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Neurosciences et apprentissages : pourquoi ne pas entraîner les élèves à la résistance cognitive, premier prédicteur de la réussite scolaire ? (Grégoire Borst, université d'automne du SNUIPP)

Paru dans Scolaire le vendredi 25 octobre 2019.

Et si on entraînait les élèves à la résistance cognitive, à contrôler les automatismes qu'ils ont acquis, par exemple dans le cas de résolution de problèmes arithmétiques ou lorsqu'ils sont face à des conflits sémantiques ou de doute, pour qu'ils se mettent dans une posture où ils mobiliseraient davantage leur système de pensée analytique ? C'est à l'aune de plusieurs travaux, dont des travaux expérimentaux menés au sein de son propre laboratoire, le LaPsyDE (laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant, CNRS - Sorbonne), que Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation à l'université Paris Descartes, a fait cette proposition, à l'occasion de l'université d'automne du SNUIPP qui s'est tenue du 18 au 20 octobre 2019 à Port-Leucate. Entraîner à la résistance cognitive, pourquoi ? Parce que plusieurs travaux, observe-t-il, ont déjà permis de montrer que ce sont les élèves qui ont la meilleure "résistance cognitive" (dite "inhibition" dans le langage scientifique) qui réussissent le mieux, que cette capacité de contrôle de soi est donc "le facteur le plus prédictif de la réussite scolaire" (devant le critère social). Ce système de contrôle coexiste, pour tout être humain et à tous les âges, avec deux autres systèmes de pensée : le système des automatismes qui consiste à mettre en œuvre des stratégies approximatives, des automatismes, et le système de pensée analytique, "coûteux et lent". S'entraîner à la résistance cognitive consiste dès lors à apprendre à réguler des automatismes dans des situations de conflits ou de doute. Une piste que le LaPsyDE, que le chercheur dirige, explore en ce moment au travers de différents projets de recherche.

Le chercheur a d'abord fait la démonstration, au travers de quelques exercices, qu'une situation de contrôle des automatismes est nécessaire, même pour des adultes dont la compétence testée est considérée comme acquise, lorsque l'on doit résoudre des problèmes qui font naître des conflits sémantiques (par exemple, lire des noms de couleurs visuellement données à voir avec des couleurs de police qui ne sont pas les leurs) ou encore faire face à des conflits dans le raisonnement (un "plus" dans un énoncé de problème mathématique qui sera automatiquement associé à l'addition, et un "moins" à la soustraction, alors que le calcul s'appuie en réalité sur une équation à résoudre)... Ces pièges (dont les tests PISA sont friands) ne mesurent donc pas "la capacité de raisonnement, mais la capacité de l'enfant à résister aux automatismes qu'il a créés", analyse Grégoire Borst.

Des travaux sur la résistance cognitive des enfants menés dès les années 60

Les travaux qui ont permis de mettre en avant progressivement l'impact de cette résistance cognitive sur la scolarité remontent aux années 60, où avait déjà été menée une première étude autour du contrôle de soi chez les enfants. Alors qu'à cette époque on les croyait "incapables de se contrôler", celle-ci avait montré, d'une part qu'ils en étaient capables dès le plus jeune âge (environ 2/3 capables sur la durée attendue, 1/3 pendant 10 minutes), et d'autre part, que les enfants de 11 ans avaient plus de facilités que ceux de 4 ans. L'étude a donné lieu ensuite, dès les années 70, à une étude longitudinale menée pendant plus de 30 ans.

Ce sont ces constats qui ont motivé l'oriention de programmes de recherche menés actuellement par le LaPsyDE. Ces programmes mettent en œuvre des pédagogies expérimentales qui consistent à tester des méthodes d'entraînement susceptibles de contribuer à améliorer la résistance cognitive. Ces pédagogies sont également associées à une démarche qui consiste à faire prendre conscience aux élèves de ces biais observés et du fonctionnement du cerveau : on avertit de la présence de pièges (car il ne s'agit pas de les supprimer dans les évaluations, commente le chercheur) et on explique les automatismes qui viennent court-circuiter les apprentissages...

Une pédagogie expérimentale testée dans le cadre d'une recherche participative

Un premier programme, mené à partir de 2014, sur 5 ans et avec un panel de 400 enfants de 9 et 10 ans, ne s'était pas révélé être une "bonne stratégie". Les chercheurs avaient observé les progrès des enfants en résolution de problèmes arithmétiques et reconnaissance de lettres, en les faisant s'entraîner sur tablettes sur des sessions de 5 semaines et 5 minutes par jour, sessions entre lesquelles ils faisaient un passage en laboratoire pour qu'y soient observés les progrès, y compris via des IRM. Si les résultats n'ont pas été à la hauteur de ce qui pouvait être attendu, le chercheur souligne néanmoins que les IRM ont permis d'observer "des modifications dans les réseaux neuronaux". Des observations qui permettent d'imaginer que l'on puisse tester le même type de programme, mais amélioré en entraînant les enfants "par le biais de situations ciblées", ou encore en prolongeant cet entraînement, ou encore en y ajoutant "des composantes motivationnelles et des récompenses".

Le laboratoire mène une autre recherche depuis 2 ans, celle-ci collaborative, participative et en ligne, sur la plateforme Lea.fr, qui associe de nombreux enseignants. Le programme a démarré avec une conférence de 40 minutes sur le cerveau, qui a touché 4000 élèves y compris des enfants de maternelle. Les enseignants volontaires ont créé de leur côté des groupes expérimentaux, dits "méta-cognitifs", dans lesquels les élèves font des jeux susceptibles d'aider à l'apprentissage de la résistance cognitive, tels que "1, 2, 3 Soleil" ou "Jacques a dit". Les résultats de ces élèves sont observés par l'enseignant au regard des résultats d'un deuxième groupe d'élèves, le groupe contrôle non entraîné par des jeux. À ce jour, les premières observations montrent que c'est dans le groupe meta-cognitif que les élèves progressent le plus, indique le chercheur, et ce notamment dans la résolution des problèmes arithmétiques à contenus verbaux (Pierre a 10 billes, Paul a 5 billes...).

Garder de la distance face aux résultats de la recherche car on apprend encore sur le cerveau

Le chercheur a néanmoins invité à prendre "avec de la distance" les résultats de l'ensemble des travaux menés sur le cerveau. Parce qu' "on connaît encore peu de choses sur le cerveau" et que l' "on apprend" encore. Si celui-ci déclare ne pas s'inscrire dans la mouvance des actuels membres du Conseil scientifique de l'Éducation nationale qui présentent pour acquis incontestables certains résultats de la recherche en neurosciences, il juge néanmoins "important, pour interroger la pédagogie, de comprendre le développement cognitif". Même si, avertissait-il en introduction, "ce n'est pas la seule discipline à invoquer pour comprendre l'éducation et la pédagogie, qui sont évidemment complexes et forcément à la croisée d'un ensemble de disciplines". Quelques connaissances actuelles peuvent néanmoins être prises en compte par les enseignants dans leur approche de l'élève : le fait que la maturation du cerveau est "dynamique et non linéaire", ce qui permet d'en déduire que le développement de l'enfant s'opère de la même manière, que c'est la maturation la plus longue de l'espèce animale, que c'est donc celle "qui est la plus influencée par le contexte", que cette maturation ne s'opère pas au même rythme dans les différentes zones du cerveau, et que les dernières à maturer sont "toutes les fonctions de haut niveau, abstraction, langage, planification, raisonnement", fonctions impliquées dans tous les apprentissages et qui continuent à maturer pendant toute la partie de la scolarisation et des études" puisque les personnes ne "deviennent adulte qu'à 25 ans du point de vue de leur cerveau".

À tous ces titres, indique Grégoire Borst, le modèle de Piaget qui promouvait un développement vers "des compétences de plus en plus formelles" est aujourd'hui "dépassé". Modèle qui, par exemple, posait pour acquis que le stade des opérations formelles était atteint à l'âge de 15 ans, ce qui sous-entendait qu'il ne pouvait plus y avoir d'erreurs de raisonnement. Pour "comprendre la réussite", commente encore le chercheur, l'âge n'est donc pas "la seule variable" à prendre en compte, le contexte en constituant également un autre. Et à tous ces titres aussi, il faut considérer qu' "il n'y a pas de fatalité" et que rien n'est arrêté à 3, 5, 7 ans..., poursuit Grégoire Borst. "Si on change des éléments, on fait des pédagogies différenciées, etc., on peut changer les choses."

Camille Pons

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