Suicide d'enseignants : une plainte contre Jean-Michel Blanquer
Paru dans Scolaire le mercredi 06 novembre 2019.
Le syndicat CFE-CGC de l'Education nationale, "Action et Démocratie", porte plainte devant la Cour de justice de la République contre Jean-Michel Blanquer qui a manqué à "l'obligation de mettre en place un service de prévention" pour les personnels de l'Education nationale, cette carence, selon les termes de la plainte, étant constitutive de l'infraction consistant à "exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures graves (...) par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité".
L'organisation syndicale calcule que "plusieurs dizaines de suicides ou de tentative de suicides ont été recensées parmi des agents de l’éducation nationale depuis quelques années" et il estime que ces agents, "qui rencontraient pour la plupart des difficultés dans l’exercice de leurs fonctions", ne seraient pas passés à l'acte s'ils "avaient fait l’objet de visites régulières de prévention débouchant sur la prise de mesures adaptées". Elle ajoute dans un communiqué que "la recrudescence du nombre de maladies professionnelles et de suicides intervenus depuis la prise de fonction (du ministre) est directement imputable à la détérioration des conditions de travail, à la crise profonde qui frappe l'institution scolaire mais aussi à la négligence du ministre vis-à-vis de ses obligations".
Le décret du 28 mai 1982 "relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique" prévoit en effet qu’un service de médecine de prévention est créé dans les administrations et établissements publics de l'Etat" et que les personnels "font l'objet d'une visite médicale auprès d'un médecin de prévention tous les cinq ans", ou tous les ans s'ils sont handicapés, s'ils ont été "réintégrés après un congé de longue maladie ou de longue durée" ou s'ils souffrent de pathologies particulières, ou qu'ils occupent des postes exposés, obligation qui vaut aussi pour les femmes enceintes. Or un rapport de l'IGA (Intérieur), de l'IGAS (affaires sociales) et de l'IGAENR (administration de l'Education nationale) montre qu'en 2014, on comptait 83 médecins de prévention (64,7 ETP) pour 977 274 agents concernés, "soit 1 médecin de prévention pour 15 104 agents", certaines académies n'en comptant aucun. "La situation actuelle ne permet pas aux académies de respecter leurs obligations en matière de visites médicales et d’action sur le milieu professionnel." Or "aucune augmentation significative des recrutements" n’a été effectuée depuis 2014.
Le syndicat liste douze suicides ou tentatives de suicides depuis le 17 mai 2017, date de sa prise de fonction, dont plusieurs sur le lieu de travail ou dans le logement de fonction.
- le 22 mai 2017 une professeure stagiaire d’une quarantaine d’années de l’ESPE de Livry-Gargan se suicide du haut d’un pont dans la Seine.
- le 5 décembre 2017, un professeur de Technologie du collège La Boétie de Sarlat-la-Canéda (Dordogne) a tenté de mettre fin à ses jours en se tailladant les veines
- Le 8 février 2018, un professeur de Technologie de 37 ans du collège Maupassant de Limoges (Haute-Vienne) s’est suicidé sous le préau de son établissement
- Le 21 mars 2018, une professeure de 42 ans de Montdidier s’est suicidée en se jetant d’une falaise de Mers-les-bains
- Fin août 2018, le Responsable des agents du lycée Jean-Moulin de Béziers dans l'Hérault (34) a été retrouvé pendu dans son logement de fonction. C'est le 3e suicide depuis 8 ans dans ce lycée
- Le 17 novembre 2018, Laurence D. enseignante de Lettres et Histoire-Géographie de 44 ans à Toulon en Lycée d'Enseignement Professionnel, se suicide
- Le 22 janvier 2019 un professeur des écoles de l'Ecole Pierre-Mendès France à Beuzeville (Eure - 27) s'est suicidé
- Le 18 février 2019 un professeur d'une quarantaine d'années du collège Victor-Hugo de Sète (Hérault, 34) a tenté de s'immoler pour des raisons inconnues. Il a été secouru rapidement mais est brûlé au 2e degré
- Le 16 mars 2019 Jean W., 57 ans, professeur des écoles de l'école Flammarion d'Eaubonne dans le Val-d'Oise (95), se suicide par pendaison à un arbre en forêt, suite à une plainte à l’inspection académique d’une parente d’élève qui l’accusait d’avoir brutalisé son enfant. L’Inspection Académique avait convoqué l’enseignant, qui s’est suicidé avant de se rendre à l’entretien
- Le 2 mai 2019, un instituteur de 32 ans de l'école Victor HUGO de Barrême (près de Digne) dans les Alpes de Haute Provence s'est suicidé 2 jours après une mise à pied de 4 mois par l'Education nationale
- Le 12 septembre 2019 : une professeur des écoles s'est suicidée en lien avec sa situation de travail pénible, relate le SNUIPP qui a déposé une "alerte sociale pour exiger que l'administration ne laisse pas certaines pratiques managériales ou de pilotage se développer, et encore moins perdurer"
- Le 21 septembre 2019, une directrice d'école à Pantin en Seine-Saint-Denis (93) se suicide dans son école en laissant cette lettre pour informer des raisons de son geste.
Le syndicat joint à sa plainte les coupures de presse relatant ces suicides et deux pages (28 et 29) du rapport IGA, IGAS, IGAENR de 2014 téléchargeable ici (à noter que ce rapport est sévère : "L’examen de la qualification des médecins employés par le ministère (de l'Education nationale) révèle une situation encore plus préoccupante. En effet, sur les 83 médecins, 38 seulement disposent effectivement de la qualification de médecins du travail. Parmi les 83 médecins, seuls six étaient titulaires.")