulat central : l'homme n'est rien sans les autres. Le développement personnel de l'élève, la réussite de son projet de vie sont étroitement dépendants des autres, et, ce faisant, du bien commun de l'humanité (...). Cette éthique professionnelle (...) ne peut être un simple affichage de bonnes intentions, d'habillages mensongers avec des mots creux." L'auteure lui oppose la déontologie pour qui seule importe "la conformité à la règle", aux "bonnes pratiques", alors que l'éthique "est un engagement" qui "oriente, irrigue toutes nos décisions". Dès lors, pour l'enseignant, "apprendre (à ses élèves) à penser est la priorité des priorités", il s'agit d'en faire "des sujets libres, pensants et non simplement répétants, appliquant des algorithmes".
Une dimension réflexive
Cette éthique "nécessite, pour être mise en acte, un travail approfondi de réflexion autour des gestes professionnels quotidiens", et ceux-ci demandent "discussion, formation, ajustement". D. Bucheton ne cache d'ailleurs pas sa vive opposition à la politique actuelle, élaborée sans concertation avec les intéressés "et encore moins avec leurs représentants". Elle y voit un "coup d'Etat politique", mais surtout une négation du métier d'enseignant et de sa dimension éthique.
Elle propose un outil d'analyse des "préoccupations enchâssées" de l'enseignant dans la classe qui doit combiner "des objectifs d'apprentissage, le pilotage du cours, l'atmosphère (les relations dans la classe), le tissage (ce qui donne sens aux apprentissages) et l'étayage (ou l'art et la variété des manières d'aider les élèves à progresser)". C'est ce qu'elle appelle "le modèle du multiagenda" qui n'est pas "un modèle pour faire la classe" mais "un outil pour réfléchir".
Des logiques difficilement verbalisables
Influent aussi sur "le microcosme de la classe" ce que Dominique Bucheton appelle des "logiques d'arrière-plan", un ensemble constitué "de pratiques, de normes scolaires, d'attentes, de discours, de films sur l'école, d'articles, de discussions en famille ou dans les salles des professeurs". Les élèves aussi ont leurs "logiques d'arrière-plan", leurs "images d'Epinal du bon enseignant", leurs attentes "peu conscientes". Ces logiques "se manifestent par des comportements, des prises de décision qui ont leur source autant dans des souffrances, revanches, incompréhensions que dans des défis, réussites, bonheurs, sentiment de sécurité, amitiés"
D'autres logiques d'action sont encore plus profondes, "peu accessibles à la conscience immédiate et difficilement verbalisables". Or la culture professionnelle des enseignants français "valorise plus la rationalité que la sensibilité et les affects" qu'il "ne faut pas trop montrer" au pays de Descartes. Pourtant, "le développement professionnel d'un enseignant (devrait être) très lié à la prise de conscience lente de l'ensemble de ses modes de penser, ses façons d'agir avec les élèves".
"Les gestes professionnels dans la classe, éthique et pratiques pour les temps qui viennent", Dominique Bucheton, ESF éditeur, 216 p., 23,90€