Scolaire » Actualité

"Lire, écrire, compter" ne sont pas les seuls fondamentaux, il faut d'abord apprendre la posture scolaire (Anne Clerc Georgy, université d'automne du SNUIPP)

Paru dans Scolaire le mercredi 23 octobre 2019.

Ce ne sont pas lire, écrire, compter qui sont les apprentissages fondateurs de la capacité à apprendre à l'école maternelle mais plutôt l'acquisition des outils requis à l'école et l'apprentissage de la posture scolaire, dans le collectif et dans l'esprit de chaque discipline, qui sont essentiels à ces âges. C'est l'invitation qu'a faite, en substance, Anne Clerc-Georgy, professeure à la Haute école de pédagogie (HEP, canton de Vaud, Suisse) et membre du laboratoire Lausannois lesson study (3LS) et du Groupe d'intervention et de recherche sur les apprentissages fondamentaux (GIRAF), aux participants de l'université d'automne du SNUIPP. Celle-ci s'est tenue du 18 au 20 octobre 2019 à Port-Leucate. Pour la chercheuse, l'apprentissage des fondamentaux mérite d'être élargi et évaluer ces acquisitions passe avant tout, à ces âges, par de l'observation sur différentes activités. Activités dont une pourrait être le jeu libre, car il permet à l'enfant de choisir son rôle et de "libérer sa capacité d'apprentissage". Si l'intervention de la chercheuse portait sur l'école maternelle, c'est au-delà de la dernière section, jusqu'à la fin du CP et non jusqu'au début du CP, que la chercheuse, dont les recherches portent sur la formation des enseignants et sur l'enseignement-apprentissage dans les premiers degrés de la scolarité, invite à donner une place à ces apprentissages et au jeu, tout en maintenant "un enseignement structuré fort, pour entrer dans l'écrit et la numératie". Car, indique-t-elle, "7 ans révolus, c'est l'entrée dans l'âge de raison, selon les grands penseurs".

En effet, pour la chercheuse, restreindre les fondamentaux à lire, compter, écrire se heurte à plusieurs observations : "il faut de 3 à 7 ans pour tranquillement apprendre à lire", "c'est pendant le CE1 qu'on les voit tourner vers le système de découpe mathématique" et on observe "souvent une forte régression à l'entrée du CP", ce qui induit qu' "ils auraient plutôt besoin qu'on leur tienne encore un petit peu la main". Certe, poursuit la chercheuse, "on a commencé l'école de plus en plus tôt, et c'est bien pour les plus défavorisés. Mais ce n'est pas pour ça que l'on doit faire des choses qui doivent se faire en réalité plus tard". Pour elle, lire, écrire, compter ne sont pas les fondamentaux à cet âge, mais plutôt "comprendre en quoi l'outil lire ou décimal va me permettre de faire des choses que je ne pouvais pas faire quand je ne les avais pas, comme transmettre un message à quelqu'un, marquer mon nom sur un objet qui m'appartient...". Une approche d'autant plus importante que "c'est plus difficile de rattraper un enfant qui n'a pas compris à quoi ça sert".

Davantage susciter l'intérêt, la curiosité, l'envie d'apprendre

Pour Anne Clerc-Georgy, il s'agit davantage de susciter l'intérêt, la curiosité, l'envie d'apprendre. Et de privilégier à ce titre des approches où on leur permet "d'expliquer ce qu'ils font, ce qui se passe dans leur tête, développer leurs capacités à expliciter et à prendre l'avis d'un autre, à se projeter, à accepter la frustration, à entrer dans le monde symbolique, à développer des habiletés corporelles", car "on peut penser d'un enfant qui a tout ça, qu'il va bien rentrer dans la scolarité".

La progression est nécessaire, selon elle, car il faut "effectuer des transitions pour devenir élève", transitions qui peuvent prendre "énormément de temps pour certains", car "c'est un saut qu'il faut faire pour accepter de se soumettre à ce que demande l'enseignant". C'est, par exemple, apprendre à porter un regard différent sur des objets familiers qui deviennent objets d'autres savoirs : d'où vient ce fruit, comment est fabriqué le chocolat... ?

Deux apprentissages pour devenir "un élève solide" : les outils requis par l'école et la posture scolaire

Pour devenir "un élève solide", il faut d'abord "des outils requis par l'école. Outils cognitifs, notamment "savoir énumérer pour épeler et dénombrer, classer, organiser", alors que si l'on ne sait pas énumérer, "ce sera difficile dans toutes les disciplines". Outils langagiers et développer dans ce domaine des capacités dans des registres différents (raconter, se détacher de l'expérience pour en parler et revenir sur celle-ci...). Enfin, des outils affectifs (savoir perséverer, maintenir son attention, négocier ses émotions, croire que l'on est capable d'apprendre). "Tous ces outils s'acquièrent, même s'ils vont être transmis dans certaines familles", commente encore Anne Clerc-Georgy.

En plus des outils, il faut mettre l'accent sur un deuxième apprentissage, la posture scolaire. "Quand est-ce qu'on leur explique, quand on leur dit 'raconte tes vacances', que 'tu as le droit d'inventer, de changer de rôle, donc de ne pas dire que tu n'as rien fait', alors que l'idée, ici, c'est d'apprendre à raconter", interroge la chercheuse qui souligne que "l'élève a du mal avec le 'je' qui n'est pas le même qu'à la maison", et que cela permettrait aussi de ne pas placer des élèves face à des dilemmes. Les "structures participatives" doivent aussi s'apprendre : "vivre avec d'autres pour apprendre ensemble", ce qui passe par des "codes scolaires", apprendre ce qu'est un collectif (écouter les autres, signaler qu'on veut dire quelque chose, en levant la main, ce qui ne se fait pas à la maison, et se rappeler ce que l'on a à dire, car ce ne sera peut-être pas tout de suite que l'on sera amené à intervenir) et apprendre à s'approprier les normes de ce groupe, pour se mettre d'accord.

Apprendre à se mettre dans l'esprit de chaque discipline

Enfin, c'est apprendre à entrer dans les disciplines car "on ne tombe pas dedans", poursuit la chercheuse. Tout cela est indispensable parce que "les élèves qui s'en sortent" sont ceux qui identifient les objets de savoirs et à être dans une posture disciplinaire. La vraie question pour elle, c'est dès lors "comment fait-on pour que l'enfant se mette dans l'esprit de la discipline ?" Par exemple en mathématiques, face à un problème où Paul vole les pommes de Marie, savoir "écouter la consigne différemment que si l'on est en philosophie" où, là, sera attendu un "qu'en penses-tu ?".

Celle-ci rappelle également que chez les enfants de 3 à 7 ans, l'hétérogénéité est la norme, de la même manière que certains marchent à 7 mois et d'autres à 18 mois, ou parlent plus tôt que d'autres, ce qui ne se voit plus à l'âge adulte et "ne change rien". Ce qui pose aussi, selon elle, la question de la pertinence des tests à l'entrée en CP, en CE1. "Les tester comme ça est extrêmement dangereux, car on ne sait pas ce qu'ils seront demain", estime la chercheuse qui encourage plutôt à se donner quelques mois "pour les observer et sur un ensemble d'activités".

C'est au titre de cette observation que celle-ci plaide pour le développement du jeu libre, qui permet de "faire semblant" et "a sa place jusqu'au CE1". Non pas parce que c'est la seule modalité, mais parce que c'est "la plus évacuée". D'abord parce qu'un petit "apprend selon son propre programme" : "il décide quand il marche, il parle, et plus l'environnement est riche, plus il a des chances d'investir l'apprentissage." C'est à la fin de la maternelle qu'il devra être capable de faire la même chose (en faisant des erreurs, comme tomber quand il apprend à marcher), "mais sur des choses imposées, selon le programme du maître", poursuit-elle.

Le jeu libre donne accès à ce que les enfants ont compris

Observer l'enfant sur des temps long et sur du jeu libre (et non du jeu "rentable", incarné aujourd'hui dans la plupart des jeux de société, de LEGO®, etc.), sont donc d'autant plus pertinents que l'enfant "n'a pas la capacité de montrer sur commande son potentiel". Le jeu permet ainsi de travailler l'imagination, le langage et les entraîne à se soumettre à des règles. Il permet aussi d'apprendre à gérer des émotions, avec un autre grand intérêt : l'enfant peut prendre des risques,et donc "oser" et "donner ainsi accès à ce qu'ils ont compris".

Pas question de vanter un système où le jeu occuperait toute la place, mais de lui laisser une place régulière : de préférence le matin, à l'ouverture de la classe parce que le jeu permet de "faire revivre des choses qui nous ont touchés émotionnellement", et donc "de poser tout ce que l'on ramène de lourd" ; à terme sur au moins 1 h, ce qui permet aux enfants d'investir des rôles de plus en plus complexes, de plus en plus issus de la littérature et d'aborder des points de vue différents, de le planifier de plus en plus à l'avance, d'user du langage, et de plus en plus littéracié. Anne Clerc-Georgy souligne que, dans les pays où est laissé cet espace de jeu, s'observent "des enfants plus calmes", "qui gèrent mieux les conflits", "beaucoup plus concentrés dans les moments qui suivent" et "des ressources que l'on ne soupçonne pas".

La chercheuse avertit par ailleurs que l'on ne peut, "en aucun cas", "prescrire quelque chose". D'autant que ce n'est pas parce que des résultats, issus de la recherche scientifique, existent, qu'ils "résistent" tous au "passage dans la classe".

Camille Pons

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →